Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 22 juin 2022 par lequel le préfet de l'Essonne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné en cas d'exécution d'office, lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans et l'a informé de ce qu'il fait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.
Par un jugement n° 2204928 du 26 octobre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 novembre 2022 et 21 février 2023, M. B..., représenté par Me Gérard, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Essonne du 22 juin 2022 ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué a été signé par une autorité qui n'avait pas compétence pour ce faire ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions du 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il justifie résider habituellement en France depuis l'âge de neuf ans ;
- elle méconnaît les dispositions du 5° de l'article L. 611-3 de ce code, dès lors qu'il établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de sa fille française ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que sa vie privée et familiale se trouve en France ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant, dès lors qu'il est dans l'intérêt de sa fille de nationalité française qu'il reste auprès de celle-ci ;
- la décision lui refusant un délai de départ volontaire méconnaît les dispositions du 1° de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il ne représente plus une menace pour l'ordre public ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît les dispositions des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il n'a aucune attache en République démocratique du Congo où il n'est pas retourné depuis l'âge de 9 ans ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale par exception d'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français et refus d'un délai de départ volontaire ;
- elle est illégale, faute de prendre en compte les circonstances humanitaires dont il justifie, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Par un mémoire en défense enregistré le 10 février 2023, le préfet de l'Essonne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 16 mai 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 juin 2023, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu l'ordonnance attaquée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Tar a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant de la République démocratique du Congo né le 30 juin 1994, déclare être entré en France au cours du mois de septembre 2005. Par un arrêté du 22 juin 2022, le préfet de l'Essonne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné en cas d'exécution d'office, lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans et l'a informé de ce qu'il fait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen. M. B... relève appel du jugement du 26 octobre 2022 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu protéger de l'éloignement les étrangers qui sont en France depuis l'enfance, à raison de leur âge d'entrée et d'établissement sur le territoire. D'ailleurs, cette protection, en ce qui les concerne, vaut aussi à l'égard des mesures d'expulsion en application du 1° de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sous réserve de comportements particulièrement graves que cet article énumère limitativement. Dans ce cadre, les éventuelles périodes d'incarcération en France, si elles ne peuvent être prises en compte dans le calcul d'une durée de résidence, ne sont pas de nature à remettre en cause la continuité de la résidence habituelle en France depuis au plus l'âge de treize ans, alors même qu'elles emportent, pour une partie de la période de présence sur le territoire, une obligation de résidence, pour l'intéressé, ne résultant pas d'un choix délibéré de sa part.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., entré en France en septembre 2005, à l'âge de 9 ans, avec son père, et scolarisé en France du mois de septembre 2005 au mois de juin 2010, a été mis en possession par erreur d'un passeport français du 19 juin 2007 au 18 juin 2012. En contrat de formation et d'insertion du 25 octobre 2010 au mois de juin 2011, puis de septembre 2011 au mois de septembre 2012, il a été incarcéré de manière quasi-continue du 28 mars 2013 jusqu'au 7 janvier 2015. Il a été convoqué pour examen de sa demande d'admission au séjour au titre de la vie privée et familiale par la préfecture du Finistère le 15 octobre 2015 et à l'hôtel de police de Nantes le 30 octobre 2015 pour restitution de sa carte d'identité déclarée perdue le 6 janvier 2015. De nouveau incarcéré au centre pénitentiaire de Lorient du 22 février 2016 au 1er septembre 2017, il justifie avoir été suivi par la mission locale du pays de Morlaix depuis le mois de janvier 2016 jusqu'au mois de juin 2019, avoir travaillé en France au cours du mois de mars 2018, avoir émis une demande à la mission locale de Morlaix le 12 juin 2019 et s'être inscrit à pôle emploi le 27 juin 2019, avant d'être encore incarcéré du 5 février 2020 au 23 juin 2022 à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. Au vu des preuves de présence qu'il produit, M. B... établit qu'il résidait, à la date de la décision attaquée, habituellement en France depuis le mois de septembre 2005 et donc depuis qu'il avait atteint au plus l'âge de treize ans. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, il est fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français prise à son encontre le 22 juin 2022 méconnait les dispositions rappelées au point 2 du présent arrêt et doit être annulée. Par voie de conséquence, il est fondé à demander l'annulation des décisions portant refus de délai de départ volontaire, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français.
5. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 22 juin 2022.
Sur les frais de l'instance :
6. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. (...) ".
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Versailles n° 2204928 du 26 octobre 2022 et l'arrêté du préfet de l'Essonne du 22 juin 2022 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de l'Essonne.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Dorion, présidente,
M. Tar, premier conseiller,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 juillet 2023.
Le rapporteur,
G. TAR
La présidente,
O. DORION
La greffière,
S. LOUISERE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
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N° 22VE02660