Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
D'une part, Mme B... F... E... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 2 septembre 2022 par lequel le préfet du Val-d'Oise a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination.
Par un jugement n° 2213276 du 6 juin 2023, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation et d'injonction de la demande et a mis à la charge de l'État le versement de la somme de 1 000 euros.
D'autre part, Mme B... F... E... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 16 mai 2023 par lequel le préfet du Val-d'Oise a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2307505 du 6 mars 2024, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
I) Par une requête enregistrée le 14 juin 2023 sous le numéro 23VE01311, Mme E..., représentée par Me Tagne, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 6 juin 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Val-d'Oise du 2 septembre 2022 ;
3°) d'enjoindre audit préfet de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de réexaminer sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 75-1 de la loi du 10 juillet 1990.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors que le mémoire du préfet du Val-d'Oise du 16 mai 2023, concluant au non-lieu à statuer, lui a été communiqué après la clôture de l'instruction ;
- l'arrêté d'abrogation du préfet du Val-d'Oise est intervenu au-delà du délai raisonnable prévu par les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté préfectoral du 2 septembre 2022 est entaché d'incompétence de son signataire ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il viole les stipulations de l'article 3-1 de la convention de New York relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 juillet 2023, le préfet du Val-d'Oise conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la demande de première instance de Mme E... était dépourvue d'objet en raison de l'abrogation de sa décision du 2 septembre 2022.
II) Par une requête enregistrée le 28 mars 2024 sous le numéro 24VE00829, Mme E..., représentée par Me Tagne, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 6 mars 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Val-d'Oise du 16 mai 2023 ;
3°) d'enjoindre audit préfet de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de réexaminer sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 75-1 de la loi du 10 juillet 1990.
Elle soutient que :
- l'arrêté préfectoral du 16 mai 2023 méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il viole les stipulations de l'article 3-1 de la convention de New York relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 31 janvier 2025, le préfet du Val-d'Oise conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de New York relative aux droits de l'enfant,
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- le code des relations entre le public et l'administration,
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1990,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Mornet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante congolaise (République du Congo) née le 24 mars 1990 à Brazzaville, déclare être entrée en France en août 2017, démunie de visa. Le 13 juillet 2022, elle a sollicité son admission au séjour au titre de sa vie privée et familiale. Par un premier arrêté du 2 septembre 2022, le préfet du Val-d'Oise a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination. Cet arrêté a été abrogé par une décision de l'autorité préfectorale du 16 mai 2023. Puis, par un arrêté du même jour, le préfet du Val-d'Oise a rejeté la demande de titre de séjour de Mme E..., l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination. L'appelante demande à la cour d'annuler les jugements des 6 juin 2023 et 6 mars 2024 par lesquels le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d'une part, a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 2 septembre 2022 et, d'autre part, a rejeté la demande de Mme E... tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 mai 2023.
Sur la jonction :
2. Les requêtes susvisées enregistrées sous les numéros 23VE01311 et 24VE00829 concernent la situation de la même personne et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu par suite de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.
Sur la régularité du jugement du 6 juin 2023 :
3. Un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif n'a d'autre objet que d'en faire prononcer l'annulation avec effet rétroactif. Si, avant que le juge n'ait statué, l'acte attaqué est rapporté par l'autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif faute d'être critiqué dans le délai du recours contentieux, il emporte alors disparition rétroactive de l'ordonnancement juridique de l'acte contesté, ce qui conduit à ce qu'il n'y ait plus lieu pour le juge de la légalité de statuer sur le mérite du recours dont il était saisi. Il en va ainsi, quand bien même l'acte rapporté aurait reçu exécution. Dans le cas où l'administration se borne à procéder à l'abrogation de l'acte attaqué, cette circonstance prive d'objet le recours formé à son encontre à la double condition que cet acte n'ait reçu aucune exécution pendant la période où il était en vigueur et que la décision procédant à son abrogation soit devenue définitive.
4. Il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 16 mai 2023, le préfet du Val-d'Oise a abrogé l'arrêté du 2 septembre 2022 par lequel il avait refusé de délivrer à Mme E... un titre de séjour, l'avait obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et avait fixé le pays de destination. Toutefois, d'une part, la décision portant refus de séjour qu'il contenait a produit des effets pendant la période où elle était en vigueur. D'autre part, l'arrêté procédant à cette abrogation n'était pas devenu définitif à la date du jugement attaqué du 6 juin 2023. Dans ces conditions, les premiers juges ne pouvait, sans entacher ce jugement d'irrégularité, constater que les conclusions présentées par Mme E... à fin d'annulation de l'arrêté du 2 septembre 2022, et à fin d'injonction, étaient devenues sans objet. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen relatif à la régularité de ce jugement, ce dernier doit être annulé.
5. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
Sur la légalité de l'arrêté du préfet du Val-d'Oise du 2 septembre 2022 :
En ce qui concerne les conclusions du préfet du Val-d'Oise à fin de non-lieu à statuer :
6. Ainsi qu'il a été dit au point 4 du présent arrêt, la circonstance que le préfet du Val-d'Oise a procédé à l'abrogation, par un arrêté du 16 mai 2023, de son arrêté du 2 septembre 2022, ne saurait avoir pour effet de priver d'objet la demande présentée par Mme E... tendant à l'annulation de la décision portant refus de séjour contenue dans cet arrêté, dès lors que cette décision a produit des effets pendant la période où elle était en vigueur.
7. En revanche, à la date du présent arrêt, l'arrêté du 16 mai 2023 portant abrogation de l'arrêté du 2 septembre 2022 est devenu définitif. Dans ces conditions, et dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination contenues dans l'arrêté du 2 septembre 2022 aient reçu exécution, les conclusions présentées par Mme E... dirigées contre ces décisions sont devenues sans objet. Il n'y a, par suite, pas lieu d'y statuer.
En ce qui concerne la légalité de la décision de refus de titre de séjour :
8. L'arrêté contesté du préfet du Val-d'Oise du 2 septembre 2022 a été signé par Mme D... C..., cheffe de section à la préfecture du Val-d'Oise. Il ressort toutefois des pièces du dossier, et il est également relevé dans les termes de l'arrêté du 16 mai 2023 portant abrogation de cet arrêté, produit par le préfet en première instance, que Mme C... ne disposait pas, à la date de la décision du 2 septembre 2022, d'une délégation à cette fin régulièrement consentie par l'autorité préfectorale. Par suite, Mme E... est fondée à soutenir que la décision portant refus de séjour contenue dans l'arrêté du préfet du Val-d'Oise du 2 septembre 2022 est entachée d'incompétence.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens présentés à l'appui des conclusions tendant à l'annulation de la décision portant refus de titre de séjour, que Mme E... est fondée à demander l'annulation de cette décision.
Sur la légalité de l'arrêté du préfet du Val-d'Oise du 16 mai 2023 :
10. Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Enfin, aux termes de l'article 3-1 de la convention de New-York relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
11. Mme E... se prévaut de la durée de son séjour en France, de sa vie conjugale avec M. A..., qui dispose d'une carte de résident en France et est le père de ses deux fils nés les 14 février 2022 et 13 juin 2023, et de la présence sur le territoire national de sa tante, de son oncle et de plusieurs cousins. Elle fait par ailleurs valoir qu'elle tente de s'intégrer en recherchant un emploi. Toutefois, comme l'ont relevé les premiers juges, Mme E... n'établit ni la date de son entrée en France, ni l'ancienneté et la continuité de son séjour, en se bornant à produire des factures non probantes au titre des années 2017 et 2019 à 2021, sans produire aucun document probant au titre de l'année 2018. Elle n'établit pas davantage la communauté de vie dont elle se prévaut en produisant des attestations familiales, et la conclusion d'un pacte civil de solidarité (PACS) avec M. A..., le 31 mai 2021, était récente à la date de l'arrêté en litige. Eu égard au très jeune âge de ses enfants, dont l'un est né après l'édiction de l'arrêté du 16 mai 2023, et à la présence en République du Congo du père de la requérante et de sa fratrie, le préfet du Val-d'Oise n'a donc pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en prenant l'arrêté attaqué, ni porté atteinte à l'intérêt supérieur de ses enfants. Il n'a donc pas méconnu les dispositions et stipulations citées au point 10 du présent arrêt. Il n'a pas, pour les mêmes motifs, commis d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de son arrêté sur sa situation personnelle.
12. Il résulte de ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 6 mars 2024, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 mai 2023 du préfet du Val-d'Oise refusant de lui délivrer un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. D'une part, si Mme E... est fondée, comme il a été dit au point 9 du présent arrêt, à demander l'annulation de la décision du 2 septembre 2022 par laquelle le préfet du Val-d'Oise a refusé de lui délivrer un titre de séjour, le motif d'annulation retenu n'implique pas nécessairement la délivrance d'un tel titre, et il ressort des pièces du dossier que, par l'arrêté du 16 mai 2023, la situation de l'intéressée a été réexaminée. D'autre part, les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du préfet du Val-d'Oise du 16 mai 2023 doivent être rejetées. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme E... dans les requêtes susvisées doivent être rejetées.
Sur les frais liés aux litiges :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans l'instance enregistrée sous le numéro 24VE00829, le versement d'une somme au titre des frais exposés par Mme E... et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme à l'appelante au titre de l'instance enregistrée sous le numéro 23VE01311.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2213276 du 6 juin 2023 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et la décision du préfet du Val-d'Oise du 2 septembre 2022 refusant la délivrance d'un titre de séjour à Mme E... sont annulés.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme E... tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination contenues dans l'arrêté du préfet du Val-d'Oise 2 septembre 2022.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par Mme E... en première instance et en appel, par les requêtes n° 23VE01311 et n° 24VE00829, est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... F... E... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Val-d'Oise.
Délibéré après l'audience du 10 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Mornet, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Aventino, première conseillère,
- M. Cozic, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
La présidente rapporteure,
G. MornetL'assesseure la plus ancienne,
B. Aventino
La greffière,
S. de Sousa
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23VE01311, 24VE00829