Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SCI des carrières Champ Fleury a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat, ou subsidiairement, solidairement l'Etat et la commune de Mesnil-le-Roi, à lui verser la somme de 588 850,15 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des divers préjudices qu'elle a subis à la suite des dégradations commises sur sa propriété, les carrières Champ Fleury, à l'occasion de la " rave-party " qui s'y est déroulée le 31 décembre 2010.
Par un jugement n° 1305123 du 22 septembre 2016, le tribunal administratif de Versailles a condamné l'Etat à verser à la SCI des carrières Champ Fleury la somme de 74 191,82 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 avril 2013 et de leur capitalisation à chaque échéance annuelle à compter du 10 juillet 2014.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 21 novembre 2016, le préfet des Yvelines demande à la Cour d'annuler ce jugement.
Le préfet soutient que :
- la responsabilité de l'Etat pour les dommages résultant des délits commis à l'occasion d'attroupements ou de rassemblements, prévue par l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, désormais repris par l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, ne s'applique pas en l'espèce ;
- ces faits n'ont pas été commis par des attroupements et rassemblements au sens de ces dispositions, dès lors, d'une part, que la rave-party en cause n'est pas un attroupement spontané mais un rassemblement organisé, présentant le caractère d'un rassemblement festif à caractère musical au sens de l'article 23-1 de la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, repris par l'article 211-5 du code de la sécurité intérieure, d'autre part, qu'elle a eu lieu sur une propriété privée et ne répond donc pas à la définition de l'attroupement donnée par l'article 431-3 du code pénal, et qu'enfin, les dommages causés sont le fait des deux organisateurs, comme l'a jugé le tribunal correctionnel.
- il appartient au juge administratif de s'assurer que sa décision n'a pas pour effet de procurer à la victime, par suite des indemnités qu'elle a pu obtenir devant le juge civil, une réparation supérieure au montant total des préjudices qu'elle a subis du fait du rassemblement.
Par des mémoires en défense enregistrés les 9 mars 2017 et 16 mai 2018, la SCI des carrières Champ Fleury, représentée par le cabinet d'avocats Cap Code, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête du préfet ;
2°) à titre principal et incident, de porter la condamnation de l'Etat à la somme de 588 850,15 euros, à lui verser en réparation des dégradations commises à l'occasion de la rave party qui a eu lieu le 31 décembre 2010 au Mesnil-le-Roi, de laquelle il faut déduire la somme de 1 875 euros versée à la société par les organisateurs de l'évènement ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement l'Etat et la ville du Mesnil-le-Roi à verser à la SCI des carrières Champ Fleury cette même somme ;
4°) d'assortir cette somme des intérêts au taux légal à compter du 23 avril 2013 et de leur capitalisation, à compter de l'expiration du délai de deux mois suivant la date d'application du jugement du tribunal administratif de Versailles ;
5°) de prononcer une astreinte égale à 50 euros par jour de retard en exécution de la décision à intervenir ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat et de la commune du Mesnil-le-Roi les dépens, ainsi que la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La SCI des carrières Champ Fleury fait valoir que :
- à titre principal, les moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés et c'est à juste titre que les premiers juges ont engagé la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ;
- à titre subsidiaire :
* l'Etat et la commune de Mesnil-le-Roi sont solidairement responsables des dommages anormaux et spéciaux commis par les participants de la " rave party " sur le fondement de la responsabilité sans faute ;
* la responsabilité solidaire et pour faute de l'Etat et de la commune de Mesnil-le-Roi doit être engagée du fait de l'inadéquation des mesures de police prises durant la soirée du 31 décembre 2010 ;
* l'Etat et la commune de Mesnil-le-Roi doivent solidairement l'indemniser du fait de la réquisition, qu'elle soit régulière ou non, dont la carrière a fait l'objet ;
- le montant de l'indemnité qui lui a été allouée doit être portée à la somme de 588 850,15 euros.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Tronel, président assesseur,
- les conclusions de Mme Danielian, rapporteur public,
- et les observations de Mme A..., cheffe du bureau de la sécurité intérieure, représentant le préfet des Yvelines.
Considérant ce qui suit :
1. Le tribunal administratif de Versailles a, par un jugement du 22 septembre 2016, condamné l'Etat, sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, à verser à la SCI des carrières Champ Fleury, la somme de 74 191,82 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 24 avril 2013 et de la capitalisation de ces intérêts à chaque échéance annuelle et a rejeté les conclusions indemnitaires de la société dirigées contre la commune de Mesnil-le-Roi. Le préfet fait appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, la SCI des carrières Champ Fleury demande que la condamnation de l'Etat soit portée à la somme de 588 850,15 euros et, par la voie de l'appel provoqué, que la commune de Mesnil-le-Roi soit solidairement condamnée avec l'Etat à lui verser cette somme.
I. Sur l'appel principal du préfet des Yvelines et l'appel incident de la SCI des carrières Champ Fleury :
I.1. En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :
2. Aux termes de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, abrogé au 1er mai 2012, désormais repris par l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (...) ".
3. Il résulte de l'instruction que, durant la nuit du 31 décembre 2010 au 1er janvier 2011, une " rave party " intitulée " Rave-Volt ", rassemblant près de trois mille personnes, a été organisée sur le site des carrières du Champ Fleury à Mesnil-le-Roi. A l'issue de cette soirée, la SCI des carrières Champ Fleury, propriétaire du site, a constaté le délabrement de celui-ci, avec notamment la présence d'une à deux tonnes de déchets, de l'inscription de plus de 300 tags et graffitis dans les galeries et l'effraction de la porte d'entrée. Par un jugement du 19 octobre 2011, le tribunal correctionnel de Versailles a reconnu les deux organisateurs de la rave-party coupables des délits d'effraction et de destruction, de dégradation ou détérioration d'un bien appartenant à autrui, réprimés par les articles 132-73, 322-1 et 322-3 du code pénal, et les a condamnés à trois mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant deux ans.
4. En premier lieu, ainsi que l'a jugé le tribunal correctionnel de Versailles dans sa décision du 19 octobre 2011, les faits décrits ci-dessus sont constitutifs de délits, commis à force ouverte, d'effraction, de dégradation ou détérioration d'un bien appartenant à autrui.
5. En second lieu, le préfet soutient que ces faits n'ont pas été commis par des attroupements et rassemblements au sens des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales, dès lors, d'une part, que la " rave-party " en cause n'est pas un attroupement spontané mais un rassemblement organisé, présentant le caractère d'un rassemblement festif à caractère musical au sens de l'article 23-1 de la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, repris par l'article 211-5 du code de la sécurité intérieure, d'autre part, qu'elle a eu lieu sur une propriété privée et ne répond donc pas à la définition de l'attroupement donnée par l'article 431-3 du code pénal, et qu'enfin, les dommages causés sont le fait des deux organisateurs, comme l'a jugé le tribunal correctionnel.
6. Cependant, le fait que le rassemblement ait été prévu et organisé ne fait pas, en soi, obstacle à la mise en oeuvre de la responsabilité de l'Etat sur le fondement des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales. En outre, s'il est exact que le tribunal correctionnel de Versailles a reconnu la culpabilité des deux organisateurs des dégradations commises, ce n'est pas parce qu'ils ont directement commis les délits, mais parce qu'ils ont permis la venue des participants et par voie de conséquence, la commission de ces délits, en raison de leur contribution à l'organisation de l'évènement, par le choix du site, les informations diffusées et l'ouverture du portail des carrières par effraction. Enfin, les dispositions de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales s'appliquent indépendamment du lieu, public ou privé du rassemblement, de son objet et de son but. Il s'ensuit que les circonstances que la rave-party présenterait les caractéristiques d'un rassemblement festif à caractère musical et qu'elle se soit déroulée sur une propriété privée sont sans incidence l'engagement de la responsabilité de l'Etat.
7. Il résulte de tout ce qui précède que les faits délictueux décrits au point 3 ont été commis à force ouverte par des attroupements et rassemblements au sens dispositions précitées de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales. Le préfet n'est, par suite, pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a engagé la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement de ces dispositions.
I.2. En ce qui concerne les préjudices :
I.2.1. Le préjudice matériel :
8. Il résulte de l'instruction et notamment des devis établis par les sociétés Maximat et Acet 2000 datés des 27 et 28 janvier 2011, non contestés par le préfet, que les coûts TTC de remise en état du portail et le ramassage des déchets consécutifs à la " rave party " s'élèvent respectivement à 24 219 euros et 1 847,82 euros. Compte de la préexistence de tags et de graffitis avant le rassemblement du 31 décembre 2011, il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal administratif de Versailles a fait une inexacte évaluation des frais de nettoyage des murs à l'hydrogommeuse, en réduisant le montant du devis présenté par la société Maximat à la somme de 50 000 euros. Il résulte de ce qui précède que les premiers juges ont donc procédé à une évaluation suffisante de ce préjudice en évaluant la réparation à 74 191,82 euros.
I.2.2. Le préjudice financier :
9. En se bornant à produire un bail commercial conclu le 20 avril 2004 avec la société Datackor, dont la liquidation judiciaire a été prononcée le 26 juin 2007, la SCI des carrières Champ Fleury n'établit pas la réalité de son préjudice tiré de ce que le site ne peut plus accueillir des activités confidentielles de stockage de matériels liés à la sécurité et qu'elle ne peut plus le louer ou le vendre.
I.2.3. Les préjudices moral, de jouissance et d'image :
10. Le préjudice moral lié à l'inquiétude de son gérant de subir une nouvelle intrusion n'est pas personnel à la société requérante et ne peut donc donner lieu à indemnisation à son profit. Si ladite société soutient que, depuis le 31 décembre 2010, elle ne peut plus utiliser le site en raison de état de délabrement, elle ne précise pas, même sommairement, quelles activités ont pris fin ou quels projets elle n'aurait pas pu concrétiser. Il en résulte que la réalité du préjudice de jouissance allégué n'est pas établie. La société n'établit pas davantage l'existence de l'atteinte à son image en se bornant à relever, sans les produire, que de nombreux articles de presse relatant l'évènement lui aurait causé une " publicité néfaste ". Il y a lieu par suite, comme les premiers juges, d'écarter ces chefs de préjudice.
I.3. En ce qui concerne le montant de l'indemnité allouée à la SCI des carrières Champ Fleury :
11. Le préfet fait valoir, à juste titre, qu'il appartient au juge administratif, lorsqu'il détermine le montant et la forme des indemnités allouées par lui, de prendre, au besoin d'office, les mesures nécessaires pour que sa décision n'ait pas pour effet de procurer à la victime d'un dommage, par les indemnités qu'elle a pu ou pourrait obtenir en raison des mêmes faits, une réparation supérieure au préjudice subi.
12. D'une part, le tribunal administratif a réduit le montant à la charge de l'Etat à concurrence de 1 875 euros, représentant la somme versée par les organisateurs de la rave-party à la SCI des carrières Champ Fleury, en exécution du jugement du tribunal correctionnel de Versailles du 19 octobre 2011 qui les a solidairement condamnés à verser à la société, au titre des préjudices subis, la somme de 17 347,82 euros. Il ne résulte pas de l'instruction que les organisateurs ont, à la date du présent arrêt, versé une somme supplémentaire à la société.
13. D'autre part, le tribunal administratif a subordonné d'office le paiement de la somme que l'Etat a été condamné à payer à la SCI des carrières Champ Fleury, à la subrogation de l'Etat, dans la limite de l'indemnité mise à sa charge, dans les droits de la société, qui résultent pour cette dernière des condamnations prononcées à son profit par les tribunaux judiciaires.
14. Il résulte de ce qui précède que ni le préfet des Yvelines, ni la SCI des carrières Champ Fleury dans le cadre de son appel incident, ne sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a condamné l'Etat à verser à la société la somme de 74 191,82 euros, déduction faite des sommes déjà versées par les organisateurs de la rave-party et en subrogeant l'Etat dans les droits de la société dans les conditions rappelées au point précédent.
II. Sur l'appel provoqué de la SCI des carrières Champ Fleury dirigé contre la commune de Mesnil-le-Roi :
15. Ces conclusions, introduites après le délai d'appel, ne seraient recevables que si la situation de leur auteur était aggravée par l'admission de l'appel principal. L'appel principal du préfet des Yvelines étant rejeté, ces conclusions sont irrecevables.
III. Sur les conclusions à fin d'astreinte :
16. L'exécution du présent arrêt, qui rejette les conclusions de l'appel principal et des appels incident et provoqué, n'appelle aucune mesure d'exécution. Les conclusions aux fins d'astreinte présentées par la SCI des carrières Champ Fleury devant la Cour en vue de l'exécution de l'arrêt doivent, dès lors et en tout état de cause, être rejetées.
IV. Sur les frais liés au litige :
17. La SCI des carrières Champ Fleury ne justifiant pas avoir, au cours de l'instance, exposé de dépens, au sens et pour l'application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, les conclusions qu'elle présente à ce titre doivent être rejetées.
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Mesnil-le-Roi, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SCI des carrières Champ Fleury demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, en application de ces mêmes dispositions de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SCI des carrières Champ Fleury et non compris dans les dépens, et de mettre à la charge de cette société la même somme au titre desdits frais exposés par la commune de Mesnil-le-Roi.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet des Yvelines et les conclusions de la SCI des carrières Champ Fleury présentées par la voie de l'appel incident et par la voie de l'appel provoqué sont rejetées.
Article 2 : L'Etat versera à la SCI des carrières Champ Fleury la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La SCI des carrières Champ Fleury versera à la commune de Mesnil-le-Roi la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
N°16VE03339 2