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28/05/2025 | FRANCE | N°23TL01481

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 4ème chambre, 28 mai 2025, 23TL01481


Vu la procédure suivante :



Par une requête et des mémoires, enregistrés le 23 juin 2023, le 9 février 2024, les 10 et 13 mai 2024, les 3 et 14 juin 2024, le 20 janvier 2025 et le 20 février 2025, l'association Protégeons nos espaces pour l'avenir, l'association Fédération pour la vie et la sauvegarde du Pays des Grands Causses, Mme D... B... C..., M. E... B... C... et le groupement agricole d'exploitation en commun Domaine de la Tacherie, représentés par la SCP Bouyssou et associés, demandent à la cour :



1°) d'annuler l'arrêté du 28 d

écembre 2022 par lequel le préfet de l'Aveyron a accordé à la société par actions simpl...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 23 juin 2023, le 9 février 2024, les 10 et 13 mai 2024, les 3 et 14 juin 2024, le 20 janvier 2025 et le 20 février 2025, l'association Protégeons nos espaces pour l'avenir, l'association Fédération pour la vie et la sauvegarde du Pays des Grands Causses, Mme D... B... C..., M. E... B... C... et le groupement agricole d'exploitation en commun Domaine de la Tacherie, représentés par la SCP Bouyssou et associés, demandent à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 28 décembre 2022 par lequel le préfet de l'Aveyron a accordé à la société par actions simplifiée V'éol une autorisation environnementale pour exploiter une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent composée de cinq aérogénérateurs, présentant une puissance totale maximale de 20 mégawatts, sur le territoire de la commune de Verrrières, ainsi que la décision implicite par laquelle la même autorité a rejeté leur recours gracieux du 24 février 2023 ;

2°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la société V'éol le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- leur requête est recevable, tant au regard du délai de recours qu'au regard de leur intérêt à agir et de la qualité pour agir des personnes morales ;

Sur la régularité de l'autorisation :

- le dossier soumis à enquête publique était incomplet en l'absence de l'avis rendu par l'agence régionale de santé Occitanie consultée sur le projet ;

- l'arrêté en litige est insuffisamment motivé en ce qu'il ne précise pas les raisons pour lesquelles une dérogation " espèces protégées " n'aurait pas été nécessaire ;

- l'étude d'impact du projet est insuffisante s'agissant de la justification du choix de la zone d'implantation et de l'analyse des solutions de substitution raisonnables ;

- la même étude est insuffisante en ce qui concerne l'avifaune, plus particulièrement les rapaces, ainsi que les chiroptères : les insuffisances sont caractérisées tant au stade de l'état initial qu'au stade de l'étude des enjeux et des impacts du projet sur ces espèces et au stade des mesures d'évitement, de réduction et de compensation de ces mêmes impacts ;

- l'étude acoustique est insuffisante, ne respecte pas la norme NFS 31-010 et applique indûment le projet de norme NFS 31-114 alors que le protocole de mesures issu de ce projet de norme a été annulé par décision du Conseil d'Etat n° 465036 du 8 mars 2024 ;

- il n'a été réalisé aucune étude géotechnique et hydrologique malgré la sensibilité du site sur ces points ; le volet " eau " de l'étude d'impact est en outre insuffisant ;

- les insuffisances de l'étude d'impact relevées ci-dessus ont eu une influence sur le sens et le contenu de la décision et ont nui à l'information complète du public ;

- la commission départementale de la nature, des paysages et des sites de l'Aveyron n'a pas été correctement informée du contenu du rapport du médiateur éolien ;

Sur le bien-fondé de l'autorisation :

- le projet éolien en litige porte atteinte aux intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement en ce qui concerne l'avifaune, notamment les rapaces, ainsi que les chiroptères ; les impacts bruts et résiduels du projet sur ces espèces sont sous-estimés et les mesures prévues sont insuffisantes ; le projet méconnaît l'article L. 163-1 du même code sur ce point ;

- le projet s'inscrit dans un contexte paysager présentant un caractère remarquable ; il porte atteinte aux paysages et aux sites patrimoniaux ; le schéma de cohérence territoriale du Parc naturel régional des Grands Causses n'autorise pas les éoliennes aussi hautes ;

- il porte atteinte au voisinage compte tenu de son impact visuel et acoustique ; l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur de droit sur ce dernier point dès lors qu'il renvoie à un projet de norme obsolète ainsi qu'il a été exposé ci-dessus s'agissant de l'étude acoustique ;

- il porte atteinte aux intérêts visés à l'article L. 211-1 du code de l'environnement et, plus particulièrement, aux zones humides, aux cours d'eau superficiels et aux masses d'eau souterraines ; il n'a pas été procédé à une déclaration au titre de la loi sur l'eau ;

- l'autorisation en litige est entachée d'une erreur d'appréciation au regard de l'article L. 411-2 du code de l'environnement en tant qu'elle n'incorpore pas une dérogation " espèces protégées " pour l'avifaune, notamment les rapaces, ainsi que les chiroptères ;

- la société V'éol ne possède pas les capacités techniques et financières suffisantes pour porter le projet ; le dossier de demande d'autorisation est insuffisant sur ce point ;

- le montant des garanties financières est erroné au regard des dispositions de l'arrêté ministériel du 26 août 2011 tel qu'il a été modifié par l'arrêté du 11 juillet 2023 ;

- le parc éolien projeté est de nature à porter atteinte à la sécurité publique en raison de son implantation prévue dans un secteur exposé au risque de feu de forêt.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 22 septembre 2023, le 11 décembre 2023, le 12 mars 2024, le 30 mai 2024 et le 13 février 2025, la société par actions simplifiée V'éol, représentée par la SELARL Gossement Avocats, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge des requérants une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- à titre principal : la requête est irrecevable en raison, d'une part, de l'absence d'intérêt pour agir de l'association Fédération pour la vie et la sauvegarde du Pays des Grands Causses, du groupement agricole d'exploitation en commun Domaine de la Tacherie et des deux personnes physiques et, d'autre part, de l'absence de qualité pour agir des deux associations ;

- à titre subsidiaire : les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mai 2024, le préfet de l'Aveyron conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par une ordonnance en date du 14 avril 2025, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 avril 2025.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de la santé publique ;

- l'arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent soumises à autorisation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jazeron, premier conseiller,

- les conclusions de M. Diard, rapporteur public,

- les observations de Me Martinez, représentant les requérants,

- et les observations de Me Thomas, représentant la société V'éol, ainsi que celles de M. A..., maire de Verrières, commune intéressée au litige.

Une note en délibéré, produite pour la société V'éol, représentée par la SELARL Gossement Avocats, a été enregistrée le 16 mai 2025.

Considérant ce qui suit :

1. La société V'éol, constituée en 2020 avec un capital réparti à parts égales entre la société Soleil du Midi Développement et la commune de Verrières (Aveyron), a présenté, le 11 janvier 2021, une demande d'autorisation environnementale pour construire et exploiter une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent composée de cinq aérogénérateurs, présentant une hauteur de 180 mètres en bout de pales et une puissance unitaire maximale de 4 mégawatts, ainsi qu'un poste de livraison, au lieu-dit " Bois de Vinnac ", sur le territoire de cette commune. La mission régionale d'autorité environnementale d'Occitanie a rendu un avis sur ce projet le 22 juillet 2021. L'enquête publique a été organisée du 29 juin au 30 juillet 2022 et le commissaire enquêteur a remis son rapport le 24 août suivant. Par un arrêté pris le 28 décembre 2022, le préfet de l'Aveyron a accordé l'autorisation environnementale à la société V'éol pour ce parc éolien. Par la présente requête, l'association Protégeons nos espaces pour l'avenir, l'association Fédération pour la vie et la sauvegarde du Pays des Grands Causses, M. et Mme B... C... ainsi que le groupement agricole d'exploitation en commun Domaine de la Tacherie demandent à la cour l'annulation de cet arrêté, ainsi que de la décision par laquelle le préfet a implicitement rejeté leur recours gracieux du 24 février 2023.

Sur les fins de non-recevoir opposées par la société V'éol :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 142-1 du code de l'environnement : " Toute association de protection de l'environnement agréée au titre de l'article L. 141-1 ainsi que les fédérations départementales des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique (...) justifient d'un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec leur objet et leurs activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l'environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elles bénéficient de l'agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de leur agrément. (...) ".

3. Il résulte de l'instruction que l'association Fédération pour la vie et la sauvegarde du Pays des Grands Causses bénéficie d'un agrément préfectoral au titre des dispositions de l'article L. 141-1 du code de l'environnement depuis le 12 juin 2014, lequel a été renouvelé pour une période de cinq ans à partir du 6 juin 2019. Elle a pour but, selon l'article 2 de ses statuts, de " sauvegarder, protéger le bien commun (eau, terre, air), valoriser l'identité, le patrimoine naturel et culturel et la qualité de vie du Pays des Grands Causses ". Compte tenu de son objet social et de son champ d'action géographique ainsi définis, ladite association justifie d'un intérêt suffisant pour contester l'autorisation environnementale accordée à la société V'éol, laquelle porte sur un parc éolien prévu dans le périmètre du Parc naturel régional des Grands Causses, susceptible d'avoir un impact sur le patrimoine naturel propre à ce territoire. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de l'absence d'intérêt à agir de cette association doit être écartée.

4. D'autre part, selon l'article R. 151-80 du code de l'environnement : " Les décisions mentionnées aux articles L. 181-12 à L. 181-15-1 peuvent être déférées à la juridiction administrative : / (...) / 2° Par les tiers intéressés en raison des inconvénients ou des dangers pour les intérêts mentionnés à l'article L. 181-3, dans un délai de quatre mois (...). ". Pour pouvoir contester une décision relevant de ces dispositions, les tiers personnes physiques doivent justifier d'un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour en demander l'annulation, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour eux l'installation en cause, appréciés notamment en fonction de la situation des intéressés et de la configuration des lieux.

5. M. et Mme B... C... justifient résider sur le territoire de la commune de Saint-Beauzély, limitrophe de la commune de Verrières, au lieu-dit " La Tacherie ", où ils ont notamment établi le siège de leur exploitation agricole et où ils assurent également la gestion de gîtes ainsi que d'un camping comportant quarante emplacements. Leurs bâtiments implantés le plus à l'est se situeront à seulement 1 kilomètre de l'éolienne " E5 " la plus proche et ne seront séparés du parc éolien que par un paysage plat, sans que la végétation ne permette de dissimuler significativement les aérogénérateurs culminant à 180 mètres de hauteur en bout de pales. Les intéressés sont en outre les associés et gérants du groupement agricole d'exploitation en commun Domaine de la Tacherie, lequel a pour objet l'exploitation de leurs biens agricoles, dont certaines parcelles se trouveront à quelques centaines de mètres des installations litigieuses. Ainsi, tant M. et Mme B... C... que le groupement requérant justifient d'un intérêt suffisant pour contester l'autorisation environnementale accordée à la société V'éol. En conséquence, les fins de non-recevoir opposées par ladite société à leur encontre doivent être écartées.

6. Enfin, une association est régulièrement engagée par l'organe tenant de ses statuts le pouvoir de la représenter en justice, sauf stipulation de ces statuts réservant expressément à un autre organe la capacité de décider de former une action devant le juge administratif. Il appartient à la juridiction saisie, qui en a toujours la faculté, de s'assurer que le représentant de l'association justifie de sa qualité pour agir au nom de cette partie lorsque cette qualité est contestée sérieusement par l'autre partie ou lorsque, en l'état de l'instruction, l'absence de qualité du représentant de l'association semble ressortir des pièces du dossier. A ce titre, si le juge doit s'assurer de la réalité de l'habilitation du représentant de l'association qui l'a saisi, lorsque celle-ci est requise par les statuts, il ne lui appartient pas, en revanche, de vérifier la régularité des conditions dans lesquelles une telle habilitation a été adoptée.

7. Il résulte de l'article 2 des statuts de l'association Protégeons nos espaces pour l'avenir que les co-présidentes de ladite association sont habilitées à la représenter de droit en justice. La délibération du 9 janvier 2023 par laquelle l'assemblée générale de l'association a approuvé la décision de la co-présidente d'introduire un recours contre l'autorisation en litige revêtait ainsi un caractère superfétatoire et n'a, en tout état de cause, aucune incidence sur la recevabilité de la requête. Il résulte en outre de l'article 8 des statuts de l'association Fédération pour la vie et la sauvegarde du Pays des Grands Causses que le conseil d'administration de l'association est compétent pour entériner les décisions du bureau qui ne sont pas du ressort de l'assemblée générale. Dès lors que l'article 7 des mêmes statuts ne mentionne pas le pouvoir de représentation en justice parmi les attributions relevant de l'assemblée générale, le président de ladite association a pu être valablement habilité à agir par le conseil d'administration, en sa séance du 9 janvier 2023, contre l'arrêté attaqué. Dans ces conditions, les fins de non-recevoir tenant à l'absence de qualité pour agir au nom des associations doivent être écartées.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

8. L'article L. 181-3 du code de l'environnement dispose que : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement ainsi qu'à l'article L. 161-1 du code minier selon les cas. / (...) ". L'article L. 511-1 du même code mentionne que : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ".

En ce qui concerne les enjeux de la zone d'implantation pour les rapaces :

9. Il résulte de l'instruction, notamment de l'étude d'impact présentée par la société pétitionnaire à l'appui de sa demande d'autorisation et de son volet " oiseaux ", que, si le site projeté pour l'implantation du parc éolien n'est pas lui-même situé à l'intérieur d'une zone de protection ou d'inventaire écologique, il a été identifié quarante-six zones d'intérêt écologique, faunistique ou floristique dans un rayon de 15 kilomètres tout autour de ce site, dont vingt-sept zones présentant des enjeux pour l'avifaune et, plus spécifiquement, pour dix-huit espèces de rapaces. En particulier, le secteur retenu est proche de la zone de type I " Vallée supérieure et gorges du Tarn ", située à 4,5 kilomètres vers l'est et répertoriée pour la présence du vautour moine, de l'aigle royal, du circaète Jean-le-Blanc, du vautour fauve, du milan royal et du vautour percnoptère, ainsi que de la zone de type II " Vallée du Tarn amont ", située à 4,6 kilomètres au sud, recensée pour la présence de ces mêmes espèces et pour celle du busard Saint-Martin. Il ressort également de l'étude d'impact qu'il existe, dans ce même rayon de 15 kilomètres, deux zones importantes pour la conservation des oiseaux, ainsi que trois zones de protection spéciale relevant du réseau " Natura 2000 ", à savoir la zone FR 7313006 " Gorges du Tarn et de la Jonte ", située à 6,8 kilomètres à l'est, la zone FR 7312007 " Gorges de la Dourbie et causses avoisinants ", localisée à 10 kilomètres au sud-est, et la zone FR 9110105 " Gorges du Tarn et de la Jonte ", située à 15 kilomètres au nord-est, lesquelles ont été identifiées au titre de ce réseau pour la conservation des sept espèces de rapaces mentionnées ci-dessus. Il ressort enfin de cette même étude que le site d'implantation du projet est inclus dans le périmètre du Parc naturel régional des Grands Causses et qu'il n'est distant que de 15,6 kilomètres des limites du Parc naturel national des Cévennes, localisé à l'est, lequel accueille une avifaune d'une particulière richesse, dont trente espèces de rapaces, parmi lesquelles, outre les trois vautours sus-évoqués, le gypaète barbu, l'aigle royal, le circaète Jean-le-Blanc et le busard Saint-Martin.

10. D'une part, le vautour fauve et le vautour moine sont inscrits à l'annexe n° 1 de la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages ainsi qu'à l'article 3 de l'arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés. La zone retenue pour l'implantation du projet éolien se situe dans le périmètre des plans nationaux d'action relatifs à ces deux espèces. Le vautour fauve, recensé comme une espèce quasi-menacée sur la liste rouge régionale des oiseaux nicheurs en Occitanie jusqu'en 2024, a été observé à de très nombreuses reprises lors des inventaires réalisés par les auteurs de l'étude d'impact au sein de la zone d'implantation du projet, notamment en période de nidification, mais également en période hivernale. Le vautour moine, répertorié comme une espèce en danger, tant sur la liste rouge nationale de l'Union internationale pour la conservation de la nature que sur la liste rouge régionale d'Occitanie, a également été observé lors des inventaires, le nombre de contacts plus réduit s'expliquant par la rareté de l'espèce. La fréquentation régulière de la zone par ces deux vautours est par ailleurs confirmée par une étude menée conjointement par le Centre national de la recherche scientifique, le Parc naturel régional des Grands Causses et la Ligue pour la protection des oiseaux. L'étude d'impact précise que les vautours nichent principalement dans les gorges du Tarn et de la Dourbie distantes de seulement 6 à 7 kilomètres et qu'ils fréquentent le site en phase de transit ou de prises d'ascendances, notamment pour rejoindre les quatre placettes d'alimentation situées aux alentours, à une hauteur comprise, pour 75 % des vols, entre 30 et 180 mètres, soit au niveau de la rotation des pales des aérogénérateurs projetés.

11. D'autre part, le circaète Jean-le-Blanc et le milan royal sont également inscrits à l'annexe n° 1 de la directive du 30 novembre 2009 et à l'article 3 de l'arrêté du 29 octobre 2009. La zone d'implantation du projet se trouve au sein du domaine vital du milan royal identifié par le plan national d'actions concernant cette espèce. Le circaète Jean-le-Blanc est recensé parmi les espèces vulnérables sur la liste rouge régionale d'Occitanie, tandis que le milan royal, répertorié comme vulnérable sur la liste rouge nationale, est considéré comme étant en danger sur la liste rouge régionale. Ils ont été observés sur le site tant en période de nidification qu'en période de migration postnuptiale et, s'agissant du milan royal, en période hivernale. Le circaète Jean-le-Blanc est notamment présent de manière significative sur la zone d'implantation et les rédacteurs de l'étude d'impact mentionnent la présence probable d'une aire de nidification au sud de cette zone. Les deux espèces fréquentent le secteur en phase de chasse, de transit et de prises d'ascendances avec des vols très majoritairement situés à hauteur de pales. Le busard Saint-Martin, inscrit, lui aussi, à l'annexe n° 1 de la directive du 30 novembre 2009 ainsi qu'à l'article 3 de l'arrêté du 29 octobre 2009, identifié comme espèce en danger sur la liste rouge régionale d'Occitanie, a également été contacté d'une manière significative à l'occasion des inventaires naturalistes réalisés sur le secteur, tant en période de nidification qu'en période hivernale. Les auteurs de ces inventaires ont constaté la présence d'un nid au sein même de la zone d'implantation projetée et l'étude d'impact confirme que cette zone présente des habitats semi-ouverts particulièrement favorables à la reproduction de l'espèce. La même étude relève par ailleurs une activité marquée du busard Saint-Martin en phase de transit ou de chasse, volant le plus souvent à bas niveau, mais avec tout de même 42 % de vols à hauteur de pales.

12. Enfin, l'aigle royal, le gypaète barbu et le vautour percnoptère figurent également à l'annexe n° 1 de la directive du 30 novembre 2009 et à l'article 3 de l'arrêté du 29 octobre 2009. L'aigle royal est répertorié parmi les espèces vulnérables au plan national et en danger au plan régional. Les deux autres espèces susmentionnées sont considérées comme en danger tant au plan national qu'au plan régional, après avoir été classées parmi les espèces en danger critique jusqu'en 2024. Bien que ces trois rapaces n'aient pas été observés à l'occasion des inventaires menés dans le cadre du projet en litige, il résulte de l'instruction que la zone d'implantation de ce projet est incluse dans le périmètre des plans nationaux d'actions relatifs à ces trois espèces et, en particulier, dans le domaine vital de l'aigle royal. L'étude d'impact relève que l'étude conduite par le Centre national de la recherche scientifique, le Parc naturel régional des Grands Causses et la Ligue pour la protection des oiseaux fait état de la présence de ces espèces sur le territoire de la commune de Verrières ou des communes limitrophes et reconnaît que, compte tenu de leur grand rayon d'action, lesdites espèces sont susceptibles de fréquenter ponctuellement la zone en phase de transit ou de prises d'ascendances, si bien qu'elles présentent, comme les cinq autres rapaces susmentionnés, un niveau d'enjeux allant de modéré à fort sur cette zone.

En ce qui concerne les impacts potentiels du projet éolien sur les rapaces :

13. Il résulte de l'instruction que la société V'éol a étudié sept variantes avant d'arrêter l'implantation précise des cinq aérogénérateurs projetés dans la zone préalablement retenue au lieu-dit " Bois de Vinnac ". Si l'étude d'impact mentionne que le porteur de projet a choisi " la variante la moins défavorable à l'avifaune ", il ressort néanmoins de cette même étude, plus particulièrement de la représentation graphique de l'implantation du projet sur fond de carte des risques pour l'avifaune, que les éoliennes " E 4 " et " E 5 " sont toutes deux situées en zones de risque fort de collision pour l'avifaune, correspondant à des secteurs de prises d'ascendances récurrentes utilisés par les rapaces tout au long de l'année. Il en ressort également que l'éolienne " E 1 " est prévue sur une zone de risque modéré de collision, correspondant à un secteur de prises d'ascendances ponctuelles utilisé par les rapaces tout au long de l'année. L'aérogénérateur " E 2 " se situe pour sa part au sein de la zone d'activité du busard Saint-Martin, présentant un risque modéré de collision, de dérangement et de destruction de nichées pour cette espèce, sachant qu'il se trouve aussi, tout comme l'éolienne " E 3 ", à proximité immédiate de plusieurs secteurs de prises d'ascendances ponctuelles des rapaces. Enfin, les cinq aérogénérateurs se situent tous également à proximité immédiate d'axes de transit utilisés par les vautours tout au long de l'année, identifiés comme présentant un risque modéré de collision pour ces espèces. En raison de ces choix d'implantation, les auteurs de l'étude d'impact ont au demeurant estimé que le projet était de nature à comporter, pour l'ensemble des grands rapaces présents, au titre du risque de collision, des impacts bruts forts au niveau des éoliennes " E 4 " et " E 5 " et des impacts bruts modérés au niveau de l'éolienne " E 1 ". Ils ont également retenu que le projet présentait des impacts bruts modérés au titre du risque de collision pour les vautours et pour le busard Saint-Martin au niveau des cinq machines, ainsi qu'au titre du risque de dérangement en période de reproduction et du risque de destruction de nichées, pour cette dernière espèce, au niveau de l'ensemble des zones devant être défrichées pour la réalisation du projet.

14.

La société pétitionnaire indique avoir intégré au projet litigieux plusieurs mesures visant à éviter ou à réduire les risques d'impacts sur l'avifaune. S'agissant, tout d'abord, des mesures d'évitement, l'étude d'impact mentionne que le projet a été conçu de manière à éviter l'implantation d'éoliennes dans les zones de risques les plus forts pour l'avifaune et qu'il a été privilégié une configuration adaptée aux enjeux migratoires en orientant la ligne de machines selon un axe nord-est/sud-ouest correspondant à l'axe principal des migrations pour limiter les risques de collision et d'effet barrière. S'agissant, ensuite, des mesures de réduction des risques, le porteur de projet a notamment prévu la mise en place d'un système vidéo de détection de l'avifaune sur les cinq éoliennes, permettant leur arrêt et l'effarouchement sonore des oiseaux. La société pétitionnaire envisage également à ce titre d'éviter les travaux les plus lourds en période de reproduction, de privilégier un modèle d'aérogénérateur de grande hauteur pour maintenir un espace de 50 mètres entre le sol et le rayon des pales, de rendre " écologiquement inertes " les plateformes situées sous les éoliennes, de suivre l'évolution des boisements, de mettre en place un balisage rouge tout en veillant qu'aucune autre lumière ne reste allumée la nuit et, enfin, de procéder à l'enfouissement des lignes électriques. Le porteur de projet a prévu par ailleurs des mesures d'accompagnement et de suivi, incluant notamment la gestion d'habitats favorables au busard Saint-Martin à l'écart du site du projet. L'étude d'impact et son volet " oiseaux " retiennent qu'en tenant compte de l'ensemble de ces mesures, lesquelles ont été reprises et précisées dans l'arrêté préfectoral en litige, le projet de parc éolien ne présenterait plus que des impacts résiduels faibles, voire non significatifs, pour l'ensemble de l'avifaune et notamment pour les huit espèces de rapaces visées aux points 9 à 12 du présent arrêt.

15. Il résulte toutefois de l'instruction, ainsi que l'a au demeurant souligné la mission régionale d'autorité environnementale d'Occitanie dans son avis émis le 22 juillet 2021, que la société V'éol ne peut être regardée comme ayant mis en œuvre de manière suffisamment aboutie les mesures d'évitement annoncées dès lors que, comme il a été exposé au point 13 ci-dessus, les implantations retenues pour l'ensemble des aérogénérateurs présentent des risques au moins modérés pour les rapaces fréquentant le secteur et, même, des risques forts pour deux des cinq machines prévues, en totale contradiction avec les recommandations de l'étude d'impact sur ce point. De même, si le choix de modèles d'éoliennes de grande hauteur est susceptible de limiter les risques pour certaines espèces d'oiseaux pratiquant un vol bas, il résulte de ce qui a été indiqué aux points 10 à 12 que les huit espèces de rapaces susvisées volent majoritairement à hauteur des pales des éoliennes. Enfin, si les autres mesures de réduction prévues par la société pétitionnaire sont de nature à atténuer les impacts négatifs des travaux ou de l'exploitation du parc éolien sur l'avifaune et si la mise en place du système vidéo de détection des oiseaux est notamment programmée avec un paramétrage spécifique pour s'adapter aux particularités de ces huit rapaces, il n'apparaît néanmoins pas que ces mesures soient suffisantes pour ramener les impacts du projet sur ces espèces d'un niveau brut modéré ou fort, lequel a d'ailleurs déjà été jugé sous-estimé par la mission régionale d'autorité environnementale d'Occitanie, à un niveau résiduel faible, voire non significatif, ainsi que le fait valoir la société pétitionnaire.

16. Il ressort, au surplus, de l'étude d'impact qu'il existe déjà cinq parcs éoliens en fonctionnement, totalisant cinquante-huit machines, dans un rayon de 20 kilomètres autour de la zone d'implantation du projet en litige, le plus proche se situant à seulement 8,8 kilomètres de ladite zone. Il ressort de cette même étude qu'un projet supplémentaire a déjà été autorisé par le préfet de l'Aveyron pour réaliser un ensemble de sept nouvelles éoliennes à une distance de 8,2 kilomètres de la zone en cause. Le chapitre de l'étude d'impact relatif aux effets cumulés du projet de Verrières avec ces autres installations mentionne qu'il a été recensé plusieurs cas de mortalité de grands rapaces, notamment de vautours fauves ou de milans royaux, sur les parcs voisins existants, y compris d'ailleurs sur des machines équipées de systèmes de détection de l'avifaune comparables à celui prévu par la société V'éol pour le présent projet. Les auteurs de l'étude d'impact reconnaissent d'ailleurs l'existence d'impacts cumulés bruts modérés, voire forts, pour sept des huit espèces de rapaces sus-évoquées. Si la même étude indique que les impacts cumulés résiduels seraient ramenés à un niveau faible, voire non significatif, grâce aux mesures d'évitement des risques mentionnées au point 14 du présent arrêt, une telle conclusion n'est toutefois pas justifiée compte tenu de ce qui a été exposé au point 15 ci-dessus.

17. Eu égard à tout ce qui a été dit aux points précédents et ainsi que l'ont d'ailleurs retenu tant la direction départementale des territoires de l'Aveyron dans un avis rendu le 25 février 2021 que la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Occitanie dans un avis du 11 mars 2021, l'autorité environnementale dans son avis précité du 22 juillet 2021 et le Conseil national de la protection de la nature dans une lettre adressée aux ministres intéressés le 23 janvier 2023, le projet de parc éolien envisagé par la société V'éol sur le territoire de la commune de Verrières est de nature à emporter des impacts significatifs sur les huit espèces patrimoniales de rapaces susmentionnées et, par conséquent, à porter atteinte, s'agissant de ces huit mêmes espèces, à l'objectif de protection de la nature visé à l'article L. 511-1 précité du code de l'environnement. Il s'ensuit que le préfet de l'Aveyron a méconnu les dispositions de cet article en accordant l'autorisation environnementale en litige.

18. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à demander l'annulation de l'arrêté du 28 décembre 2022 par lequel le préfet de l'Aveyron a accordé l'autorisation environnementale à la société V'éol, ainsi que celle de la décision implicite rejetant leur recours gracieux.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que soit mis à la charge des requérants, lesquels n'ont pas la qualité de parties perdantes dans la présente instance, le versement d'une somme quelconque au bénéfice de la société V'éol au titre des frais exposés par celle-ci et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la société V'éol une somme globale de 2 000 euros à verser aux requérants sur le fondement de ces dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêté du préfet de l'Aveyron du 28 décembre 2022, ainsi que la décision implicite rejetant le recours gracieux des requérants, sont annulés.

Article 2 : L'Etat et la société V'éol verseront solidairement aux requérants une somme globale de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de la société V'éol présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Protégeons nos espaces pour l'avenir, première nommée pour l'ensemble des requérants, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et à la société par actions simplifiée V'éol.

Copie en sera adressée au préfet de l'Aveyron.

Délibéré après l'audience du 15 mai 2025, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Teulière, président assesseur,

M. Jazeron, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2025.

Le rapporteur,

F. JazeronLe président,

D. Chabert

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 23TL01481


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL01481
Date de la décision : 28/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Chabert
Rapporteur ?: M. Florian Jazeron
Rapporteur public ?: M. Diard
Avocat(s) : GOSSEMENT / AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 01/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-28;23tl01481 ?
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