Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Brunet a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer, à titre principal, la décharge de l'obligation de payer les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée et les pénalités correspondantes, qui lui ont été réclamés au titre des années 2011 et 2012 en qualité de codébiteur solidaire de la SARL Tegrabat, en application de l'article 1724 quater du code général des impôts, à hauteur respectivement de 38 899 euros et 27 993 euros, de prononcer, à titre subsidiaire, la décharge partielle de l'obligation mentionnée ci-dessus à raison de la somme de 21 440 euros, correspondant à la période d'imposition allant du 17 août 2011 au 31 décembre 2011, et d'assortir les sommes dues des intérêts moratoires.
Par un jugement n° 1506994 du 6 mars 2018, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 7 mai 2018, la société Brunet, représentée par la société d'avocats Ten France, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler partiellement la décision du 12 juin 2015 portant rejet de sa réclamation préalable ;
3°) de prononcer la décharge de l'obligation de payer, à titre principal, la somme de 66 892 euros et, à titre subsidiaire, de limiter la somme due à la période allant du 17 août au 31 décembre 2011 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le procès-verbal d'infraction de travail dissimulé concernant la société Tegrabat a été établi postérieurement à la mise en oeuvre de la procédure de solidarité diligentée à son encontre, alors que, selon la circulaire ministérielle du 31 décembre 2005, la solidarité fiscale prévue à l'article 1724 quater du code général des impôts ne peut s'appliquer qu'à la condition que l'infraction de travail dissimulé ait été préalablement constatée ;
- la solidarité fiscale doit être limitée dans le temps car en application de la circulaire interministérielle du 31 décembre 2005, l'obligation d'obtenir de la société Tegrabat les documents visés par les articles L. 8221-3 et D. 8221-5 du code du travail n'est née qu'à partir du moment où cette société avait un an d'existence, soit à compter du 17 août 2011 ;
- elle ne peut pas être solidairement tenue au paiement des impôts exigibles après le 15 mai 2012 ;
- elle a respecté son obligation de vérification pour les autres périodes allant du 31 janvier au 31 juillet 2011 et du 1er janvier au 15 mai 2012.
..........................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de Mme Danielian, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction qu'à l'issue de la vérification de comptabilité de la société Tegrabat, l'administration fiscale a mis à sa charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des années 2011 et 2012, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la même période, ainsi que la majoration pour manquement délibéré au titre de l'année 2011 et celle prévue au b. du 1 de l'article 1728 du code général des impôts au titre de l'année 2012, pour défaut de dépôt des déclarations de taxe sur la valeur ajoutée et d'impôt sur les sociétés, dans les trente jours suivant l'envoi d'une mise en demeure. Elle a en outre constaté, par procès-verbal établi le 14 octobre 2014, qu'en 2011 et 2012, la société Tegrabat avait enfreint les dispositions relatives au travail dissimulé. En application de l'article 1724 quater du code général des impôts, un avis de mise en recouvrement a été émis le 12 mars 2015 à l'encontre de la société Brunet, afin de lui réclamer, en sa qualité de débiteur solidaire, le paiement des impositions et pénalités et amende dues par la société Tegrabat, en proportion du chiffre d'affaires réalisé avec celle-ci au cours de la période allant du 1er janvier 2011 au 15 mai 2012. La société Brunet relève appel du jugement du 6 mars 2018 par lequel le tribunal de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la décharge de l'obligation de payer les impositions et amendes litigieuses.
Sur les conclusions à fin d'annulation partielle de la décision du 12 juin 2015 rejetant la réclamation de la société Brunet :
2. La décision par laquelle l'administration a statué sur la réclamation de la société Brunet n'est pas détachable de la procédure mettant solidairement à la charge de celle-ci les impositions litigieuses. Elle ne peut, par suite, être déférée au juge administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir. Il s'ensuit que les conclusions de la société Brunet tendant à l'annulation de la décision du 12 juin 2015 par laquelle l'administration fiscale a partiellement rejeté ses réclamations sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant au dégrèvement et à la restitution des impositions mises à la charge de la société Brunet au titre de la solidarité prévue à l'article 1724 quater du code général des impôts :
3. En demandant le dégrèvement et la restitution des ces impositions, la société Brunet doit être regardée comme demandant la décharge de l'obligation de payer la quote-part des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations supplémentaires dus par la société Tegrabat au titre des années 2011 et 2012, mis à sa charge dans le cadre de sa solidarité financière avec cette société, en application de l'article 1724 quater du code général des impôts. La fin de non-recevoir soulevée par l'administration tirée de ce que la société Brunet n'est pas recevable à demander la décharge des impositions mises à la charge de la société Tegrabat, faute de qualité lui conférant un intérêt pour agir, doit, par suite, être écartée.
En ce qui concerne le cadre juridique du litige :
4. D'une part, aux termes de l'article 1724 quater du code général des impôts : " Toute personne qui ne procède pas aux vérifications prévues à l'article L. 8222-1 du code du travail ou qui a été condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé est, conformément à l'article L. 8222-2 du même code, tenue solidairement au paiement des sommes mentionnées à ce même article dans les conditions prévues à l'article L. 8222-3 du code précité ".
5. L'article L. 8222-1 du code du travail prévoit que toute personne qui conclut un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce est tenue de vérifier, lors de la conclusion de ce contrat et périodiquement jusqu'à la fin de son exécution, que son cocontractant s'acquitte de certaines obligations déclaratives et formalités exigées par la législation du travail. Aux termes de l'article L. 8222-2 du même code : " Toute personne qui méconnaît les dispositions de l'article L. 8222-1, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé : / 1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale (...) ". Aux termes de l'article L. 8222-3 de ce code : " Les sommes dont le paiement est exigible en application de l'article L. 8222-2 sont déterminées à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession ".
6. Pour l'application de l'article 1744 quater du code général des impôts, l'obligation de vérification incombant au donneur d'ordre naît à la conclusion du contrat et dure jusqu'à la fin de l'exécution de celui-ci. Cette obligation est méconnue pour la totalité de cette période si le donneur d'ordre n'effectue pas l'une des vérifications périodiques qui lui incombe. En cas de manquement à cette obligation de vérification, la solidarité de paiement couvre toute la durée du contrat au cours de laquelle a été constatée une infraction aux dispositions relatives au travail dissimulé.
7. D'autre part, dans sa version applicable jusqu'au 31 décembre 2011, l'article D. 8222-5 du code du travail indiquait que : " La personne qui contracte, lorsqu'elle n'est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l'article D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l'article L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu'à la fin de son exécution : / 1° Dans tous les cas, les documents suivants : / a) Une attestation de fourniture de déclarations sociales émanant de l'organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions sociales incombant au cocontractant et datant de moins de six mois ; / b) Une attestation sur l'honneur du cocontractant du dépôt auprès de l'administration fiscale, à la date de l'attestation, de l'ensemble des déclarations fiscales obligatoires et le récépissé du dépôt de déclaration auprès d'un centre de formalités des entreprises lorsque le cocontractant n'est pas tenu de s'immatriculer au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers et n'est pas en mesure de produire les documents mentionnés au a ou au b du 2° ; / 2° Lorsque l'immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu'il s'agit d'une profession réglementée, l'un des documents suivants : / a) Un extrait de l'inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis) (...) / 3° Lorsque le cocontractant emploie des salariés, une attestation sur l'honneur établie par ce cocontractant de la réalisation du travail par des salariés employés régulièrement au regard des articles L. 1221-10, L. 3243-2 et R. 3243-1 ". Dans sa version applicable à compter du 1er janvier 2012, cet article dispose que : " La personne qui contracte, lorsqu'elle n'est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l'article D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l'article L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu'à la fin de son exécution : / 1° Une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l'article L. 243-15 émanant de l'organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s'assure de l'authenticité auprès de l'organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale. / 2° Lorsque l'immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu'il s'agit d'une profession réglementée, l'un des documents suivants : / a) Un extrait de l'inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis) (...) ".
8. Enfin, aux termes de l'article R. 256-2 du livre des procédures fiscales : " Lorsque le comptable poursuit le recouvrement d'une créance à l'égard de débiteurs tenus conjointement ou solidairement au paiement de celle-ci, il notifie préalablement à chacun d'eux un avis de mise en recouvrement ".
En ce qui concerne la mise en oeuvre de la solidarité de paiement :
9. Contrairement à ce que soutient la société Brunet, la solidarité de paiement prévue l'article 1724 quater n'est pas mise en oeuvre par la demande qui lui a été faite par l'administration fiscale, le 20 mars 2014, de lui communiquer les documents qu'elle doit détenir, en sa qualité de donneur d'ordre de la société Tegrabat, au titre de son obligation de vérification et de vigilance, en application des dispositions précitées du code du travail, mais par l'envoi, le 12 mars 2015, d'un avis de mise en recouvrement conformément à l'article R. 256-2 du livre des procédures fiscales. Par suite, le moyen tiré de ce que le procès-verbal de constatation de travail dissimulé, établi le 14 octobre 2014, serait postérieur à la mise en oeuvre à son encontre de la solidarité de paiement manque en fait.
10. La société ne saurait en outre utilement se prévaloir du paragraphe de la circulaire interministérielle du 31 décembre 2005, qui ne constitue pas une interprétation administrative de la loi fiscale dont la société pourrait se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
En ce qui concerne le bien-fondé de la solidarité de paiement :
11. Ainsi qu'il a été exposé au point 1, la société Tregabat a enfreint en 2011 et 2012 les dispositions du code du travail relatives au travail dissimulé.
S'agissant de l'année 2011 :
12. Ainsi qu'il a été exposée au point 6 l'obligation de vérification incombant au donneur d'ordre naît à la conclusion du contrat et dure jusqu'à la fin de l'exécution de celui-ci. La référence, à l'article 2.1 de la circulaire du 31 décembre 2005 d'un donneur d'ordre qui utilise les services d'une société commerciale créée depuis plus d'un an, n'a qu'une portée illustrative et n'a ni pour objet, ni pour effet, de différer l'obligation de vérification à la première date anniversaire de la création de la société prestataire. Par suite, doit être écarté le moyen tiré de ce que la société Brunet n'était tenue de solliciter les documents énumérés à l'article R. 8222-5 précité du code du travail qu'à compter du 17 août 2011, date anniversaire de la création de la société Tegrabat, et non dès le 1er janvier 2011, date du début de la période vérifiée, à laquelle il n'est pas contesté que les deux sociétés entretenaient des relations commerciales de nature contractuelle.
13. Il résulte de l'instruction que la société Brunet a disposé d'un extrait de l'inscription au registre du commerce et des sociétés de la société Tegrabat, à compter du 3 janvier 2011, puis à compter du 25 mai 2011. Elle a en outre obtenu, le 31 janvier 2011, l'attestation visée au a du 1° de l'article D. 8222-5 du code du travail et, le 12 février 2011, les attestations sur l'honneur visées aux b du 1° et au 3° de ce même article. Elle n'a pas sollicité à nouveau ces pièces à l'expiration du délai de six mois suivant leur remise. Il en résulte que sur l'année 2011, la société Brunet n'a pas respecté son obligation de vérification. L'administration a donc pu, à bon droit, mettre en jeu à son égard la solidarité de paiement prévue par l'article 1724 quater du code général des impôts.
S'agissant de la période allant du 1er janvier au 15 mai 2012 :
14. Il résulte de l'instruction que la société Brunet s'est fait remettre par la société Tegrabat l'attestation visée au 1° de l'article D. 8222-5 du code du travail, dans sa version applicable à compter du 1er janvier 2012. L'administration relève cependant, ainsi que cela ressort du procès-verbal de constatation de travail dissimulé établi le 20 octobre 2014, que la société requérante ne s'est pas assurée, comme elle y est tenue par ces dispositions, de l'authenticité de cette attestation auprès de l'organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale. Dans ces conditions, l'administration fiscale a pu, pour ce seul motif, regarder à bon droit la société Brunet comme ayant manqué à son obligation de vigilance vis-à-vis de la société Tegrabat et mettre en jeu à son égard la solidarité de paiement prévue par l'article 1724 quater du code général des impôts au titre de la période allant du 1er janvier au 15 mai 2012.
En ce qui concerne l'étendue de la solidarité financière :
15. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a déterminé le montant de la part des impositions supplémentaires et des majorations correspondantes mises à la charge de la société Tegrabat dont était redevable la société Brunet au titre de sa responsabilité solidaire en appliquant à ces impositions, pour deux périodes courant, respectivement, du 1er janvier au 31 décembre 2011 et du 1er janvier au 15 mai 2012, un taux correspondant à la part des commandes de la société Brunet dans le chiffre d'affaires de la société Tegrabat, soit en l'espèce, pour chacune des périodes en cause, un taux de 90 % et 27 %.
16. L'application du taux de prorata déterminé dans les conditions énoncées au point précédent conduit à limiter l'engagement de la solidarité financière de la société Brunet à la période allant du 1er janvier 2011 au 15 mai 2012, à hauteur de la part de ses commandes dans l'activité de la société Tegrabat. Les termes du calcul de ce taux de prorata reposent, en ce qui concerne le montant des prestations confiées à la société Tegrabat, sur le montant des factures émises par cette dernière à l'intention de la société Brunet. Le prix figurant sur ces documents ayant été nécessairement déterminé par la société Tegrabat en fonction de la nature des travaux commandés et de la nature des moyens matériels et humains mis en oeuvre à cette occasion, l'administration fiscale doit ainsi être regardée comme ayant déterminé le montant des sommes dont le paiement est demandé à la société Brunet, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 8222-3 du code du travail. La méthode alternative proposée par la société Brunet - qui au demeurant ne figure pas, contrairement à ce qu'elle soutient au paragraphe 5.4 de la circulaire interministérielle du 31 décembre 2005 - consistant à faire jouer uniquement la solidarité sur les impositions dont la date d'exigibilité est comprise dans la période allant du 1er janvier 2011 au 15 mai 2012, ne tient pas compte des seules impositions générées par les prestations qu'elle a commandées à la société Tegrabat et ne permet pas, par conséquent, de déterminer la somme dont le paiement est exigible au titre de la solidarité dans les conditions prévues à l'article L. 8222-3 du code du travail, c'est-à-dire à due proportion de la valeur des travaux réalisés et des services fournis.
17. Il résulte de tout ce qui précède que la société Brunet n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la décharge de l'obligation de payer la somme qui lui a été réclamée en qualité de codébiteur solidaire de la société Tegrabat, en application de l'article 1724 quater du code général des impôts. Il y a lieu, par suite, de rejeter sa requête, y compris les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Brunet est rejetée.
N° 18VE01544