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10/05/2021 | FRANCE | N°18VE01302

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 10 mai 2021, 18VE01302


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Courbevoie a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner in solidum la société entreprise générale Léon Grosse, M. E..., la société Ingerop Conseil et Ingénierie, ces deux derniers pris solidairement, et la société BTP Consultants à lui verser la somme de 859 340,35 euros TTC au titre du coût des travaux et prestations nécessaires pour remédier aux désordres et malfaçons affectant le gymnase G3, de condamner in solidum la société entreprise générale Léon Gro

sse, M. E..., la société Ingerop Conseil et Ingénierie, ces deux derniers pris solid...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Courbevoie a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner in solidum la société entreprise générale Léon Grosse, M. E..., la société Ingerop Conseil et Ingénierie, ces deux derniers pris solidairement, et la société BTP Consultants à lui verser la somme de 859 340,35 euros TTC au titre du coût des travaux et prestations nécessaires pour remédier aux désordres et malfaçons affectant le gymnase G3, de condamner in solidum la société entreprise générale Léon Grosse, M. E..., la société Ingerop Conseil et Ingénierie, ces deux derniers pris solidairement, et la société BTP Consultants à lui verser la somme de 22 189,20 euros TTC au titre des frais et honoraires de l'expertise taxés et liquidés par ordonnance du président du tribunal administratif de Versailles du 26 avril 2017, de condamner in solidum la société entreprise générale Léon Grosse, M. E..., la société Ingerop Conseil et Ingénierie, ces deux derniers pris solidairement, et la société BTP Consultants à lui verser la somme de 98 468,82 euros en remboursement des frais liés aux investigations et études qu'elle a avancés dans le cadre des opérations d'expertise, et de mettre à la charge in solidum de la société entreprise générale Léon Grosse, de M. E..., de la société Ingerop Conseil et Ingénierie, ces deux derniers pris solidairement, et de la société BTP Consultants la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1407198 du 13 février 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné in solidum la société entreprise générale Léon Grosse, M. E..., la société BTP Consultants et la société Ingerop Conseil et Ingénierie à verser à la commune de Courbevoie la somme de 756 520,14 euros TTC, a mis les dépens, d'un montant de 98 311,96 euros TTC, in solidum à la charge définitive de la société entreprise générale Léon Grosse, de

M. E..., de la société BTP Consultants et de la société Ingerop Conseil et Ingénierie, a condamné M. E..., la société BTP Consultants et la société Ingerop Conseil et Ingénierie à garantir la société entreprise générale Léon Grosse à hauteur respectivement de 10 %, de 10 % et de 5 % des sommes susmentionnées, a condamné la société Ingerop Conseil et Ingénierie et la société entreprise générale Léon Grosse à garantir M. E... et la société BTP Consultants à hauteur respectivement de 5 % et de 75 % des sommes susmentionnées, a mis à la charge de la société entreprise générale Léon Grosse, de M. F... E..., de la société BTP Consultants et de la société Ingerop Conseil et Ingénierie la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à la commune de Courbevoie, et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés respectivement les 13 avril 2018,

28 décembre 2018, 28 mars 2019 et 22 juillet 2019, la société entreprise générale Léon Grosse, représentée par Me B..., avocat, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal : de rejeter la demande de la commune de Courbevoie présentée au titre de la responsabilité contractuelle ou de la garantie décennale ;

3°) à titre subsidiaire, d'annuler ce jugement en ce qu'il a condamné les constructeurs, dont la société entreprise générale Léon Grosse, à verser à la commune de Courbevoie la somme de 756 520,14 euros TTC au titre des travaux et de limiter l'indemnité susceptible d'être versée à la commune de Courbevoie au titre des travaux de reprise à la somme de 293 163,85 euros TTC ou, au plus, à la somme de 356 509,05 euros TTC ;

4°) d'annuler ce jugement en ce qu'il a accordé à la commune de Courbevoie, au titre des frais supportés pour la réalisation d'études et d'investigations au cours des opérations d'expertise, une somme de 76 122,76 euros TTC et de limiter cette indemnité à la somme de 5 621,20 euros ;

5°) d'annuler ce jugement en ce qu'il a limité la garantie des autres constructeurs à

25 % des sommes accordées à la commune de Courbevoie, et de condamner in solidum M. E..., la Société Ingerop Conseil et Ingenierie et la société BTP Consultants à garantir la société entreprise générale Léon Grosse de l'ensemble des condamnations éventuellement prononcées à son encontre, et ce sur le fondement de l'article 1382 du code civil, la commune de Courbevoie devant, en sa qualité de conducteur de l'opération, conserver à sa charge une quote-part des indemnités qu'elle sollicite, quote-part qui sera comprise entre 10 et 20 % et ne saurait être inférieure à 10 % des sommes qui lui seront accordées ;

6°) de rejeter comme irrecevables les conclusions d'appel incident de la commune de Courbevoie tendant à obtenir l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à obtenir la condamnation des constructeurs à lui verser la somme de 89 408,88 euros TTC, correspondant au coût de la modification du système de ventilation, ou subsidiairement, de rejeter ces conclusions au fond ;

7°) à titre très subsidiaire, de débouter la commune de Courbevoie de ses conclusions relatives au système de ventilation en ce qu'elle est dirigée à l'encontre de la société entreprise générale Léon Grosse, qui n'a ni réalisé ni conçu ce système ;

8°) de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté à la commune de Courbevoie de ses demandes tendant à obtenir la condamnation des défendeurs à lui rembourser les sommes de 4 664,40 euros TTC au titre des études techniques commandées à la société RFR et 17 680,70 euros TTC au titre des prestations de rééquilibrage aéraulique des installations de traitement d'air, correspondant à de simples opérations de maintenance à la charge du maître d'ouvrage ;

9°) d'ordonner le remboursement à la société entreprise générale Léon Grosse de l'ensemble des sommes réglées en exécution du jugement de première instance ;

10°) et de mettre à la charge de la commune de Courbevoie, ou tout succombant, la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le mémoire présenté le 27 novembre 2018 par la commune de Courbevoie est irrecevable, dès lors qu'aucune pièce ne l'accompagnait ;

- les conclusions d'appel incident de la commune de Courbevoie, relatives à la modification du système de ventilation, sont irrecevables, dès lors qu'elles soulèvent un litige distinct de celui qui fait l'objet de l'appel principal présenté par la société entreprise générale Léon Grosse ;

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la garantie de parfait achèvement n'est pas applicable dès lors que le désordre allégué par la commune de Courbevoie, à savoir une température excessive dans le gymnase G3 au cours de la période estivale, n'a fait l'objet d'aucune réserve lors de la réception le 9 février 2007 ; il est seulement mentionné, dans le procès-verbal des opérations préalables à la réception, une " réserve " sur la valeur du facteur solaire de la façade respirante de ce gymnase, et une chauffe sensible des verres nécessitant de vérifier la conformité de la pose aux documents d'exécution et aux prescriptions techniques du fabricant ; ces mentions doivent être regardées, non comme des réserves au sens de l'article 1792-6 du code civil, mais comme des demandes de renseignements ; il était seulement émis un doute sur la valeur du facteur solaire ; ces " réserves " sont vagues, trop générales et imprécises ; elles ne correspondent pas à la réclamation du maître d'ouvrage concernant la température excessive dans le gymnase G3 ; le maître d'oeuvre a estimé que ces deux " réserves " étaient devenues sans objet à la suite d'un courrier de la société Léon Grosse ; il a invité le maître d'ouvrage à lever toutes les réserves ; le non-respect de la valeur du facteur solaire ne constitue que l'une des causes du désordre invoqué par la commune qui n'a donc pas fait l'objet de réserves lors de la réception ;

- la température excessive dans le gymnase G3 est en réalité un vice apparent, connu de la commune depuis l'été 2006 et lors de la réception, qui a été purgé par cette réception ; la commune de Courbevoie ne peut ainsi davantage invoquer la garantie décennale ;

- à titre subsidiaire, comme le relève l'expert, l'impropriété du gymnase à sa destination ne concerne que quelques jours en période estivale lorsque les élèves sont en vacances ; le désordre ne relève pas de la garantie décennale ;

- les travaux de reprise préconisés par la commune, consistant à remplacer la façade concernée, pour un montant de 862 061,30 euros TTC, est excessive et ne correspond pas au programme initial des travaux et conduirait à dénaturer l'architecture existante ; la pose d'un film sur les vitrages, solution moins coûteuse, permettrait en revanche de conserver la façade existante et d'obtenir le facteur solaire prévu par le contrat ; ces travaux s'élèveraient à la somme de 293 163,85 euros TTC ou, au plus, à la somme de 356 509,05 euros TTC ;

- les conclusions de la commune de Courbevoie tendant à obtenir la somme de 89 408,88 euros TTC au titre du système de ventilation doivent être en tout état de cause rejetées, dès lors que ce système n'a fait l'objet d'aucune réserve lors de la réception ; la responsabilité contractuelle du constructeur ne peut être engagée pas plus que la garantie décennale dès lors qu'il s'agit d'un problème de maintenance ; si la commune invoque un problème de conception de ce système, la société Léon Grosse y est totalement étrangère et les services de la ville qui ont joué un rôle d'AMO n'ont émis aucune réserve sur la solution technique proposée ;

- la commune de Courbevoie ne justifie pas des frais supportés pour la réalisation d'études et d'investigations au cours des opérations d'expertise ; en tout état de cause, ces frais devront être limités à la somme de 5 621,20 euros retenue par l'architecte ; les frais d'études techniques d'un montant de 4 664,40 euros demandés par la commune sont sans lien avec l'expertise ; la somme de 17 680,66 euros qu'elle demande concerne la maintenance du système de chauffage-ventilation ;

- le partage de responsabilités retenu par l'expert n'est pas cohérent par rapport aux causes des désordres qu'il a identifiées ; la commune de Courbevoie doit, en sa qualité de conducteur de l'opération, conserver à sa charge une quote-part des indemnités qu'elle sollicite, qui sera comprise entre 10 et 20 % ; la responsabilité de la société entreprise générale Léon Grosse ne saurait être retenue, dès lors qu'elle n'a assumé ni la conception ni l'exécution des travaux litigieux, cette dernière ayant été prise en charge par son sous-traitant.

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de M. Clot, rapporteur public,

- les observations de Me B..., pour la société entreprise générale Léon Grosse et celles de Me G..., pour la commune de Courbevoie.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre d'une opération de construction d'un complexe omnisports, doté notamment de trois gymnases, la commune de Courbevoie a attribué en 2002 un marché de maîtrise d'oeuvre à un groupement solidaire composé, notamment, de M. F... E..., architecte et mandataire du groupement, et d'un bureau d'études techniques, la société Ingerop. Une mission de contrôle technique a été confiée à la société BTP Consultants. Par un acte d'engagement signé en 2004, la commune de Courbevoie a confié les travaux de construction à la société entreprise générale Léon Grosse. La réception des travaux, assortie de réserves concernant le gymnase G3, a eu lieu le 9 février 2007. Par une ordonnance n° 0905806 du

20 juillet 2009, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a ordonné, à la demande de la commune de Courbevoie, une expertise confiée à M. C... puis à M. A..., lequel a remis son rapport le 30 mars 2017. La société entreprise générale Léon Grosse fait appel du jugement du 13 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a partiellement fait droit aux conclusions de la commune de Courbevoie tendant à ce qu'elle soit condamnée in solidum avec M. E..., la société Ingerop et la société BTP Consultants à l'indemniser des préjudices résultant de l'exécution de ces travaux. Par la voie d'appel incident, la commune de Courbevoie demande la réformation du jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'ensemble de ses conclusions. M. E... et la société BTP Consultants demandent à ce que la société entreprise générale Léon Grosse et la société Ingerop les garantissent solidairement de toute condamnation qui pourrait être prononcée à leur encontre.

Sur les fins de non-recevoir invoquées par la société entreprise générale Léon Grosse :

2. Les conclusions incidentes de la commune de Courbevoie tendant à l'indemnisation des travaux de reprise du système de ventilation ne soulèvent pas un litige distinct de celui faisant l'objet de l'appel de la société Léon Grosse. En outre, si le mémoire de la commune enregistré le 26 novembre 2018 n'était assorti d'aucune pièce nouvelle par rapport à celles figurant dans le dossier de première instance, cette circonstance est sans incidence sur la recevabilité de ses conclusions. Par suite, les fins de non-recevoir invoquée par la société Léon Grosse doivent être écartées.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Si la société requérante soutient que le jugement attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, un tel moyen, qui se rattache au bien-fondé du raisonnement suivi par le tribunal, n'est pas de nature à affecter la régularité du jugement.

Sur le fondement de responsabilité :

4. La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve et qu'elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. En l'absence de stipulations particulières prévues par les documents contractuels, lorsque la réception est prononcée avec réserves, les rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs ne se poursuivent qu'au titre des travaux ou des parties de l'ouvrage ayant fait l'objet des réserves.

5. Il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport d'expertise remis le 30 mars 2017, que des températures importantes ont été relevées dès 2006 dans le gymnase G3 au cours de la période estivale, pouvant atteindre 32,5 °C alors même que ce bâtiment ne recevait pas de public et que la température extérieure n'excédait pas 29 °C. Après avoir considéré que ces températures étaient de nature à rendre le bâtiment impropre à sa destination pendant les périodes de fortes chaleurs, et dans une moindre mesure le reste de l'année lorsque le soleil frappe directement la façade, l'expert a estimé que ce désordre avait pour cause principale une " importante surface vitrée d'environ 510 m² ", orientée sud sud-est, " dont le facteur solaire est en réalité de 0,35 au lieu de 0,25 comme prévu dans le marché de l'entreprise ", circonstance aggravée par " l'absence d'ouvrant en façade " et une " ventilation minimale avec un recyclage de récupération qui empêche le rafraichissement l'été ".

6. La décision de réception du 4 avril 2007 qui renvoie au procès-verbal des opérations préalables à la réception du 9 février 2007, mentionne, d'une part, une " réserve " sur la valeur du facteur solaire de la façade respirante du gymnase G3 et, d'autre part, une " chauffe sensible des verres " nécessitant de vérifier la conformité de la pose aux documents d'exécution et aux prescriptions techniques du fabricant.

7. Contrairement aux affirmations de la société entreprise générale Léon Grosse, les mentions suffisamment précises ainsi portées au procès-verbal des opérations préalables à la réception doivent être regardées comme constituant des réserves au sens des stipulations de l'article 41.6 du CCAG Travaux. Alors même que dans un courrier du 11 juillet 2008, le maître d'oeuvre a estimé que ces réserves avaient été levées, il n'est pas sérieusement contesté que la personne responsable du marché n'a pas levé ces réserves. Dans ces conditions, la commune de Courbevoie est fondée à demander, à titre principal, l'engagement de la responsabilité contractuelle des constructeurs au titre des travaux ou partie de l'ouvrage ayant fait l'objet des réserves.

8. La commune sollicite, à titre subsidiaire, la mise en oeuvre des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs selon lesquels des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans.

9. Toutefois, les travaux ayant fait l'objet d'une réserve non levée lors de la réception, celle-ci fait obstacle à la mise en oeuvre de cette garantie. En outre, il résulte de l'instruction, en particulier des courriers de la commune de Courbevoie des 17 janvier 2007 et 9 mars 2007, que les désordres liés aux températures très élevées observées dans le gymnase G3, étaient connus dans toute leur ampleur avant la réception des travaux. Dans ces conditions, ces désordres étant apparents lors de la réception, la commune de Courbevoie n'est pas fondée à demander, à titre subsidiaire, la condamnation des constructeurs au titre des principes régissant la garantie décennale.

Sur les fautes :

En ce qui concerne la société entreprise générale Léon Grosse :

10. La surface vitrée du gymnase G3, d'une surface d'environ 510 m², est composée de 102 éléments pour lesquels l'article 6.2.6.3 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) prévoit un facteur solaire maximum de 0,25, conformément aux résultats de la pré-étude thermique réalisée par la société Ingerop.

11. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que le facteur solaire du vitrage mis en place lors des travaux est en réalité compris entre 0,35 et 0,37, en raison d'erreurs dans le choix du produit et les calculs, commis par la société SHMM, sous-traitant de la société entreprise générale Léon Grosse, laquelle ne conteste pas lesdites erreurs. Il résulte en outre de l'instruction, d'une part, que la société entreprise générale Léon Grosse et son sous-traitant n'ont pas procédé à des essais en laboratoire sur le vitrage, en méconnaissance des stipulations de l'article 6.1.6. du CCTP et, d'autre part, qu'ils n'ont pas communiqué la note de calcul du facteur solaire à la société BTP Consultants, contrairement aux stipulations de l'article 6.1.5 du même cahier.

12. Dans ces conditions, et alors que l'entrepreneur principal est personnellement responsable du respect de ses obligations contractuelles, y compris lorsqu'il a recours à un sous-traitant, conformément à l'article 2.48 du CCAG Travaux, auquel renvoie l'article 1.2.2. du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché, la société entreprise générale Léon Grosse a commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle vis-à-vis de la commune de Courbevoie.

En ce qui concerne M. E... et la société Ingerop :

13. Il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit, que la maîtrise d'oeuvre de l'opération a été confiée à un groupement solidaire composé, notamment, de M. F... E..., architecte et mandataire du groupement, et d'un bureau d'études techniques, la société Ingerop. L'annexe 1 de la convention de cotraitance signée le 31 octobre 2001, qui définit les missions respectives des membres du groupement, prévoit notamment que M. E..., solidaire de l'exécution par les autres membres de leurs obligations contractuelles, est chargé de la réalisation des plans des façades, de la vérification de la conformité technique des offres, du contrôle de la conformité au projet des études d'exécution et de synthèse, de la direction de l'exécution des travaux (DET), de la vérification technique et générale de l'exécution des travaux conformément aux pièces contractuelles, des réunions et visites de chantier et de l'assistance au maître d'ouvrage pour la réception des travaux. Cette même annexe prévoit par ailleurs que la société Ingerop est chargée de la réalisation des schémas de principes techniques, du génie climatique, de la vérification du respect de la réglementation relative aux aspects thermiques, de la vérification technique et générale de l'exécution des travaux conformément aux pièces contractuelles, des réunions et visites de chantier, et de l'assistance au maître d'ouvrage pour la réception des travaux.

14.Si la maîtrise d'oeuvre a émis lors de la réception des travaux une réserve sur la valeur du facteur solaire et mentionné une " chauffe sensible des verres " nécessitant de vérifier la conformité de la pose aux documents d'exécution et aux prescriptions techniques du fabricant, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que ni M. E..., ni la société Ingerop n'ont exigé, conformément à leurs missions énoncées ci-dessus, la réalisation d'essais thermiques préalablement à la réalisation de cette façade. En outre, il résulte de l'instruction que la société Ingerop a apposé son visa (n° 18-069) sur la note de calcul établie par la société SHMM. Enfin, si M. E... soutient que la maîtrise d'oeuvre a en tout état de cause demandé des essais qui ont été réalisés, en application de l'article 6.1.6 du CCTP du lot n° 6, il ne l'établit par aucune pièce. Dans ces conditions, M. E... et la société Ingerop ont commis une faute de nature à engager leur responsabilité contractuelle.

15.En revanche, s'agissant du système de ventilation, l'expert a estimé que " l'ensemble ventilation, extraction, couplé avec les ouvrants en façade auraient permis de réduire les températures dans le gymnase " et que la " ventilation minimale avec un recyclage de récupération empêche le rafraichissement l'état ". Ces constatations ne sont pas de nature à établir que la maîtrise d'oeuvre aurait commis une faute quelconque lors de la conception du système de ventilation. Dans ces conditions, et alors que l'expert a par ailleurs relevé une utilisation incorrecte du système ainsi que des problèmes de maintenance, la commune de Courbevoie n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de M. E... et de la société Ingerop sur ce point.

En ce qui concerne de la société BTP Consultants :

16. La société BTP Consultants soutient que sa responsabilité ne saurait être engagée, sa mission consistant seulement à donner un avis sur la capacité de l'ouvrage à satisfaire aux prescriptions réglementaires relatives à l'isolation thermique et aux économies d'énergie, qu'il ne peut lui être reproché de n'avoir formulé aucune observation sur l'absence d'ouvrants en façade, dès lors que ce sont les caractéristiques thermiques de la façade concernée qui sont en cause, et non sa conception architecturale, et qu'elle n'a pas été destinataire des notes de calcul du facteur solaire établies par les sociétés SHMM et Ingerop.

17.Toutefois, il résulte de l'article 1er de son acte d'engagement signé le 8 octobre 2002 que la société BTP Consultants était chargée d'une mission de contrôle technique portant sur l'isolation thermique du complexe sportif en cause, consistant notamment en un contrôle au cours de la phase de conception, un contrôle des documents d'exécution, un contrôle sur chantier de la bonne réalisation des ouvrages, des vérifications finales en vue de la réception de l'ouvrage, des essais, ainsi que des avis au maître d'ouvrage pendant l'année de garantie de parfait achèvement. En outre, il résulte de l'article 3 de cet acte qu'il appartenait à la société BTP Consultants de consulter l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de sa mission et d'en demander le cas échéant la communication au maître de l'ouvrage, et de signaler à ce dernier tous les essais jugés nécessaires. Il n'est pas sérieusement contesté que la société BTP Consultants n'a formulé aucune observation concernant l'absence d'ouvrants en façade ou la nécessité de procéder à des essais sur le vitrage avant sa pose. Enfin, si la société BTP Consultants fait valoir que la société SHMM et la société Ingerop ne lui ont pas fourni les notes de calcul relatives au facteur solaire du vitrage, il résulte de ce qui précède qu'elle aurait dû en demander la communication. Dans ces conditions, la société BTP Consultants a commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle.

En ce qui concerne la commune de Courbevoie :

18. Si la société Ingerop soutient que la responsabilité de la commune de Courbevoie est engagée, à hauteur de 20 % au moins, dès lors qu'en l'absence d'assistant à maître d'ouvrage, ses propres services ont assuré la conduite de l'opération, il résulte des éléments exposés ci-dessus que les désordres constatés sont imputables aux seules actions de la société entreprise générale Léon Grosse, de la maîtrise d'oeuvre et du contrôleur technique. En outre, si l'expert a pu relever, s'agissant de la commune, une utilisation incorrecte du système de ventilation ainsi que des problèmes de maintenance, ces seules circonstances, de surcroît temporaires, ne sauraient être regardées comme des fautes de nature à engager la responsabilité de la commune de Courbevoie.

19. Il résulte de ce qui précède que la commune de Courbevoie est fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de la société entreprise générale Léon Grosse, de M. E..., de la société Ingerop et de la société BTP Consultants. Chacune de leurs fautes ayant contribué à la survenance de l'entier dommage subi par la commune, cette dernière est fondée à demander leur condamnation in solidum.

Sur les préjudices :

20. Au titre de la responsabilité contractuelle des constructeurs, la commune de Courbevoie a droit à l'indemnisation de l'ensemble des travaux nécessaires pour rendre l'ouvrage conforme aux prévisions du marché, et non des seuls travaux de reprise permettant de faire disparaître les manifestations des désordres.

21. En premier lieu, si la société entreprise générale Léon Grosse, M. E..., la société Ingerop et la société BTP Consultants soutiennent que la pose d'un film sur les vitrages permettrait de conserver la façade existante et d'obtenir le facteur solaire prévu par le contrat, cette solution, limitée dans le temps (dix ou vingt ans) et entraînant une baisse de la luminosité dans le gymnase, ne permet pas de rendre l'ouvrage conforme aux prévisions du marché et doit être écartée. La commune de Courbevoie est ainsi fondée à demander l'installation d'une nouvelle façade vitrée dotée d'un facteur solaire adéquat, seule solution de nature à rendre l'ouvrage conforme aux prévisions du marché. A cet égard, si la société entreprise générale Léon Grosse, M. E..., la société Ingerop et la société BTP Consultants contestent, ainsi qu'il a été dit, la solution préconisée par la commune de Courbevoie d'un point de vue technique, elles ne contestent pas en appel le montant de l'indemnité accordée sur ce point par le tribunal, fixée à la somme de 756 520,14 euros TTC. En revanche, les conclusions de la commune de Courbevoie tendant à ce que les constructeurs soient condamnés à lui verser la somme de 89 408,88 euros au titre de travaux de modification du système de ventilation doivent en tout état de cause être rejetées en l'absence de toute faute des constructeurs.

22. En second lieu, la commune de Courbevoie demande le remboursement d'une somme de 98 468,82 euros TTC correspondant à des frais qu'elle a supportés pour la réalisation d'études et d'investigations qui auraient été utiles à l'expertise. La société entreprise générale Léon Grosse, M. E..., la société Ingerop et la société BTP Consultants soutiennent que c'est à tort que les premiers juges ont mis à leur charge la somme de 76 122,76 euros au titre de ces frais. A cet égard, si la commune de Courbevoie verse au dossier plusieurs factures et un courrier justifiant ces dépenses, il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport de l'expert, que seules les études techniques réalisées dans le cadre de l'expertise, pour un montant de

5 621,20 euros TTC, la mission d'expertise thermique, pour un montant de 4 214,63 euros HT, ainsi que deux études techniques pour des montants, respectivement, de 20 164,56 euros TTC

et 4 664,40 euros TTC, présentent un lien direct avec les désordres et ont été utiles dans le cadre des opérations d'expertise. Par suite, la commune de Courbevoie est seulement fondée à solliciter la somme totale de 35 490,86 euros TTC.

Sur les appels en garantie :

23. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que les désordres susmentionnés affectant le gymnase G3 proviennent pour l'essentiel d'un défaut d'exécution des travaux. Ces désordres révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la société entreprise générale Léon Grosse vis-à-vis de M. E... et de la société BTP Consultants. Toutefois, ces désordres procèdent également, ainsi qu'il a été dit, d'un défaut de conception de l'ouvrage et d'une défaillance dans le suivi des travaux, imputables à M. E..., à la société Ingerop et à la société BTP Consultants. En revanche, et contrairement aux affirmations de la société entreprise générale Léon Grosse, aucune faute ne peut être imputée à la commune de Courbevoie, ainsi qu'il a été dit au point 17 ci-dessus.

24. Dans les circonstances de l'espèce, compte tenu des fautes respectives de l'entreprise de travaux, de M. E..., de la société Ingerop et du contrôleur technique, c'est à bon droit que le tribunal a condamné, d'une part, la société Ingerop et la société entreprise générale Léon Grosse à garantir M. E... et la société BTP Consultants à hauteur, respectivement, de 5 % et 75 % du montant de l'ensemble des condamnations résultant du jugement attaqué et, d'autre part, M. E... et la société BTP Consultants à garantir la société entreprise générale Léon Grosse à hauteur, respectivement de 10 % et 10 %, de ces mêmes condamnations.

25. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société entreprise générale Léon Grosse, M. E..., la société Ingerop, la société BTP Consultants sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a mis à leur charge in solidum dans son article 2 une somme excédant celle de 57 680,06 euros TTC, correspondant aux honoraires de l'expert, taxés et liquidés à la somme de 22 189,20 euros TTC, non contestés en appel, et à la somme de 35 490,86 euros résultant du point 22 ci-dessus.

Sur les frais liés à l'instance :

26. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la société entreprise générale Léon Grosse, M. E..., la société BTP Consultants, la société Ingerop et la commune de Courbevoie au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 98 311,96 euros TTC mise à la charge in solidum de la société entreprise générale Léon Grosse, de M. E..., de la société Ingerop et de la société BTP Consultants par l'article 2 du jugement n° 1407198 du 13 février 2018 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est ramenée à la somme de 57 680,06 euros TTC.

Article 2 : Le jugement n° 1407198 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 13 février 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

N° 18VE01302 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE01302
Date de la décision : 10/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Exécution technique du contrat - Conditions d'exécution des engagements contractuels en l'absence d'aléas - Marchés - Mauvaise exécution.

Marchés et contrats administratifs - Rapports entre l'architecte - l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage - Responsabilité contractuelle.


Composition du Tribunal
Président : M. CAMENEN
Rapporteur ?: M. Thierry ABLARD
Rapporteur public ?: M. CLOT
Avocat(s) : SELARL LAMBARD et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 25/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-05-10;18ve01302 ?
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