Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Tradi Art Construction a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, pour un montant global de 143 346 euros, correspondant à la remise en cause de la déduction de taxe sur la valeur ajoutée facturée par la SARL Nell Bat pour la réalisation de cinq chantiers au cours des années 2013 et 2014.
Par un jugement n° 1806546 du 22 janvier 2021, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 23 mars 2021, le 1er octobre 2021 et le 5 septembre 2022, la société Tradi Art Construction, représentée par Me Jarrige, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier car entaché d'erreurs de fait et d'omission à statuer sur le moyen tiré de ce que l'administration n'établissait pas sa connaissance préalable du schéma de fraude à la TVA ;
- la procédure d'imposition est irrégulière, dès lors que le vérificateur s'est refusé à tenir un débat oral et contradictoire sur les deux motifs principaux justifiant la remise en cause du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, à savoir l'impossibilité par la société Nell Bat de rendre la prestation et le caractère de complaisance de ses factures ;
- l'administration fiscale n'apporte pas la preuve que la société Nell Bat ne pouvait rendre elle-même la prestation, qu'un tiers a rendu la prestation au lieu et place de cette société et que la société Tradi Art Construction savait ou aurait dû savoir qu'elle était impliquée dans une fraude à la TVA ;
- le manquement délibéré n'est pas établi, dès lors qu'elle n'avait pas été informée de ce que la société Nell Bat était fiscalement défaillante et qu'elle n'avait pas les moyens humains lui permettant de réaliser les travaux confiés.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 30 août 2021, le 5 septembre 2022 et le 11 octobre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société Tradi Art Construction ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 10 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 25 octobre 2022 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Bobko, rapporteure publique,
- et les observations de Me Jarrige, représentant la société Tradi Art Construction.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Tradi Art Construction, anciennement Bâtir Construction, qui exerce une activité de travaux de construction générale et de promotion de programmes immobiliers, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, au titre de la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 à l'issue de laquelle ont été mis à sa charge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, pour un montant global de 143 346 euros, correspondant à la remise en cause de la déduction de taxe sur la valeur ajoutée facturée par la SARL Nell Bat pour la réalisation de cinq chantiers au cours des années 2013 et 2014. Elle relève appel du jugement n° 1806546 du 22 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, de ces rappels.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si la SAS Tradi Art Construction soutient que le jugement serait entaché d'erreurs de fait, un tel moyen a trait au bien-fondé du jugement et n'est pas susceptible de remettre en cause sa régularité.
3. La société requérante soutient également que les premiers juges auraient omis de répondre au moyen tiré de ce que l'administration n'établissait pas sa connaissance préalable du schéma de fraude à la TVA. Toutefois, ce moyen est bien visé par les premiers juges qui y répondent au point 8 du jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
4. Dans le cas où la vérification de la comptabilité d'une entreprise a été effectuée dans ses locaux, ou bien, à la demande du contribuable, dans les locaux où se trouvent les documents comptables, il appartient au contribuable qui allègue que les opérations de vérification ont été conduites sans qu'il ait eu la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur, de justifier que ce dernier se serait refusé à un tel débat. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la vérification de comptabilité s'est déroulée, à la demande de la société Tradi Art Construction, dans les bureaux de son expert-comptable, et que le vérificateur y est intervenu à neuf reprises entre le 19 février 2016 et le 1er décembre 2016. La tenue du débat oral et contradictoire est ainsi présumée.
5. La société requérante soutient que ce principe a été méconnu au motif que le vérificateur n'a pas présenté, avant l'envoi de la proposition de rectification du 13 décembre 2016, les motifs de refus de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux factures de la société Nell Bat. Toutefois, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose au vérificateur de donner au contribuable, avant l'envoi de la proposition de rectification, une information sur les rectifications qu'il pourrait envisager. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que le vérificateur avait sollicité, par courrier du 1er avril 2016, plusieurs documents relatifs aux sous-traitants et que son courrier du 26 août 2016 mentionnait la " TVA déduite à tort sur 2013 et 2014 pour les sous-traitants Nell Bat et ESB ". Le contenu du courriel du 15 novembre 2016 envoyé par l'expert-comptable de la société Tradi Art Construction à l'administration fiscale démontre que la société requérante était suffisamment informée des griefs retenus à son encontre. Par suite, la société Tradi Art Construction n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, de la méconnaissance du débat oral et contradictoire. Le moyen doit être écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
6. D'une part, en vertu des dispositions combinées des articles 271, 272 et 283 du code général des impôts, un contribuable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui n'est pas le fournisseur réel de la marchandise ou de la prestation effectivement livrée ou exécutée. Dans le cas où l'auteur de la facture est régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés, assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée et se présente comme tel à ses clients, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y est mentionnée, d'établir qu'il s'agit d'une facture de complaisance et que le contribuable le savait ou ne pouvait l'ignorer. Si l'administration apporte des éléments suffisants en ce sens, il appartient alors au contribuable d'apporter toutes justifications utiles sur cette opération, sans qu'il ne puisse être exigé de lui des vérifications qui ne lui incombent pas.
7. D'autre part, la Cour de justice de l'Union européenne a rappelé à plusieurs reprises que le bénéfice du droit à déduction doit être refusé non seulement lorsqu'une fraude est commise par l'assujetti lui-même, mais également lorsqu'il est établi que l'assujetti, auquel les biens ou les services servant de base pour fonder le droit à déduction ont été livrés ou fournis, savait ou aurait dû savoir que, par l'acquisition de ces biens ou de ces services, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA (arrêts du 6 juillet 2006, Kittel et Recolta Recycling, C-439/04 et C-440/04, EU:C:2006:446, point 59 ; du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, EU:C:2012:373, point 45 ; du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary, C-189/18, EU:C:2019:861, point 35 et jurisprudence citée, ainsi que ordonnance du 14 avril 2021, Finanzamt Wilmersdorf, C-108/20, EU:C:2021:266, point 22).
8. De troisième part, aux termes de l'article L. 8222-1 du code du travail : " Toute personne vérifie lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat, que son cocontractant s'acquitte : / 1° des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 (...) ". L'article R. 8222-1 de ce même code dispose : " Les vérifications à la charge de la personne qui conclut un contrat, prévues à l'article L. 8222-1, sont obligatoires pour toute opération d'un montant au moins égal à 5 000 euros hors taxes. ". Aux termes de l'article D. 8222-5 de ce même code : " La personne qui contracte, lorsqu'elle n'est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l'article D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l'article L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu'à la fin de son exécution : / 1° Une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l'article L. 243-15 émanant de l'organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s'assure de l'authenticité auprès de l'organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale (...) ".
9. Il est constant que la société Tradi Art Construction a contracté avec la société Nell Bat pour qu'elle intervienne sur cinq chantiers au cours des années 2013 et 2014, pour des montants facturés de 544 951,96 euros et 12 102,73 euros au titre respectivement de chacune de ces années. La société Nell Bat, qui a cessé son activité par dissolution anticipée le 13 janvier 2016, n'avait déposé aucune déclaration au titre de la taxe sur la valeur ajoutée et de l'impôt sur les sociétés en 2013 et 2014. La société Tradi Art Construction ne conteste pas la défaillance déclarative de la société Nell Bat mais soutient que l'administration n'a pas démontré, d'une part, que la société Nell Bat n'avait pas réalisé les travaux qui lui étaient confiés et d'autre part, qu'elle savait ou ne pouvait ignorer que les factures de cette société étaient de complaisance.
10. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société Nell Bat n'avait déclaré que trois salariés pour une masse salariale de 15 670 euros en 2013 et deux salariés pour une masse salariale de 3 836 euros en 2014. Cette masse salariale était insuffisante pour la réalisation des cinq chantiers qui lui étaient confiés, quand bien même ceux-ci ne se dérouleraient pas simultanément, ainsi que l'allègue la société requérante sans pour autant l'établir. Si la requérante soutient que la société Nell Bat a elle-même eu recours à un sous-traitant dénommé Pavicorfel, elle avance cet argument pour la première fois au niveau de l'appel et produit deux factures de la société Pavicorfel dont les montants minimes, de 13 880 euros HT et 17 780,81 euros HT, ne permettent pas de remettre en cause l'appréciation de l'administration en ce qui concerne l'impossibilité pour la société Nell Bat d'avoir réalisé les travaux qu'elle a facturés. Par suite, l'administration a démontré que les factures de la société Nell Bat étaient de complaisance.
11. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la société Nell Bat, créée le 1er août 2011, avait un caractère récent au moment de la conclusion du contrat, en juillet 2012, ce qui aurait dû inciter la société Tradi Art Construction à s'assurer qu'elle était en mesure de réaliser cinq chantiers pour un montant global de plus de 557 000 euros. Or, le dossier fournisseur de la société Nell Bat tenu par la société Tradi Art Construction comprenait uniquement un extrait K Bis du 20 juillet 2012 et une attestation URSSAF qui n'était plus valide car concernant la période close au 31 décembre 2011, mais aucunement l'attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale mentionnée à l'article D. 8222-5 du code du travail, qui aurait dû lui être fournie tous les six mois.
12. En outre, les contrats signés le 16 juillet 2012 avec la société Nell Bat ne comportent aucun élément spécifique par rapport au chantier, notamment aucun prix. Si la société requérante soutient que les prestations avaient été discutées avant la conclusion du contrat et que leur détail apparaît dans le devis final du 2 juillet 2012, ce contrat ne se réfère pas à ce devis, dont le montant par ailleurs ne correspond pas au montant finalement payé. Les factures ne comprennent quant à elles qu'un montant de " marché de base " et ne précisent pas la nature des prestations réalisées, alors que le 8° de l'article 242 nonies A de l'annexe II au même code prévoit que la facture doit mentionner, pour chacun des biens livrés ou des services rendus, entre autres, la quantité, la dénomination précise, et le prix unitaire hors taxes. Ces factures comportent en outre des prix barrés et remplacés par des mentions manuscrites.
13. Au vu de ces éléments, l'administration apporte la preuve que la société requérante savait ou ne pouvait ignorer le caractère de complaisance des factures de la société Nell Bat. Contrairement à ce que soutient la société requérante, l'administration n'a pas sanctionné un manquement à son devoir de vigilance. Il suit de là que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration fiscale a remis en cause la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur ces factures.
En ce qui concerne les pénalités :
14. La société Tradi Art Construction soutient qu'elle n'était pas informée de la masse salariale de son sous-traitant et qu'au moment de la conclusion du contrat avec la société Nell Bat, celle-ci n'avait produit aucun compte annuel, son premier exercice social se clôturant le 31 décembre 2012. Toutefois, la création très récente de cette société aurait dû conduire la société requérante à vérifier qu'elle disposait des moyens humains et matériels pour réaliser les travaux qui lui étaient confiés. Il résulte de ce qui précède que la société Tradi Art Construction savait ou ne pouvait ignorer le caractère de complaisance des factures de la société Nell Bat. Par suite, le caractère délibéré du manquement est établi.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la société Tradi Art Construction n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Tradi Art Construction est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Tradi Art Construction et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2023, à laquelle siégeaient :
M. Beaujard, président de chambre,
Mme Dorion, présidente assesseure,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mai 2023.
La rapporteure,
C. A... Le président,
P. BEAUJARDLa greffière,
S. LOUISERELa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 21VE00846