Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Sirbat a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge de l'obligation de payer les rappels de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) mis à la charge de la SARL DTP au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2015, ainsi que les pénalités correspondantes, dont le paiement lui a été réclamé en sa qualité de débiteur solidaire sur le fondement de l'article 1724 quater du code général des impôts, à hauteur de 31 153 euros.
Par un jugement n° 1810442 du 9 novembre 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a déchargé la SARL Sirbat de son obligation de payer les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la SARL DTP pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2015, ainsi que les pénalités correspondantes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 décembre 2021 et 30 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour d'annuler l'article 1er du jugement attaqué et de remettre à la charge de la SARL Sirbat l'obligation de payer les rappels de TVA réclamés à la SARL DTP, à hauteur de 31 153 euros.
Le ministre soutient que :
- le tribunal ne pouvait pas prononcer la décharge de l'obligation de payer des pénalités qui n'étaient plus en litige, dès lors que l'administration les avaient dégrevées avant la saisine du tribunal, en conséquence du placement en liquidation judiciaire de la SARL DTP ; la SARL Sirbat n'avait d'ailleurs pas présenté de conclusions à cette fin ;
- l'administration fiscale était fondée à mettre à la charge de la SARL Sirbat le paiement solidaire de la dette de TVA de la SARL DTP, dès lors qu'elle ne démontre pas s'être assurée, comme elle en avait l'obligation, de l'authenticité des attestations des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale délivrées par l'organisme de protection sociale ;
- la comparaison des attestations produites initialement et des pièces produites au stade contentieux révèle des incohérences.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 juin 2022, la SARL Sirbat, représentée par Me Fernandez, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'État au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 11 avril 2023, l'instruction a été close au 30 avril 2023, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dorion,
- les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) Sirbat, qui est spécialisée dans le secteur d'activité de la construction de maisons individuelles, a fait appel à la SARL DTP, qui exerçait une activité d'agencement et de décoration intérieure jusqu'à sa mise en liquidation judiciaire en 2018, pour la réalisation de travaux de peinture, en décembre 2014 puis entre mars et juillet 2015. La SARL DTP ayant fait l'objet d'une vérification de comptabilité, à l'issue de laquelle le service vérificateur lui a assigné des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, l'administration fiscale a mis à la charge de la SARL Sirbat, donneur d'ordre, au titre de la solidarité de paiement prévue par l'article 1724 quater du code général des impôts, le paiement, à hauteur de 31 153 euros, des rappels de TVA mis à la charge de la SARL DTP au titre de l'année 2015, ainsi que des pénalités correspondantes, par un avis de mise en recouvrement du 8 novembre 2016. Par une décision d'admission partielle du 14 août 2018, le vérificateur a accordé la décharge des intérêts et des pénalités. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance relève appel du jugement du 9 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a accueilli la demande de décharge de l'obligation de payer les rappels de TVA en litige, ainsi que les pénalités correspondantes.
Sur la régularité du jugement :
2. Par une décision d'acceptation partielle du 14 août 2018, antérieure à la requête introductive d'instance devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, la SARL Sirbat a été déchargée de l'obligation de payer les pénalités dont étaient assortis les rappels de TVA mis à la charge de la SARL DTP, qui n'étaient dès lors plus en litige. La SARL Sirbat n'ayant pas présenté de conclusions tendant à la décharge de l'obligation de payer ces pénalités, le ministre est fondé à soutenir qu'en en prononçant la décharge, le tribunal a statué au-delà des conclusions dont il était saisi et que le jugement attaqué doit être annulé dans cette mesure.
Sur le bien-fondé de la solidarité financière :
3. Aux termes de l'article 1724 quater du code général des impôts : " Toute personne qui ne procède pas aux vérifications prévues à l'article L. 8222-1 du code du travail ou qui a été condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé est, conformément à l'article L. 8222-2 du même code, tenue solidairement au paiement des sommes mentionnées à ce même article dans les conditions prévues à l'article L. 8222-3 du code précité ".
4. Aux termes de l'article L. 8222-1 du code du travail : " Toute personne vérifie lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat, que son cocontractant s'acquitte : / 1° des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ; / (...) / Les modalités selon lesquelles sont opérées les vérifications imposées par le présent article sont précisées par décret ". Aux termes de l'article L. 8222-2 du même code : " Toute personne qui méconnaît les dispositions de l'article L. 8222-1 (...) est tenue solidairement avec celui qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé : / 1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 8222-3 du même code : " Les sommes dont le paiement est exigible en application de l'article L. 8222-2 sont déterminées à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession ". Aux termes de l'article D. 8222-5 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " La personne qui contracte (...) est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l'article L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu'à la fin de son exécution : / 1° Une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l'article L. 243-15 émanant de l'organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s'assure de l'authenticité auprès de l'organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale. / (...) ".
5. Aux termes de l'article L. 243-15 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige : " Toute personne vérifie, lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimal en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat, que son cocontractant est à jour de ses obligations de déclaration et de paiement auprès des organismes de recouvrement mentionnés aux articles L. 213-1, L. 611-8 et L. 752-1 du présent code (...). / (...) ". Aux termes de l'article D. 243-15 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque le cocontractant emploie des salariés, l'attestation prévue à l'article L. 243-15 mentionne l'identification de l'entreprise, le nombre de salariés et le total des rémunérations déclarés au cours de la dernière période ayant donné lieu à la communication des informations prévue à l'article R. 243-13. / (...) / L'attestation est sécurisée par un dispositif d'authentification délivré par l'organisme chargé du recouvrement des cotisations et contributions sociales. Le donneur d'ordre vérifie l'exactitude des informations figurant dans l'attestation transmise par son cocontractant par voie dématérialisée ou sur demande directement auprès de cet organisme au moyen d'un numéro de sécurité. ".
6. Il résulte des dispositions de l'article L. 8222-2 du code du travail que le donneur d'ordre qui n'a pas procédé à l'ensemble des vérifications prévues à l'article L. 8222-1 du même code et précisées par décret, notamment la vérification de l'authenticité de l'attestation prévue à l'article L. 243-15 du code de la sécurité sociale, est tenu solidairement au paiement des sommes dues au Trésor public et aux organismes de protection sociale par le cocontractant qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé, à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession. Le donneur d'ordre est considéré comme ayant procédé aux vérifications requises par l'article L. 8222-1 précité, y compris celle de l'authenticité de l'attestation remise par son cocontractant, lorsqu'il s'est fait remettre par ce cocontractant les documents qu'énumère l'article D. 8222-5 du code du travail, à moins d'une discordance entre les déclarations mentionnées sur ces documents et les informations dont le donneur d'ordre pouvait avoir connaissance, telles que l'identité de son cocontractant ou le volume d'heures de travail nécessaire à l'exécution de la prestation ou que, s'agissant de l'authenticité de l'attestation prévue à l'article L. 243-15 du code de la sécurité sociale, l'administration établisse que celle-ci n'émane pas de l'organisme chargé du recouvrement des cotisations et contributions dues par le cocontractant.
7. En premier lieu, pour justifier de la satisfaction de son obligation de vigilance en sa qualité de donneur d'ordre, la SARL Sirbat a produit les attestations de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions sociales émises par l'Urssaf qui lui ont été remises par la SARL DTP, portant sur l'ensemble de la période pendant laquelle cette dernière a accompli des missions de sous-traitance pour la SARL Sirbat. Contrairement à ce que soutient le ministre, la SARL Sirbat n'avait pas à apporter la preuve de ce qu'elle a procédé à la vérification de l'authenticité de ces documents et de leur contenu concomitamment à leur réception. La seule circonstance que la SARL Sirbat n'est pas en mesure de justifier de ce qu'elle a vérifié sur le site dédié l'exactitude des informations qui lui ont été fournies par son co-contractant ne peut suffire à engager sa solidarité de paiement.
8. En second lieu, le ministre relève des discordances entre les attestations produites à différents stades de la procédure, entre ces attestations et les déclarations de la société DTP et entre les déclarations et le relevé de compte employeur de la société DTP. Toutefois, il résulte de l'instruction que les déclarations produites à l'appui des réclamations du 23 décembre 2016 et du 20 juin 2017 sont celles qui figuraient dans le dossier de sous-traitance détenu par la SARL Sirbat lors de l'exécution des prestations confiées à la société DTP. Si la société requérante a demandé et obtenu ultérieurement auprès de l'Urssaf le 28 juillet 2017, les bordereaux récapitulatifs de cotisations et le relevé de compte de la SARL DTP, qui font apparaître des surcharges manuscrites, ces documents, qu'elle a produits à l'appui de sa troisième réclamation contentieuse du 7 septembre 2017, ne sont de nature à établir ni l'inauthenticité des attestations remises initialement par la SARL Sirbat, ni que celle-ci pouvait avoir connaissance, lors de la réalisation des travaux confiés à la société DTP, de ces " falsifications manuscrites ". Il n'est pas soutenu que les attestations remises par la société DTP à la SARL Sirbat lorsqu'elle a fait appel à son cocontractant n'étaient pas authentiques. Par suite, la SARL Sirbat n'ayant pas manqué à ses obligations de vérification, sa responsabilité solidaire de donneur d'ordre ne pouvait être recherchée.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a déchargé la SARL Sirbat de l'obligation de payer des pénalités précédemment dégrevées.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la SARL Sirbat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1810442 du 9 novembre 2021 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé en tant qu'il a déchargé la SARL Sirbat de l'obligation de payer des pénalités.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera à la SARL Sirbat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la SARL Sirbat.
Délibéré après l'audience du 5 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Olson, président de la cour,
Mme Dorion, présidente-assesseure,
M. Tar, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 septembre 2023.
La rapporteure,
O. DORIONLe président,
T. OLSON
La greffière,
S. LOUISERE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 21VE03424