Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... H..., M. A... B..., agissant en leur nom propre et au nom de leurs fils mineurs M. C... B... et M. G... B... ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner le centre hospitalier Simone Veil à leur verser la somme de 7 502,50 euros au titre des frais d'obsèques et la somme de 12 896,04 au titre des frais divers, à verser la somme de 175 500 euros à M. A... B... et à Mme D... B..., à verser la somme de 57 000 euros à M. G... B... et la somme de 28 500 euros à M. C... B... au titre des préjudices non patrimoniaux.
Par un jugement n° 1801289 du 11 juin 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné l'hôpital Simone Veil à verser une somme globale de 415 euros à M. A... B..., Mme D... B... et M. G... B... au titre des honoraires d'assistance, une somme de 7 991, 25 euros à Mme D... H... au titre des frais d'obsèques, frais divers et préjudice d'affection, une somme de 6 000 euros à M. A... B..., une somme de 4 500 euros à M. G... B..., d'une part, et à M. A... B... en sa qualité de représentant légal de son fils mineur M. C... B..., d'autre part au titre du préjudice d'affection.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 10 juillet 2020 et le 8 décembre 2020, les consorts B..., représentés par Me Marques Vieira, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 11 juin 2020 ;
2°) de condamner l'hôpital Simone Veil à leur verser des indemnités à hauteur de 456 898,54 euros en réparation de leurs divers préjudices ;
3°) de mettre à la charge de l'hôpital Simone Veil une somme de 25 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le taux de perte de chance de 30 % est manifestement sous-évalué ;
- ils n'ont pas été informés du risque suicidaire ;
- le suivi des effets secondaires du traitement était à faire tous les quinze jours ;
- le traitement était surdosé ;
- les risques suicidaires n'ont pas été suffisamment évalués.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 novembre 2020, l'hôpital Simone Veil représenté par Me Fabre, conclut au rejet de la requête, et à titre subsidiaire à ce qu'une expertise soit ordonnée.
Il soutient que :
- la demande était irrecevable devant le tribunal pour tardiveté ;
- aucun manquement ne résulte de l'absence d'évaluation du risque suicidaire ;
- la prescription était adaptée ;
- la surveillance était adaptée à l'état du patient ;
- le risque suicidaire est rarissime et l'information n'aurait pas évité le geste suicidaire ;
- le geste suicidaire est lié à la pathologie et non au traitement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Le Gars,
- les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteur public,
- et les observations de Me Tartour, substituant Me Marques Vieira, pour Mme H... et autres et de Me Cantantaloube, substituant Me Fabre, pour l'hôpital Simone Veil.
Considérant ce qui suit :
1.Charles B..., né le 16 avril 1993, a été hospitalisé à la demande de son père à l'hôpital Simone Veil d'Eaubonne du 4 décembre 2011 au 6 janvier 2012 à la suite d'une décompensation d'allure psychotique. A sa sortie de l'hôpital un traitement lui a été prescrit, modifié par la suite à plusieurs reprises, puis en novembre 2012, l'Abilify, un antipsychotique, lui a été prescrit. Le 28 décembre 2012 Charles B... s'est rendu à la gare d'Argenteuil et s'est suicidé en s'allongeant sur une voie ferrée. Par un avis notifié le 6 janvier 2017 la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) d'Ile-de-France a estimé que les différents manquements aux règles de l'art dans la prise en charge de Charles B... étaient fautifs et à l'origine d'une perte de chance d'éviter le décès, évaluée à 30%. A la suite du refus du centre hospitalier d'indemniser les requérants, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes (ONIAM), a adressé une offre d'indemnisation aux consorts B... le 18 décembre 2017 en réparation des préjudices subis du fait du décès de Charles B.... M. A... B..., son père, Mme D... H... sa mère, M. G... B... son frère et M. C... B... son demi-frère ont refusé cette d'indemnisation amiable et ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise la condamnation du centre hospitalier Simone Veil à leur verser une somme de 280 898,24 euros en réparation des divers préjudices subis du fait du suicide de leur fils et frère. Par jugement en date du 11 juin 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné l'hôpital Simone Veil à verser une somme globale de 415 euros à M. A... B..., Mme D... B... et M. G... B... au titre des honoraires d'assistance, une somme de 7 991, 25 euros à Mme D... H... au titre des frais d'obsèques, frais divers et préjudice d'affection, une somme de 6 000 euros à M. A... B..., une somme de 4 500 euros à M. G... B..., d'une part, et à M. A... B... en sa qualité de représentant légal de son fils mineur M. C... B..., d'autre part au titre du préjudice d'affection. Les consorts B... relèvent appel de ce jugement et demandent de condamner l'hôpital Simone Veil à leur verser des indemnités à hauteur de 456 898,54 euros en réparation de leurs divers préjudices.
Sur la fin de non-recevoir de la demande de première instance opposée par le centre hospitalier Simone Veil :
2. Aux termes de l'article L. 1142-7 du code de la santé publique : " La commission régionale peut être saisie par toute personne s'estimant victime d'un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins, ou, le cas échéant, par son représentant légal. Elle peut également être saisie par les ayants droit d'une personne décédée à la suite d'un acte de prévention, de diagnostic ou de soins (...) / La saisine de la commission suspend les délais de prescription et de recours contentieux jusqu'au terme de la procédure prévue par le présent chapitre ".
3. Par ailleurs, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. (...) " Et aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. "
4. Il résulte de l'instruction que l'hôpital Simone Veil a rejeté par courrier du 18 novembre 2015 la demande d'indemnisation présentée par les consorts B..., et que ce courrier indiquait les voies et délais de recours, la possibilité de saisine de la CCI, la suspension des délais de recours en résultant, ainsi que le délai de recours de deux mois à compter de la notification de cet avis. Les consorts B... avaient déjà saisi la CCI le 23 octobre 2015 qui a notifié son avis le 6 janvier 2017, à la suite duquel les requérants ont adressé au centre hospitalier une nouvelle demande d'indemnisation. Ce dernier a maintenu par courrier du 24 février 2017 son refus d'admettre sa responsabilité. Toutefois ce refus n'indiquait pas les voies et délais de recours qui sont par suite inopposables. Ainsi, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier, la saisine de l'ONIAM d'une demande de substitution le 29 mai 2017 n'était pas tardive, lequel a rendu une offre d'indemnisation le 18 décembre 2017. Par suite, l'hôpital Simone Veil n'est pas fondé à soutenir que la demande de première instance présentée le 9 février 2018 était tardive et que c'est à tort que le tribunal administratif a fait droit à la demande indemnitaire des consorts B....
Sur la responsabilité du centre hospitalier :
5.Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I- Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".
6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que l'administration de l'Abilify entraîne un risque suicidaire et que sa prescription doit être accompagnée d'un suivi psychologique régulier du patient. En l'espèce, il n'est pas contesté que la modification de la prise en charge médicamenteuse des troubles psychiatriques affectant Charles B... n'a pas été accompagnée d'une information du patient, ni de ses parents, sur le potentiel suicidogène de l'Abilify. Il résulte également de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que si un suivi des éventuels effets secondaires et de l'activité thérapeutique était à faire tous les quinze jours, les consultations psychiatriques ont été maintenues espacées de trois semaines. En revanche, il résulte également de l'instruction que la prescription et la posologie de l'Abilify à 20 mg par jour était adaptée. Si les requérants reprochent également au médecin prescripteur de ne pas avoir suffisamment pris en compte les douleurs abdominales et la perte de poids résultant du traitement, il ressort du rapport d'expertise que le 17 décembre 2012, lors d'une visite médicale chez son médecin traitant, Charles ne présentait plus de symptomatologie abdominale. Dans ces conditions, et alors même qu'aucune anomalie dans la prise en charge psychiatrique de l'intéressé n'est relevée par les experts, et qu'aucun antécédant ne permettait de prévoir son suicide, ces manquements dans la surveillance et le suivi du patient dans sa prise en charge médicamenteuse et l'absence d'information des parents sur le risque suicidogène du traitement prescrit sont constitutifs de fautes de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier Simone Veil d'Eaubonne Montmorency. Ils ont fait perdre une chance au patient de se soustraire au suicide. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que Charles B... était atteint d'une pathologie psychotique chronique laquelle présente déjà un risque suicidaire. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, les fautes commises par le centre hospitalier Simone Veil dans la prise en charge de Charles B... lui ont fait perdre une chance d'éviter son décès qui peut être évaluée à 30%.
Sur les préjudices :
Sur les préjudices patrimoniaux :
7. Mme D... H... produit une facture acquittée des pompes funèbres d'un montant de 7 205,50 euros. Ainsi que le fait valoir le centre hospitalier, il n'y a pas lieu de prendre en charge un caveau de deux places, alors même que la commune de Montlignon n'accepte pas de caveau unipersonnel. Par ailleurs, les requérants ne produisent aucune autre facture attestant d'autres frais de sépulture. Il y a lieu, compte tenu du pourcentage de perte de chance retenu, de condamner le centre hospitalier Simone Veil au versement d'une somme de 1 980,75 euros à Mme D... H....
8. Mme H... produit une facture d'un docteur, conseil en pharmacovigilance, pour un montant de 1 200 euros ainsi que deux notes d'honoraires d'un expert psychiatre pour un montant total de 1 400 euros. Toutefois il ne ressort pas du rapport d'expertise que l'analyse du dossier médical réalisée par le Dr E... ou le rapport médico-légal du Dr F... auraient été utiles à l'expertise ni même transmis aux experts. En revanche, il y a lieu de retenir l'assistance portée par le Dr F... lors de la réunion d'expertise pour un montant total de 800 euros.
9. Concernant les frais d'avocat, M. A... B..., Mme D... B... et M. G... B... produisent une facture d'honoraires de Me Tartour d'un montant de 10 296,04 euros, ne comportant toutefois pas les mentions nécessaires pour être considérée comme ayant été acquittée et ne pouvant par conséquent pas donner lieu à indemnisation.
Sur les préjudices extra-patrimoniaux :
10. Pour le préjudice d'accompagnement, il ne résulte pas de l'instruction qu'eu égard au caractère brusque et imprévisible du décès de Charles B..., ses parents et ses frères auraient subi un préjudice d'accompagnement. Leur demande présentée à ce titre doit, dès lors, être rejetée.
11. Le tribunal a fait une juste appréciation du préjudice d'affection subi par les parents, frère et demi-frère de Charles B... du fait du suicide de Charles B..., 19 ans, en fixant l'indemnité réparatrice, compte tenu du taux de responsabilité retenu de 30%, à la somme de 6 000 euros pour chacun des parents, et à la somme de 4 500 euros pour chacun des enfants.
12. Concernant le préjudice résultant de la perte de chance de survie, les requérants se présentant comme ayants-droits de Charles B..., ils doivent être regardés comme entendant demander réparation du préjudice propre subi par Charles B... du fait de son décès. Ce préjudice n'étant pas au nombre de ceux que l'intéressé a pu subir avant son décès, la demande présentée à ce titre par les consorts B... ne peut qu'être rejetée.
13. Il résulte de ce qui précède que les consorts B... sont seulement fondés à soutenir que l'indemnité que le centre hospitalier Simone Veil est condamné à verser à Mme D... H... doit être portée à la somme de 8 780,75 euros. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge du centre hospitalier le versement d'une somme au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le centre hospitalier Simone Veil d'Eaubonne Montmorency versera la somme de 8 780,75 euros à Mme D... H....
Article 2 : Le centre hospitalier Simone Veil d'Eaubonne Montmorency versera la somme de 6 000 euros à M. A... B....
Article 3 : Le centre hospitalier Simone Veil d'Eaubonne Montmorency versera la somme de 4 500 euros à M. G... B..., d'une part, et à M. A... B... en sa qualité de représentant légal de son fils mineur M. C... B..., d'autre part.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le jugement n° 1801289 du 11 juin 2020 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... H..., à M. A... B..., à M. G... B..., à M. C... B..., à l'hôpital Simone Veil et à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine.
Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
M. Brotons, président,
Mme Le Gars, présidente assesseure,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 février 2024.
La rapporteure,
A.C. LE GARSLe président,
S. BROTONS
La greffière,
S. de SOUSA
La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N°20VE01604 2