Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... D... a demandé au Tribunal administratif de Versailles de condamner la commune de Chilly-Mazarin à lui verser la somme de 218 000 euros en réparation des préjudices subis à la suite de sa radiation illégale du 13 février 2007.
Par un jugement n° 1304306 du 8 février 2016, le Tribunal administratif de Versailles a condamné la commune de Chilly-Mazarin à verser à M. D..., pour la période comprise entre le 13 février 2007 et le 2 décembre 2012, une indemnité correspondant à la moitié de la somme obtenue entre la différence, entre, d'une part, le traitement net qui aurait été celui de l'intéressé et, d'autre part, les allocations pour perte d'emploi et les revenus tirés d'éventuelles activités professionnelles qu'il a perçus au cours de cette période, et dit que la somme versée porterait intérêts au taux légal à compter du 14 février 2013.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 8 avril 2016, M. D..., représenté par Me Dokhan, avocat, demande à la Cour :
1° de réformer le jugement n° 1304306 en tant qu'il a limité la condamnation de la commune de Chilly-Mazarin à lui régler une indemnité correspondant à la moitié de la somme obtenue entre la différence entre, d'une part, le traitement net qui aurait été le sien et, d'autre part, les allocations pour perte d'emploi et les revenus tirés d'éventuelles activités professionnelles qu'il a perçus au cours de la période comprise entre le 13 février 2007 et le 2 décembre 2012 ;
2° d'annuler le jugement n° 1304306 en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions indemnitaires de sa requête ;
3° de condamner la commune de Chilly-Mazarin à lui payer une somme de 218 000 euros en réparation de l'intégralité des préjudices subis à la suite de sa radiation illégale du 13 février 2007, et d'assortir cette somme du montant des intérêts moratoires calculés au taux d'intérêt légal et de leur capitalisation ;
4° de mettre à la charge de la commune de Chilly-Mazarin le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. D... soutient que :
- les premiers juges ont commis une erreur de droit pour avoir jugé que son refus d'obéissance à reprendre un poste serait constitutif d'une faute ayant concouru à la réalisation du dommage, justifiant que la moitié des conséquences de l'illégalité de sa radiation reste à sa charge. En effet, son attitude n'a pas contribué à ce que la commune retienne à tort la voie de l'abandon de poste plutôt que d'engager une procédure disciplinaire. En outre, le partage de responsabilité retenu a pour effet de sanctionner financièrement son refus d'obéissance, alors que cette mesure n'est pas au nombre des sanctions disciplinaires susceptibles d'être infligées à un agent ;
- il remplissait les conditions lui permettant de bénéficier de congés bonifiés entre les années 2007 et 2012, dès lors qu'il est originaire de la Guadeloupe, a deux enfants à charge, et en avait bénéficié en 2005 ;
- le tribunal a commis une erreur de droit pour avoir considéré que son préjudice moral n'était pas établi.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
- le décret n° 78-399 du 20 mars 1978 ;
- le décret n° 88-168 du 15 février 1988 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Errera, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., substituant Me C..., pour la commune de Chilly-Mazarin.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., titulaire du grade d'adjoint technique principal de 2ème classe au sein des effectifs de la commune de Chilly-Mazarin, a été radié des cadres pour abandon de poste à compter du 13 février 2007, et ce par un arrêté du même jour. Il a alors contesté la légalité de cette décision devant le Tribunal administratif de Versailles, qui, par un jugement n° 0704165 en date du 31 mars 2009, a rejeté sa requête. Par un arrêt n° 09VE01813 en date du 16 décembre 2011 devenu définitif, la Cour administrative d'appel de Versailles a annulé ce jugement ainsi que l'arrêté litigieux pour erreur de droit, et rejeté les conclusions indemnitaires au motif que l'intéressé ne justifiait pas avoir subi un préjudice personnel, direct et certain qui aurait résulté de l'illégalité de l'arrêté litigieux. La commune a alors, par un arrêté du 5 décembre 2012, procédé à la réintégration de M. D... qui l'a ensuite saisie d'une demande préalable notifiée le 14 février 2013, par laquelle il sollicitait la réparation des préjudices financier et moral résultant de sa radiation des cadres illégale. La commune ayant rejeté sa demande, l'intéressé a alors saisi le Tribunal administratif de Versailles d'une requête indemnitaire. Par un jugement n° 1304306 en date du 8 février 2016, le tribunal administratif a condamné la commune de Chilly-Mazarin à verser à M. D..., pour la période comprise entre le 13 février 2007 et le 2 décembre 2012, une indemnité correspondant à la moitié de la somme obtenue entre la différence entre, d'une part, le traitement net qui aurait été le sien, et d'autre part les allocations et revenus qu'il a perçus au cours de cette période. M. D... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires. Par un recours incident, la commune de Chilly-Mazarin demande l'annulation de ce jugement en tant qu'il a partiellement fait droit aux conclusions indemnitaires de son agent.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité :
2. En premier lieu, l'arrêté du 13 février 2007 par lequel le maire de Chilly-Mazarin a procédé à la radiation des cadres de M. D... a été annulé par l'arrêt n[0][0]° 09VE01813 du 16 décembre 2011 de la Cour de céans, annulant sur ce point le jugement n° 0704165 du Tribunal administratif de Versailles en date du 31 mars 2009, au motif qu'une des conditions nécessaires pour caractériser l'abandon de poste faisait défaut. Cet arrêt, devenu définitif, est revêtu de l'autorité de la chose jugée. Cette illégalité a constitué une faute de nature à engager la responsabilité de la commune à l'égard de son agent, comme l'ont relevé les premiers juges. Par suite, la commune n'est pas fondée à soutenir qu'en procédant à l'éviction irrégulière de son agent, elle n'aurait pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité.
3. En deuxième lieu, en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte des rémunérations ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Il y a cependant lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations nettes et des allocations pour perte d'emploi qu'il a perçues au cours de la période d'éviction.
4. Il résulte de l'instruction que, par courrier du 7 décembre 2006 auquel était jointe une fiche de poste, le maire de Chilly-Mazarin a informé M. D... de sa nouvelle affectation au service "Etat-civil et citoyenneté". Puis, par courrier du 17 janvier 2007, la commune a pris acte de ce que depuis le 15 janvier précédent, l'intéressé ne s'était pas présenté à son poste de travail, sans pour autant bénéficier d'une autorisation d'absence, et l'a mis en demeure de rejoindre son poste au risque d'être radié des cadres. Par un autre courrier, du 23 janvier 2017, le maire a constaté à nouveau l'absence injustifiée du service de M. D... et a réitéré l'obligation qui lui était faite de rejoindre son poste. Enfin, par un courrier du 8 février 2017, la collectivité mettait à nouveau en demeure son agent de rejoindre le service auquel il était affecté, au risque de perdre la qualité de fonctionnaire, tout en constatant son absence injustifiée depuis le 15 janvier précédent. Il résulte de ces correspondances, que M. D... ne conteste pas avoir reçues, que celui-ci a donc refusé de rejoindre l'affectation qui lui avait été assignée par le pouvoir hiérarchique, alors qu'il n'est ni démontré ni même allégué que cette mesure aurait été manifestement illégale et de nature à compromettre gravement un intérêt public. M. D... s'est ainsi livré à un refus d'obéissance hiérarchique, qu'il a réitéré à plusieurs reprises, manquant ainsi gravement à ses obligations professionnelles. Par suite, compte tenu, d'une part, de l'importance de l'illégalité entachant la décision d'éviction du 13 février 2007 qu'a relevée la Cour administrative d'appel de Versailles dans son arrêt du 16 décembre 2011 et qui, contrairement à ce qu'elle soutient au titre de son appel incident, engage la responsabilité de la commune, comme cela a été dit, d'autre part des fautes de l'intéressé, qui auraient pu au demeurant fonder une sanction disciplinaire ayant pour effet de l'évincer du service et de le priver de sa rémunération, il y a lieu, comme l'ont décidé les premiers juges, de laisser à la charge de M. D... la moitié des conséquences dommageables de son éviction illégale du service à compter du 13 février 2007, date effective de cette éviction, jusqu'au 2 décembre 2012.
En ce qui concerne les préjudices :
S'agissant de la perte de revenus :
5. Comme il a été rappelé au point 3, pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, il convient, d'une part, de prendre en compte la perte des rémunérations ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, et d'autre part, de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations nettes et des allocations pour perte d'emploi qu'il a perçues au cours de la période d'éviction.
6. Il n'est pas contesté que durant son éviction illégale, M. D... n'a perçu aucun traitement de la commune de Chilly-Mazarin. En conséquence, l'intéressé a droit à la réparation du préjudice financier causé, comme l'ont relevé les premiers juges et comme cela a été rappelé au point 3, par l'absence de rémunération nette versée par l'administration au cours de cette période. Il conviendra cependant de déduire des revenus auxquels pouvait prétendre M. D..., ceux qu'il a effectivement perçus au cours de la période d'éviction, soit les sommes de 11 230 euros et 12 000 euros au titre des années 2009 et 2010 compte tenu des pièces produites par la commune. Il incombera en outre à l'intéressé de justifier de ses revenus postérieurement au 13 février pour l'année 2007 ainsi que pour les années 2011 et 2012. Compte tenu du partage de responsabilité mentionné au point 4, la commune de Chilly-Mazarin devra verser à M. D... la moitié de la somme obtenue à la suite de la déduction des sommes que l'intéressé aura perçues par ailleurs.
S'agissant des congés bonifiés :
7. Il résulte de la combinaison des articles 1 et 4 du décret du 20 mars 1978, rendu applicable aux fonctionnaires territoriaux par le décret du 15 février 1988 susvisé, que les fonctionnaires qui exercent leurs fonctions sur le territoire européen de la France et dont le lieu de résidence habituelle se situe dans un département d'outre-mer " peuvent bénéficier, dans les conditions déterminées par le présent décret, de la prise en charge par l'Etat des frais d'un voyage de congé, dit congé bonifié ". Aux termes de l'article 3 du décret du 20 mars 1978 : " Le lieu de résidence habituelle est le territoire européen de la France ou le département d'outre-mer où se trouve le centre des intérêts moraux et matériels de l'intéressé ". Il ressort de ces dispositions que, pour apprécier la localisation du centre des intérêts matériels et moraux d'un fonctionnaire, il peut être tenu compte de son lieu de naissance, de celui de sa résidence, de celle des membres de sa famille, du lieu où le fonctionnaire est, soit propriétaire ou locataire des biens fonciers, soit titulaire de comptes bancaires, de comptes d'épargne ou de comptes postaux, ainsi que d'autres éléments d'appréciation parmi lesquels le lieu de domicile civil avant l'entrée dans la fonction publique de l'agent, celui où il a réalisé sa scolarité et ses études, la volonté manifestée par l'agent à l'occasion de ses demandes de mutation et de ses affectations ou la localisation du centre des intérêts moraux et matériels de son conjoint ou partenaire au sein d'un pacte civil de solidarité. En outre, cette localisation doit être appréciée à la date de la décision prise sur chaque demande d'octroi du congé bonifié.
8. Si M. D... soutient qu'il remplissait les conditions pour bénéficier des congés bonifiés énoncés au point précédent, il n'apporte aucun élément de nature à démontrer que le centre de ses intérêts matériels et moraux se trouvait en Guadeloupe. En tout état de cause, la circonstance qu'il serait originaire de ce département ultra-marin ne saurait à elle seule justifier qu'il pouvait prétendre à leur bénéfice. En outre, le droit au congé bonifié n'a pas un caractère permanent, mais fait l'objet, à chaque demande, d'une appréciation par l'administration de la façon dont le fonctionnaire remplit les conditions fixées par le décret du 20 mars 1978. Par suite, la circonstance que M. D... ait antérieurement bénéficié de congés bonifiés, ne lui a créé aucun droit pour bénéficier à nouveau de ce régime pour la période de son éviction.
S'agissant du préjudice moral :
9. M. D... soutient que son éviction illégale lui aurait causé un préjudice moral. Il n'apporte cependant aucun élément circonstancié démontrant l'existence d'un tel préjudice, qui ne pourra donc qu'être écarté.
En ce qui concerne les intérêts et leur capitalisation :
10. Comme l'a jugé le Tribunal administratif, M. D... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme qui lui est due au vu des motifs qui précèdent, et ce à compter du 14 février 2013, date de réception de sa demande préalable par la commune de Chilly-Mazarin. La capitalisation des intérêts ayant été demandée le 8 avril 2016, postérieurement à la date de lecture du jugement, il y a lieu d'y faire droit à compter du 14 février 2014, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, et de réformer en ce sens la décision des premiers juges. Il résulte de ce qui précède que M. D... est seulement fondé à solliciter, à compter du 14 février 2014, la capitalisation des intérêts qui lui sont dus.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. La commune de Chilly-Mazarin n'étant pas la partie perdante, les conclusions de M. D... tendant à mettre à sa charge une somme en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D... une somme à verser à la commune de Chilly-Mazarin en application de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme que la commune de Chilly-Mazarin a été condamnée à verser à M. D... par le jugement n° 1304306 du 8 février 2016 sera augmentée de la capitalisation des intérêts au taux légal, à compter du 14 février 2014 puis à chaque échéance annuelle, afin qu'ils produisent eux-mêmes des intérêts.
Article 2 : Le jugement n° 1304306 du 8 février 2016 du Tribunal administratif de Versailles est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la commune de Chilly-Mazarin présentées par la voie de l'appel incident sont rejetées.
N° 16VE01023 4