Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 7 septembre 2021 par lequel le préfet de l'Essonne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pendant une durée de trois ans.
Par un jugement n° 2107894 du 25 octobre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Versailles a annulé l'arrêté du 7 septembre 2021 et enjoint au préfet de l'Essonne ou au préfet territorialement compétent, d'une part, de réexaminer la situation de M. B..., dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour et, d'autre part, de prendre toute mesure propre à mettre fin au signalement de M. B... dans le système d'information Schengen procédant de l'interdiction de retour du 7 septembre 2021.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 19 novembre 2021, le préfet de l'Essonne demande à la Cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de première instance de M. B....
Il soutient que :
- le requérant, dont le passeport indique qu'il est entré en Allemagne le 20 février 2018, doit être regardé comme étant entré en France à cette date, soit depuis plus de trois mois, sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, et relève ainsi des dispositions du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'ensemble du comportement du requérant constitue en outre une menace pour l'ordre public ;
- le requérant, qui utilise des alias, s'est vu refuser le bénéfice de l'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 15 avril 2019 et a déjà fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français édictée par le préfet des Pyrénées-Orientales le 9 mars 2020.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 avril 2022, M. B... représenté par Me Onillon, avocate, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il n'y ait lieu à aucun frais ou dépens à sa charge.
Il soutient :
- qu'il disposait d'un passeport ;
- qu'il résidait en France depuis moins de trois mois à la date de la décision attaquée ;
- et qu'il ne représente pas une menace à l'ordre public.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 signée le 19 juin 1990 ;
- le règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation et le règlement (UE) n° 2017/372 du Parlement européen et du Conseil du 1er mars 2017 le modifiant ;
- le règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 modifié concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... ressortissant géorgien, né le 1er mars 1997 à Khashuri (Géorgie), a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai par arrêté du préfet de l'Essonne du 7 septembre 2021, assortie d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans assortie d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen pour la durée de l'interdiction de retour. Par un jugement du 25 octobre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Versailles a annulé cet arrêté. Le préfet de l'Essonne fait appel de ce jugement.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. D'une part, aux termes de l'article 6 du règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), définissant les conditions d'entrée pour les ressortissants de pays tiers : " 1. Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d'une durée n'excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, ce qui implique d'examiner la période de 180 jours précédant chaque jour de séjour, les conditions d'entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes: / a) être en possession d'un document de voyage en cours de validité autorisant son titulaire à franchir la frontière (...) / b) être en possession d'un visa en cours de validité si celui-ci est requis en vertu du règlement (CE) no 539/2001 du Conseil (...) / (...) / 2. Pour l'application du paragraphe 1, la date d'entrée est considérée comme le premier jour de séjour sur le territoire des États membres (...) ". Aux termes du 1°) de l'article 20 de la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 signée le 19 juin 1990 : " Les étrangers non soumis à l'obligation de visa peuvent circuler librement sur les territoires des Parties Contractantes pendant une durée maximale de trois mois au cours d'une période de six mois à compter de la date de première entrée (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : / 1° Sauf s'il est exempté de cette obligation, des visas exigés par les conventions internationales et par l'article 6, paragraphe 1, points a et b, du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ; / (...) 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ".
4. Le tribunal administratif a annulé la décision du 7 septembre 2021 portant obligation de quitter le territoire français puis, par voie de conséquence, les autres décisions attaquées, au motif que la situation du requérant, qui séjournait, à la date de son édiction, depuis moins de trois mois après son entrée régulière en France, ne relevait pas des dispositions du 1° ou du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que son comportement ne pouvant être regardé comme étant de nature à caractériser une menace actuelle pour l'ordre public, il ne relevait pas non plus du 5° de l'article L. 611-1 du même code de l'entrée, ni au demeurant d'aucune autre disposition de cet article.
5. Toutefois, si le règlement du Parlement européen et du Conseil transférant la Géorgie de l'annexe I (pays soumis à l'obligation de visa) à l'annexe II (pays dispensés de l'obligation de visa) du règlement 539/2001, entré en vigueur le 28 mars 2017, dispense les ressortissants géorgiens titulaires d'un passeport biométrique de moins de 10 ans, de visa de court séjour pour se rendre dans l'espace Schengen, cette dispense ne vaut que pour les séjours de moins de 90 jours et ne donne en outre pas automatiquement un droit d'entrée sur le territoire français, les ressortissants géorgiens devant être en mesure de présenter à la police aux frontières les documents permettant de justifier du motif et des conditions du séjour en application notamment l'article 6 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen). M. B... produit un passeport biométrique délivré par les autorités géorgiennes le 9 février 2018, valable jusqu'au 9 février 2028, sur lequel est apposé un tampon d'entrée dans l'espace Schengen (DOF) à Memmingen (Allemagne) à la date du 20 février 2018. M. B... n'apporte aucune preuve de ce qu'il aurait présenté aux autorités françaises les documents permettant de justifier du motif et des conditions de son séjour en application notamment l'article 6 précité du règlement (UE) 2016/399, ni qu'il aurait quitté l'espace Schengen et y serait rentré depuis moins de 90 jours sur la période de 180 jours prévue par ces dispositions à la date de la décision contestée le 7 septembre 2021, alors qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment de la fiche telemofpra et de l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français prise par le préfet des Pyrénées-Orientales le 9 mars 2020, produites à l'appui de la requête d'appel et non contestées, qu'il s'est présenté le 16 mars 2018 auprès de la préfecture de l'Hérault aux fins de solliciter son admission au séjour au titre de l'asile, qu'il y a été interpellé les 21 et 24 avril 2018 par les forces de l'ordre et que la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 15 avril 2019 rejetant sa demande d'asile lui a été notifiée par voie postale le 15 mai suivant à une adresse en France. Il n'apporte pas davantage la preuve qu'il disposerait d'un titre de séjour délivré par les autorités allemandes ou toute autre autorité d'un pays de l'espace Schengen. Dans ces conditions, M. B... doit être regardé comme s'étant maintenu irrégulièrement dans le territoire des Etats membres au-delà d'un délai de 90 jours à compter, au plus tard, du 20 février 2018, date de son entrée en Allemagne. Par suite, il entrait dans le champ d'application du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et le préfet de l'Essonne pouvait, pour ce seul motif, procéder à son éloignement.
6. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier, et notamment de la fiche pénale et du décadactylaire relatif à M. B..., non contestés, qu'il s'est permis l'usage de plusieurs alias auprès des autorités françaises, qu'il a fait l'objet de plusieurs signalements entre 2018 et 2021 pour vol en réunion avec violence, violence commise en réunion sans incapacité et vol en réunion sans violence, et qu'il a été condamné le 22 novembre 2018 par le tribunal correctionnel de Perpignan à 6 mois d'emprisonnement pour vol en réunion. L'intéressé constitue ainsi, eu égard à la gravité des faits et à leur caractère répété, une menace à l'ordre public. Il entrait ainsi également dans le champ d'application du 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et le préfet de l'Essonne pouvait également, pour ce seul motif, procéder à son éloignement.
7. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur ce que M. B... ne pouvait légalement faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise sur le fondement du 2° ou du 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour annuler la décision du 7 septembre 2021 lui faisant obligation de quitter le territoire français, ainsi que par voie de conséquence, les décisions du même jour refusant de lui accorder un délai, fixant le pays de destination et lui faisant interdiction de retourner sur le territoire français pendant une durée de trois ans.
8. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Versailles.
Sur la légalité de la décision refusant un délai de départ volontaire :
9. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ; 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, (...) qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale (...) ".
10. Si M. B... conteste le risque de fuite sur lequel le préfet s'est fondé pour refuser de lui accorder un délai de départ volontaire, il ressort toutefois de ce qui a été dit aux points 5 et 6 du présent arrêt ainsi que des pièces du dossier, et notamment de ses déclarations du 27 août 2020 aux services de police, que le comportement de l'intéressé constitue une menace pour l'ordre public, qu'il s'est déjà soustrait à une décision portant obligation de quitter le territoire français et que s'il dispose d'un passeport biométrique en cours de validité, il est sans domicile fixe. Dès lors, en estimant que M. B... risquait de se soustraire à la décision d'éloignement qu'il prononçait à son encontre et en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, le préfet de l'Essonne n'a pas méconnu les dispositions précitées.
Sur la légalité de la décision la décision fixant le pays de destination :
11. A supposer même que M. B... ait entendu soutenir à l'encontre de la décision susmentionnée qu'il serait exposé à des risques en cas de retour en Géorgie, il n'apporte aucun élément circonstancié ni aucune pièce de nature à établir cette allégation, alors d'ailleurs que sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'OFPRA du 15 avril 2019 devenue définitive en l'absence de saisine de la Cour nationale du droit d'asile. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Versailles doit être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Versailles n° 2107894 du 25 octobre 2021 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Versailles est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... B....
Copie en sera adressée au préfet de l'Essonne.
Délibéré après l'audience du 24 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Even, président de chambre,
Mme Bruno-Salel, présidente-assesseure,
Mme Houllier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2022.
La rapporteure,
C. C...
Le président,
B. EVEN
La greffière,
C. RICHARD
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 21VE03142