Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 27 septembre 2022 par lequel le préfet des Yvelines a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il sera renvoyé en cas d'exécution d'office, d'enjoindre au préfet des Yvelines de lui délivrer un titre de séjour et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2208130 du 9 mars 2023, le tribunal administratif de Versailles a annulé l'arrêté du 27 septembre 2022, par lequel le préfet des Yvelines a refusé de délivrer un titre de séjour à M. B..., l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il sera renvoyé en cas d'exécution d'office, a enjoint au préfet des Yvelines, ou au préfet territorialement compétent, de délivrer à M. B... une carte temporaire de séjour portant la mention " salarié ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
I - Par une requête, enregistrée le 31 mars 2023, sous le n° 23VE00666, le préfet des Yvelines demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de confirmer l'arrêté du 27 septembre 2022 par lequel il a refusé de délivrer un titre de séjour à M. B..., l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il sera renvoyé.
Il soutient que :
- il n'a pas commis une erreur d'appréciation ni méconnu l'étendue de son pouvoir discrétionnaire de régularisation au regard des stipulations de l'article 3 et de l'article 9 de l'accord franco-marocain et il peut lui opposer les dispositions de l'article L. 412-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'article 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte, mais est relatif aux conditions dans lesquelles des étrangers peuvent être admis à séjourner en France, soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée ;
- il lui appartient d'exercer discrétionnairement son pouvoir d'appréciation, les stipulations de l'accord franco-marocain ne lui interdisant pas d'apprécier, en fonction des l'ensemble des éléments de la situation de personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation d'un ressortissant marocain qui ne remplirait pas les conditions auxquelles est subordonnée la délivrance de plein droit d'un titre de séjour en qualité de salarié ; la circulaire du 28 novembre 2012 n'a pas de valeur réglementaire et ne fixe que des orientations générales non susceptibles d'être invoquées pour contester la légalité d'un refus de titre de séjour ;
- il a pris en compte l'ensemble des circonstances invoquées par M. B..., notamment sa situation personnelle et professionnelle, pour refuser de lui délivrer le titre de séjour au motif qu'il ne justifiait ni de motifs d'insertion professionnelle, ni de motifs exceptionnels ;
- l'étranger concerné ne démontre pas qu'il ne pourrait pas exercer son activité d'employé de restaurant dans son pays d'origine même s'il justifie d'une activité professionnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juillet 2023, M. B..., représenté par Me Boy, avocate, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet des Yvelines de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans le délai de deux mois suivant la notification de la décision de la cour et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- il n'est pas justifié de la délégation donnée à " M. E... D... ", signataire de l'arrêté en cause ;
- les moyens soulevés par le préfet des Yvelines ne sont pas fondés ; le préfet a entaché ses décisions d'une erreur manifeste d'appréciation, et le défaut de visa, tout comme le défaut de contrat de travail, ne sauraient être regardés comme une circonstance unique fondant le refus de faire droit à sa demande d'admission exceptionnelle au séjour au regard des articles L. 311-1 et L. 522-1-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet s'est grossièrement trompé dans l'appréciation des faits qui ont motivé sa décision au regard du premier alinéa de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 3 de l'accord franco-marocain ;
- alors même qu'il entretient toujours des liens familiaux avec ses parents et avec ses frères et sœurs, il réside en France depuis sept ans, auprès de son grand-père âgé de 80 ans, qui a besoin de son petit-fils à ses côtés, et d'une tante ; son séjour est ancien et il ne représente pas une menace pour l'ordre public ; les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues.
II - Par une requête, enregistrée le 31 mars 2023, sous le n° 23VE00669, le préfet des Yvelines demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2208130 du 9 mars 2023 du tribunal administratif de Versailles.
Il soutient que les conditions fixées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont en l'espèce remplies.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-marocain en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience dans la présente instance.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Albertini,
- et les observations de Me Fraysse, substituant Me Boy, pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant marocain, né le 26 novembre 1994 à Agadir, est entré sur le territoire français le 3 septembre 2015 selon ses déclarations. Il a sollicité, le 22 juin 2022, son admission exceptionnelle au séjour. Par l'arrêté du 27 septembre 2022 dont il a demandé l'annulation, le préfet des Yvelines a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il sera renvoyé en cas d'exécution d'office. Par jugement du 9 mars 2023, le tribunal administratif de Versailles a annulé l'arrêté du 27 septembre 2022, par lequel le préfet des Yvelines a refusé de délivrer un titre de séjour à M. B..., l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il sera renvoyé en cas d'exécution d'office, a enjoint au préfet des Yvelines, ou au préfet territorialement compétent, de lui délivrer une carte temporaire de séjour portant la mention " salarié ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour. Le préfet des Yvelines relève appel de ce jugement par sa requête enregistrée sous le n° 23VE00666 et en demande le sursis à exécution par sa requête enregistrée sous le n° 23VE00669.
2. Les requêtes nos 23VE00666 et 23VE00669 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'une seule décision.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article 9 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord (...) ". L'article 3 du même accord stipule que : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable pendant un an renouvelable et portant la mention " salarié " (...) ". Par ailleurs, aux termes des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié", "travailleur temporaire" ou "vie privée et familiale", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ".
4. L'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-marocain prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant marocain souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 435-1 du code précité à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987, au sens de l'article 9 de cet accord. Les stipulations de cet accord n'interdisent pas au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation d'un ressortissant marocain qui ne remplirait pas les conditions auxquelles est subordonnée la délivrance de plein droit d'un titre de séjour en qualité de salarié.
5. Il ressort des pièces versées au dossier que pour rejeter la demande de titre de séjour de M. B..., le préfet des Yvelines s'est fondé principalement sur les circonstances qu'il justifie exercer une activité professionnelle depuis près de quatre ans seulement à la date de la décision en litige, en disposant d'un contrat de travail, sans justifier d'une qualification professionnelle particulière en qualité d'employé polyvalent dans la restauration, qu'il a exercé son activité professionnelle sous couvert d'une fausse carte d'identité italienne, qui est produite, a même complété une demande d'autorisation de travail du 14 juin 2022 précisant qu'il est de nationalité italienne, et que s'il affirme avoir " établi sa vie en France ", il ne démontre pas l'intensité de ses liens personnels et familiaux en France en se bornant à faire valoir la présence d'un grand-père et d'une tante, et que la durée de séjour alléguée dont il se prévaut sans avoir sollicité auparavant un titre de séjour depuis son arrivée en France ne constitue pas, par-elle-même, une considération humanitaire ou un motif exceptionnel de nature à ouvrir droit au séjour. Par suite, eu égard à la durée et aux conditions de séjour et d'emploi de M. B..., par ailleurs célibataire et sans enfant, le préfet des Yvelines est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de la décision de refus de titre sur la situation personnelle de l'intéressé pour annuler son arrêté du 27 septembre 2022 et lui enjoindre de délivrer à M. B... une carte temporaire de séjour portant la mention " salarié " ainsi que, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.
6. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Versailles et la cour.
Sur les autres moyens d'annulation :
7. En premier lieu, par un arrêté n° 78-2022-09-23-00004 du 23 septembre 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de l'Etat dans le département des Yvelines n° 78-2022-195 du même jour, le préfet des Yvelines a donné à M. A... D..., signataire de l'arrêté attaqué, en sa qualité de directeur des migrations, délégation à l'effet de signer, en toutes matières ressortissant à ses attributions, tous arrêtés et décisions relevant des attributions du ministère de l'intérieur, à l'exclusion d'actes limitativement énumérés au nombre desquels ne figurent pas les actes pris en matière de police administrative des étrangers. Cet arrêté n'avait pas à être joint à la décision contestée, s'agissant d'un acte réglementaire librement consultable Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte manque en fait et doit être écarté.
8. En deuxième lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sureté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
9. M. B... fait valoir qu'il réside en France depuis sept ans à la date de l'arrêté en litige, auprès de son grand-père âgé de 80 ans, qui a besoin de son petit-fils à ses côtés, et d'une tante, qu'il y a tissé des liens professionnels, sociaux et familiaux d'une intensité particulière qu'il ne représente pas une menace pour l'ordre public. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé, qui est célibataire et sans enfant, ne démontre pas que sa présence auprès de son grand-père ou de sa tante leur serait indispensable, alors que ses parents et ses frères et sœurs sont demeurés au Maroc. En outre, il s'est maintenu en France en séjour irrégulier, sans demander un titre de séjour pendant plusieurs années, et a exercé une activité professionnelle sous une fausse identité ainsi qu'il a été dit au point 3. Par suite, ces éléments ne permettent pas d'établir que le préfet aurait porté une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale et ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, l'arrêté contesté n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant à la situation personnelle de M. B....
10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Yvelines est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a annulé son arrêté 27 septembre 2022 par lequel il a refusé de délivrer un titre de séjour à M. B..., l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il sera renvoyé et lui a enjoint de lui délivrer une carte temporaire de séjour portant la mention " salarié ", dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.
Sur la requête n° 23VE00669 :
11. Aux termes de l'article R. 811-15 du code de justice administrative : " Lorsqu'il est fait appel d'un jugement de tribunal administratif prononçant l'annulation d'une décision administrative, la juridiction d'appel peut, à la demande de l'appelant, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l'appelant paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement. ".
12. La cour statuant par le présent arrêt sur la requête n° 23VE00666 du préfet des Yvelines tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 23VE00669 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas pour l'essentiel la partie perdante dans la présence instance, la somme de 3 000 euros que demande M. B... au titre des frais liés à l'instance.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2208130 du 9 mars 2023 du tribunal administratif de Versailles est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Versailles et devant la cour administrative d'appel de Versailles sont rejetées.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23VE00669 du préfet des Yvelines.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet des Yvelines.
Délibéré après l'audience du 21 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Albertini, président de chambre,
M. Pilven, président assesseur,
Mme Florent, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 octobre 2023.
Le président-assesseur,
J.-E. PILVENLe président-rapporteur,
P.-L. ALBERTINILa greffière,
S. DIABOUGA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 23VE00666, 23VE00669 2