Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et d'annuler l'arrêté du 29 juin 2023 par lequel le préfet de Loir-et-Cher a l'assigné à résidence dans le département de Loir-et-Cher pendant une durée de quarante-cinq jours.
Par un jugement nos 2301693, 2302671 du 10 juillet 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif d'Orléans a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B... et rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 septembre 2023, M. B..., représenté par Me Legrand, avocat, demande à la cour :
1°) de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
2°) d'annuler le jugement attaqué ;
3°) d'annuler l'arrêté contesté ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- c'est à tort que la magistrate désignée à refuser de transmettre au Conseil d'Etat la question de la constitutionalité de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet du Loir-et-Cher ne pouvait légalement l'assigner à résidence à la date de l'arrêté contesté du 29 juin 2023, dès lors que le recours qu'il avait formé contre l'arrêté du 7 avril 2023 lui faisant obligation de quitter le territoire en avait suspendu l'exécution et que son éloignement n'était plus, de ce fait, une perspective raisonnable ;
- la décision contestée est illégale par exception d'illégalité de la décision de retrait de son titre de séjour, dès lors qu'il est bien retourné en Tunisie lors de l'expiration de ses titres de séjour saisonniers, que le préfet du Vaucluse a renouvelé son titre de séjour pluriannuel le 25 juin 2021, après instruction de son dossier, que sa présence en France ne constitue pas une menace à l'ordre public et que le préfet ne pouvait invoquer simultanément plusieurs motifs ;
- la décision contestée est illégale par exception d'illégalité du rejet de sa demande de changement de statut, qui n'a pas été examinée, alors que sa présence en France ne constitue pas une menace à l'ordre public et que ce refus de séjour porte une atteinte excessive à sa vie privée et familiale, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête de M. B... a été communiquée au préfet du Loir-et-Cher, qui n'a pas produit de mémoire.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 octobre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dorion a été entendu au cours de l'audience publique.
Une note en délibéré présentée pour le préfet du Loir-et-Cher a été enregistrée le 22 mai 2024.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant tunisien né le 9 octobre 1998, entré en France en dernier lieu le 13 mai 2019 avec un visa D mention " travailleur saisonnier ", a présenté une demande de changement de statut le 6 avril 2022, à la suite de son mariage, célébré le 18 décembre 2021, avec une ressortissante française. Par un arrêté 7 avril 2023, le préfet du Loir-et-Cher a procédé au retrait de son titre de séjour portant la mention " travailleur saisonnier ", lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an. A l'issue de ce délai de départ volontaire, par un second arrêté du 29 juin 2023, le préfet du Loir-et-Cher a assigné M. B... à résidence dans le département, pour une durée de quarante-cinq jours. Par le jugement attaqué du 10 juillet 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif d'Orléans a joint les deux demandes d'annulation présentées par M. B... contre, d'une part, l'arrêté du 7 avril 2023 portant retrait de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français et, d'autre part, l'arrêté du 29 juin 2023 l'assignant à résidence, renvoyé à une formation de jugement collégiale les conclusions dirigées contre le retrait de titre de séjour et rejeté les demandes d'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et assignation à résidence. M. B... relève appel de ce jugement en tant qu'il rejette sa demande d'annulation de l'arrêté du 29 juin 2023 l'assignant à résidence dans le département du Loir-et-Cher.
Sur les conclusions dirigées contre le refus de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance susvisée du 7 novembre 1958 : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. ". Aux termes de l'article 23-2 de ladite ordonnance : " (...) Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige. ". Aux termes de l'article R. 771-12 du code de justice administrative : " Lorsque, en application du dernier alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, l'une des parties entend contester, à l'appui d'un appel formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige, le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité opposé par le premier juge, il lui appartient, à peine d'irrecevabilité, de présenter cette contestation avant l'expiration du délai d'appel dans un mémoire distinct et motivé accompagné d'une copie de la décision portant refus de transmission (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'un tribunal administratif a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, il appartient à l'auteur de cette question de contester ce refus, à l'occasion d'un appel formé contre le jugement qui statue sur le litige, par un mémoire distinct et motivé présenté dans le délai de recours contentieux, que le refus de transmission qui lui a été opposé l'ait été par une décision distincte de la décision au fond, dont il joint alors une copie, ou directement par cette décision.
4. M. B... n'a pas contesté le refus de transmettre la question prioritaire de constitutionalité dont il avait saisi le tribunal, par un mémoire distinct présenté dans le délai de recours contentieux. Cette contestation est par suite irrecevable.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne le caractère suspensif du recours formé contre l'arrêté du 7 avril 2023 :
5. Aux termes de l'article L. 722-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'éloignement effectif de l'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut intervenir avant l'expiration du délai ouvert pour contester, devant le tribunal administratif, cette décision et la décision fixant le pays de renvoi qui l'accompagne, ni avant que ce même tribunal n'ait statué sur ces décisions s'il a été saisi. / (...) / Les dispositions du présent article s'appliquent sans préjudice des possibilités d'assignation à résidence et de placement en rétention prévues au présent livre. " Aux termes de l'article L. 731-1 du même code : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : / 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins d'un an auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré (...) ".
6. Il résulte de ces dispositions que l'obligation de quitter le territoire français ne peut faire l'objet d'une exécution d'office avant l'expiration du délai de départ volontaire ou, si aucun délai n'a été accordé, avant l'expiration du délai de recours contentieux, et, s'il est saisi, avant que le tribunal administratif n'ait statué. Ces dispositions n'ont en revanche ni pour objet, ni pour effet, d'empêcher l'assignation à résidence d'un étranger qui s'est maintenu sur le territoire français au-delà du délai de départ volontaire qui lui a été accordé. Il s'ensuit que la circonstance que M. B... a formé un recours contre l'arrêté du 7 avril 2023 lui faisant obligation de quitter le territoire français est sans incidence sur la légalité de l'arrêté du 29 juin 2023 l'assignant à résidence.
En ce qui concerne l'exception d'illégalité de l'arrêté du 7 avril 2023 :
7. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 421-34 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui exerce un emploi à caractère saisonnier, tel que défini au 3° de l'article L. 1242-2 du code du travail, et qui s'engage à maintenir sa résidence habituelle hors de France, se voit délivrer une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " travailleur saisonnier " d'une durée maximale de trois ans. / (...) / Elle autorise l'exercice d'une activité professionnelle et donne à son titulaire le droit de séjourner et de travailler en France pendant la ou les périodes qu'elle fixe et qui ne peuvent dépasser une durée cumulée de six mois par an. / (...) " Aux termes de l'article L. 432-5 du même code : " Si l'étranger cesse de remplir l'une des conditions exigées pour la délivrance de la carte de séjour dont il est titulaire, (...) la carte de séjour peut lui être retirée par une décision motivée. (...) ".
8. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., qui est titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " travailleur saisonnier ", valable du 15 juin 2021 au 14 juin 2024, réside en France sans discontinuité depuis le 13 mai 2019, alors qu'il résulte des dispositions de l'article L. 421-34 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile rappelées au point précédent que la durée cumulée du séjour sur le territoire français des titulaires de la carte portant la mention " travailleur saisonnier " ne peut excéder six mois par an. Dans ces conditions, en retirant le titre de séjour dont M. B... était titulaire au motif que celui-ci n'avait pas respecté son engagement de maintenir sa résidence hors de France, le préfet de Loir-et-Cher n'a pas commis d'erreur de droit. Il s'ensuit que le moyen d'exception d'illégalité de cette décision doit être écarté.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger (...) qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1./ Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. (...) ". Selon l'article L. 435-1 du même code : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ".
10. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de Loir-et-Cher a examiné la demande de changement de statut présentée par M. B..., sur le fondement de l'article L. 423-23 et de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. M. B..., entré en France en mai 2019, marié avec une ressortissante française le 18 décembre 2021, a été interpellé, le 15 octobre 2022, pour des faits de violence, commis sur son épouse à l'été 2021 et le 10 octobre 2022, et condamné par le tribunal correctionnel de Blois le 4 janvier 2023 à huit mois de prison avec sursis et deux ans de mise à l'épreuve. Par ailleurs, il ne se prévaut d'aucune autre attache familiale en France que son épouse et ne justifie pas de son insertion professionnelle, hormis trois contrats de travail à durée déterminée conclus avec le centre hospitalier de Blois portant sur des périodes d'emploi du 4 au 28 février 2023, du 1er au 31 mars et du 1er au 30 avril 2023, en qualité d'agent d'entretien qualifié. Dans ces conditions, en refusant de délivrer au titre de séjour à M. B..., le préfet n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et de l'asile, ni porté une atteinte excessive à sa vie privée et familiale. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision l'assignant à résidence est illégale par exception d'illégalité du refus du préfet de Loir-et-Cher de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".
11. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 29 juin 2023. La requête doit par suite être rejetée, y compris ses conclusions tendant à ce qu'il soit fait application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet du Loir-et-Cher.
Délibéré après l'audience du 7 mai 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Versol, présidente de chambre,
Mme Dorion, présidente-assesseure,
M. Tar, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 mai 2024.
La rapporteure,
O. DORION La présidente,
F. VERSOLLa greffière,
A. GAUTHIER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 23VE02086