Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Sapeb Promotion a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge en droits et pénalités des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2016.
Par un jugement n° 2103196 du 17 janvier 2023, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires enregistrés les 20 mars 2023, 31 juillet 2023 et 11 mars 2025, la SARL Sapeb Promotion, représentée par Me Couraud, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des impositions en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 45 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a, en méconnaissance de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, relevé d'office sans en informer les parties, le motif tiré du défaut de date certaine du protocole lequel n'a jamais été invoqué même implicitement par les parties, en méconnaissance du principe du contradictoire ;
- les premiers juges ont commis une erreur sur la matérialité des faits ayant eu une incidence sur leur raisonnement ; ils ont retenu à tort que la cession portait sur un élément d'actif immobilisé alors même que les titres ont été inscrits en stocks et non en immobilisations, ce qui n'est pas sans incidence sur la charge de la preuve de l'acte anormal de gestion ;
- la vente par la société Sapeb Promotion des parts de la SCI auprès de MM. A... et C... n'est que l'exécution de son obligation contractée aux termes du protocole du 15 janvier 2015, dont l'existence et la date sont établies, et qui est opposable à l'administration, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, alors même qu'il n'a pas fait l'objet d'un enregistrement ;
- en présence d'une promesse synallagmatique ou unilatérale de vente, l'existence d'un acte anormal de gestion doit être appréciée à la date de conclusion de cette promesse et non à la date de son exécution ;
- à la date de conclusion du protocole, le prix stipulé était conforme au prix de marché du bien ainsi qu'il résulte de toutes les évaluations effectuées ; la méthode d'évaluation du service est erronée et inadéquate ;
- ce protocole, conforme à son intérêt social, excluait ainsi toute intention libérale de la part de Sapeb Promotion dès lors en outre que la transaction lui a permis de percevoir un intérêt de 5% par an, et que les causes de l'augmentation importante de valeur étaient totalement imprévisibles ;
- les intérêts de retard et les majorations pour manquement délibéré doivent être déchargées par voie de conséquence ; en outre, l'administration n'apporte pas la preuve qui lui incombe du caractère délibéré du manquement ;
Par deux mémoires distincts, enregistrés les 13 juillet 2023 et 9 décembre 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la société requérante n'ayant pas apporté, dans sa requête d'appel, d'élément permettant d'établir avec certitude la date du protocole d'accord du 15 janvier 2015, celui-ci ne peut être considéré comme opposable à l'administration ;
- l'existence d'un acte anormal de gestion est établi par l'administration ;
- les moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Danielian,
- les conclusions de M. Illouz, rapporteur public ;
- et les observations de Me Couraud, représentant la société Sapeb Promotion.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL SAPEB Promotion, qui exerce une activité de promotion immobilière et de location de biens immobiliers a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre des exercices clos en 2015 et 2016. A l'issue de ce contrôle, l'administration a notamment estimé que la cession des parts de la SCI du 129 bd Jean Jaurès intervenue au profit de M. B... A..., gérant associé de la SARL et M. E... A..., associé, le 19 octobre 2016 et au profit de M. D... C... le 20 décembre 2016, avait été consentie à un prix minoré, inférieur à leur valeur vénale et constituait un acte anormal de gestion. Elle a en effet considéré que la société aurait dû procéder à la cession des parts de la SCI pour un prix calculé d'après la valeur du bien, unique actif immobilisé de la SCI, à la date de cette cession, soit 14 millions d'euros et non pour le prix convenu aux termes d'un protocole signé le 15 janvier 2015, soit 2,7 millions augmenté d'une marge de 5% par an. Elle a donc, par proposition de rectification du 25 juillet 2018, rehaussé le résultat de la société au titre de l'exercice clos en 2016 du montant de la renonciation à recettes, soit, à proportion des parts cédées, 2 176 922 euros ramené à 1 732 926 euros au stade de la réponse aux observations du contribuable pour tenir compte du recalcul de la valeur de l'actif net de la SCI. La société a, par conséquent, été assujettie à une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2016, assortie de pénalités pour manquement délibéré, d'un montant total, en droits et pénalités de 817 809 euros. La SARL Sapeb Promotion fait appel du jugement du tribunal administratif de Versailles du 17 janvier 2023 ayant rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions en litige.
Sur la régularité du jugement :
2. D'une part, il appartient au juge administratif de se prononcer sur le bien-fondé des moyens dont il est saisi et, le cas échéant, d'écarter de lui-même, quelle que soit l'argumentation du défendeur, un moyen qui lui paraît infondé, au vu de l'argumentation qu'il incombe au requérant de présenter au soutien de ses prétentions.
3. En jugeant que le protocole d'accord du 15 janvier 2015, rédigé sous seing privé, n'était pas opposable à l'administration fiscale faute de date certaine, les premiers juges se sont bornés à exercer leur office afin de se prononcer sur le bien-fondé du moyen, dont ils étaient saisis, tiré de ce que la société Sapeb Promotion était contrainte de céder les titres en litige à ce prix en exécution d'un engagement de cession qu'elle avait contracté à l'égard MM. A... et C... par ce protocole. En statuant ainsi, ils n'ont pas irrégulièrement relevé d'office un moyen qu'ils auraient été tenus de communiquer aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative.
4. D'autre part, l'existence d'une éventuelle erreur sur la matérialité des faits commise par les premiers juges et ayant une incidence sur la charge de la preuve a trait au bien-fondé du raisonnement suivi par ces derniers et est, en tout état de cause, sans incidence sur la régularité du jugement.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne l'opposabilité du protocole et la date d'appréciation de l'existence d'un acte anormal de gestion :
5. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Il appartient, en règle générale, à l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal.
6. Il résulte de l'instruction que les sociétés du groupe Sapeb, (Sapeb Promotion, Sapeb Investissements et Sogaprom), M. D... C..., M. B... A... et M. E... A... indiquent avoir conclu, le 15 janvier 2015, un protocole aux termes duquel les parties s'engageaient à acquérir l'intégralité des 450 parts sociales de la SCI du 129 boulevard Jean Jaurès à Clichy. Les trois cessionnaires personnes physiques n'étant pas en mesure de libérer immédiatement leur engagement, il a été convenu que les sociétés du groupe procèderaient à l'acquisition des parts, dont 150 parts par la société Sapeb Promotion, puis en rétrocèderaient une fraction à M. D... C..., M. B... A... et M. E... A... à un prix égal à leur prix d'acquisition, majoré d'un intérêt de 5% par an en rémunération du portage consenti par les sociétés du groupe Sapeb dans l'attente de l'obtention des fonds par ces derniers. L'usufruit puis la nue-propriété des parts de la SCI acquises par la société Sapeb Promotion ont été inscrites à son actif en compte de stocks. Conformément à ce protocole et au prix ainsi fixé, correspondant à une valeur vénale du bien immobilier de la SCI alors arrêtée à 2,7 millions d'euros, la société Sapeb Promotion a rétrocédé, le 19 octobre 2016, à M. B... A... et M. E... A... 18 parts chacun de la SCI pour un prix de 115 920 euros, et le 20 décembre 2016, à M. D... C..., 38 parts pour 224 720 euros, soit 6440 euros la part, la société conservant 76 des 150 parts qu'elle avait acquis. .
7. Pour établir que la société SAPEB Promotion avait consenti à MM. E... et B... A... et C... une libéralité constitutive d'un acte anormal de gestion, l'administration fait valoir que le prix effectif des parts de la SCI du 129 boulevard Jean Jaurès à Clichy était significativement inférieur à leur valeur vénale à la date des cessions, les 19 octobre 2016 et 20 décembre 2016, la valeur vénale du bien immobilier s'élevant, à cette date, à 14 millions d'euros.
8. La société Sapeb Promotion soutient toutefois qu'elle était contrainte de céder les titres en litige, élément de son actif circulant, à ce prix, en exécution de l'engagement de cession qu'elle avait contracté à leur égard, aux termes du protocole du 15 janvier 2015, et en déduit que l'existence d'un acte anormal de gestion devait ainsi être appréciée à la date de conclusion de cette promesse et non à la date de son exécution.
9. Pour soutenir que ce protocole d'accord, rédigé sous seing privé, ne lui est pas opposable faute de présenter une date certaine, l'administration fait valoir, ainsi qu'elle s'en était déjà prévalu dans son rapport à la commission départementale des impôts, que cet acte n'a fait l'objet d'aucun enregistrement, et n'a pas été annexé aux actes notariés de cession des parts à MM. A... en date du 19 octobre 2016, lesquels n'y font pas référence. A cet égard, si l'article 1328 du code civil, dont la substance est aujourd'hui reprise à l'article 1377 de ce code, prévoit que " les actes sous seing privé n'ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés (...) ", l'administration, dans l'exercice de ses missions, n'est toutefois pas un tiers au sens de ces dispositions, lesquelles ne sauraient dès lors faire obstacle à ce que les contribuables prouvent par tous moyens l'existence et la date de l'acte dont ils se prévalent afin de rendre celui-ci opposable à l'administration. En l'espèce, pour apporter cette preuve, la société Sapeb Promotion produit, pour la première fois en appel, un procès-verbal des délibérations du conseil d'administration de la SA Sapeb Investissements, holding animatrice du groupe de sociétés auquel Sapeb Promotion appartient, en date du 2 juin 2015, qui fait expressément mention de ce protocole du 15 janvier 2015. Si le ministre conteste l'authenticité de ce document, celle-ci est toutefois établie par un procès-verbal de constat d'huissier en date du 19 juillet 2023, lequel constate, au sein d'un registre des délibérations du conseil d'administration coté, paraphé et contenant 101 feuillets y compris la page de garde, accompagnés du sceau du greffe du tribunal de commerce de Paris, l'existence de ce procès-verbal, qui figure au verso du feuillet 97 et au recto-verso du feuillet 98, perforés en recto-verso de la mention " TC75 4434 " à l'instar de tous les feuillets du registre et également produits à l'instance. En outre, ce protocole est expressément cité par la promesse de vente du 19 octobre 2016 conclue entre M. C... et le groupe Sapeb, elle-même expressément citée par l'acte réitératif de cession du 20 décembre 2016, enregistré auprès du service des impôts. Enfin et au surplus, il résulte de la production de nombreux courriels que l'implication personnelle forte de M. C... dans la conduite du projet y compris après la cession des droits démembrés aux sociétés du groupe Sapeb et jusqu'à la cession définitive par la SCI de l'ensemble immobilier au groupe Béryl, ne peut s'expliquer que par la conclusion et l'existence à son profit d'une promesse de cession. Eu égard à l'ensemble de ces éléments concordants, la société Sapeb Promotion doit être regardée comme apportant la preuve de l'existence et de la date du protocole du 15 janvier 2015 dont elle se prévaut, lequel est ainsi opposable à l'administration, sans qu'y fasse obstacle l'absence d'enregistrement. Dans ces conditions, et quelle que soit la nature synallagmatique ou unilatérale de la promesse de vente consentie, c'est à tort que l'administration, pour constater l'écart entre la valeur vénale et le prix convenu entre les parties, et ainsi apprécier le caractère anormal de la décision de rétrocession des parts sociales en litige, s'est placée à la date de la cession, respectivement le 19 octobre 2016 pour MM. A... et le 20 décembre 2016 pour M. C....
S'agissant de la cession à M. B... A... et M. E... A... et de la date d'appréciation de l'existence d'un acte anormal de gestion :
10. Dès lors, ainsi qu'il a été dit au point précédent, que la société Sapeb Promotion avait pris l'engagement irrévocable à l'égard de MM. A... de céder des titres dans le protocole du 15 janvier 2015, l'administration devait, pour constater l'écart entre la valeur vénale et le prix convenu entre les parties, et ainsi apprécier le caractère anormal de la décision de rétrocession des parts sociales en litige, se placer à la date à laquelle celle-ci a été consentie.
11. La valeur vénale des actions non admises à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession ou l'apport est intervenu. Cette valeur doit être établie, en priorité, par référence à la valeur qui ressort de transactions portant, à la même époque, sur des titres de la société, dès lors que cette valeur ne résulte pas d'un prix de convenance. Toutefois, en l'absence de transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires, l'administration peut légalement se fonder sur l'une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l'actif ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes.
12. Pour établir le caractère anormal de la décision de rétrocession des parts sociales en litige à la date à laquelle celle-ci a été consentie, l'administration fait valoir que la valeur d'acquisition des parts de 2,7 millions d'euros en janvier 2015, par le groupe Sapeb, prix auquel a été fixé la rétrocession à MM. A..., était en réalité une valeur d'opportunité très inférieure au prix du marché, effectuée auprès de personnes n'étant pas des professionnels du secteur de l'immobilier, et que le bien recelait, dès l'origine, une plus-value latente importante par le biais d'une réserve de droits à construire, que la société Sapeb Promotion, professionnelle de l'immobilier ne pouvait ignorer. Pour estimer la valeur réelle des titres de la SCI du 129 boulevard Jean Jaurès à Clichy, dont le seul actif immobilisé était un ensemble immobilier composé à cette adresse de locaux d'une surface de 5 800 m² à usage de garages et de locaux d'une surface de 500 m² à usage d'habitation, le service vérificateur a évalué la valeur de ce bien par comparaison avec des transactions portant sur des immeubles à usage professionnel et à usage d'habitation intervenues au quatrième trimestre 2014. L'administration fiscale a ainsi relevé que les prix de cession, pour la première catégorie d'immeubles, étaient en moyenne de 3 008,56 euros par mètre carré et de 5 879,48 euros pour la seconde, soit des valeurs nettement supérieures à celle retenue par la SARL Sapeb Promotion, à hauteur de 536 euros par mètre carré.
13. La société appelante soutient toutefois, sans être contestée, que cette méthode est erronée et inadéquate et que les locaux retenus par le service ne peuvent être utilement comparés au bien de la SCI du 129 boulevard Jean Jaurès à Clichy compte tenu de sa destination principale à usage de garage, de ses caractéristiques intrinsèques, liés pour partie à ses locaux très vétustes, ses sous-sols pollués et sur murs amiantés ainsi qu'à la zone urbanistique inconstructible au sein de laquelle il s'insérait à la date de la conclusion du protocole de vente, le 15 janvier 2015. Elle justifie en outre que la conclusion du protocole faisait suite à l'échec de la promesse d'achat du 7 avril 2014 de la SARL Sapeb Promotion en vue d'acquérir le même bien pour un montant total de 2,7 millions d'euros, promesse devenue caduque du fait de l'exercice de son droit de préemption par la mairie de Clichy, le 19 juin 2014, pour un montant de 1,7 millions d'euros, et compromettant ainsi toute opération de promotion immobilière. La SARL Sapeb Promotion fait valoir par ailleurs, sans être davantage contestée, que les causes de l'importante augmentation de la valeur du bien sont extérieures aux parties au protocole et procèdent de circonstances postérieures à celui-ci, notamment d'une part, de l'annulation des élections municipales de Clichy le 11 mai 2015, le nouveau maire étant favorable à l'opération de promotion immobilière, d'autre part, de l'attribution de permis de démolir et de construire en janvier et mars 2016 et enfin de la modification du plan local d'urbanisme afin notamment de supprimer l'obligation de consacrer 30% au moins des surfaces d'habitation au logement social et d'assouplir les règles de constructibilité au-delà de la bande de 20 mètres. Enfin et surtout, la société appelante justifie, par la production d'un rapport d'expertise du 14 avril 2021 de la société Sorexi, complété par un courrier de l'expert du 7 décembre 2021, que la valeur vénale du bien retenue aux termes du protocole du 15 janvier 2015 était, contrairement à ce que soutient l'administration, conforme à la valeur de marché du bien à cette date. Ce rapport a en effet conclu, d'une part, par le croisement de la méthode de comparaison directe fondée sur les cessions antérieures proche de biens similaires situés dans un rayon pertinent et de la méthode par capitalisation des revenus, à une estimation de la valeur vénale de l'immeuble en l'état à 2,6 millions d'euros, et d'autre part, par le croisement de la méthode de comparaison directe fondée sur les cessions antérieures proche de terrains constructibles, nus ou encombrés, dans un rayon pertinent et de la méthode par la charge foncière, à une estimation de la valeur vénale de l'immeuble par récupération foncière à 3,1 millions d'euros. Ces montants, conformes au prix retenu dans les différents actes de vente intervenus au cours de l'année 2016, ne sont pas sérieusement remis en cause par l'administration. Par suite, la valeur de l'immeuble en litige et, partant, des parts sociales de la SCI du 129 boulevard Jean Jaurès à Clichy, rétrocédées à MM. A... le 19 octobre 2016, est aussi voisine que possible de celle qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la rétrocession a été consentie, le 15 janvier 2015. Dès lors, l'administration n'apporte pas la preuve qui lui incombe qu'il existait une discordance significative entre le prix effectif des parts sociales litigieuses cédées par la SARL Sapeb Promotion à MM. A... et leur valeur vénale. En conséquence, et pour cette seule raison, elle ne pouvait à bon droit qualifier cette vente d'un élément de son actif circulant d'acte anormal de gestion, et considérer que la SARL Sapeb Promotion s'était délibérément appauvrie à des fins étrangères à son intérêt.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Sapeb Promotion est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie, au titre de l'exercice clos en 2016, s'agissant des cessions opérées au profit de M. B... A... et M. E... A....
S'agissant de la cession à M. C... et de la date d'appréciation de l'existence d'un acte anormal de gestion :
15. S'agissant toutefois de la cession opérée au profit de M. C..., il résulte de l'instruction que postérieurement à la conclusion du protocole du 15 janvier 2015 et antérieurement à l'acte réitératif de cession du 20 décembre 2016, a été conclue, le 19 octobre 2016, une promesse synallagmatique de cession des parts sociales entre l'intéressé et les sociétés du groupe Sapeb, prévoyant le transfert de propriété dans les 30 jours ouvrés suivant sa conclusion en cas de réalisation des conditions suspensives. En sus des 41,78% des parts de la SCI, initialement prévus par le protocole du 15 janvier 2015, cette promesse prévoit que les trois sociétés du groupe Sapeb s'engagent également à céder 41,78% des créances en comptes courants. Il résulte ainsi des termes mêmes de cette promesse, et notamment son point E, que les parties sont convenues " de fixer le prix global de cession des parts cédées et des comptes courants tels que ceux-ci ressortent de la comptabilité des sociétés du groupe Sapeb au 30 septembre 2016 à 1 350 00€ " se répartissant entre 1 210 720 euros pour le prix des parts cédées, soit 6440 euros la part, conformément au prix fixé par le protocole de janvier 2015, et 139 230 euros pour le prix des créances en comptes courants. Il est en outre prévu que la cession est désormais subordonnée à la réalisation de conditions suspensives (article 4.1), et que le contrat sera résilié sans indemnité en cas de non-réalisation de l'une de celles-ci au plus tard le 15 janvier 2017, (article 4.2). Enfin et surtout, est constatée au point 11.2 de cette promesse, la caducité de tous projets, accords, convention, intervenus antérieurement. Ce faisant, cet acte a emporté la caducité du protocole du 15 janvier 2015 et la société Sapeb Promotion, qui n'a pris l'engagement irrévocable de céder des titres à l'égard de M. C... que le 19 octobre 2016, n'est pas fondée à soutenir qu'elle s'était trouvée contrainte de céder les titres en litige, élément de son actif circulant, en exécution d'un engagement de cession contracté le 15 janvier 2015.
16. Pour constater l'écart entre la valeur vénale et le prix convenu entre les parties, et ainsi apprécier le caractère anormal de la décision de rétrocession des parts sociales en litige, l'administration devait ainsi se placer à la date à laquelle celle-ci a été irrévocablement consentie au profit de M. C... soit le 19 octobre 2016. Or, il résulte de l'instruction, ainsi que le relève le service, que dès le mois de septembre 2016, la SCI du 129 boulevard Jean Jaurès à Clichy a reçu plusieurs offres en vue de l'acquisition de son unique actif immobilier, comprises entre 10,9 et 14 millions euros, et que l'offre finalement retenue pour un prix de 14 millions d'euros a été formulée le 18 octobre 2016, soit la veille de la promesse conclue entre M. C... et les sociétés du groupe Sapeb. A cette date, il n'est dès lors pas contesté ni contestable que le prix convenu de 6440 euros la part était significativement inférieur à leur valeur vénale, calculée par le service à 29 857 euros l'unité compte tenu de la valeur de l'actif net de la SCI, dont l'importante augmentation résulte des évènements listés au point 13, et notamment de l'attribution de permis de démolir et de construire en janvier et mars 2016 et de la modification du plan local d'urbanisme. Outre l'écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale, il résulte de l'instruction, ainsi que l'a relevé l'administration, que l'intention commune des parties de consentir et de recevoir une libéralité doit être présumée dès lors qu'il n'est pas contesté que M. C... était gérant de la SCCV Le carré d'Arch, dont la société Sapeb Investissements était associée et que les parties étaient ainsi en relation d'intérêt. Dans ces conditions, et alors que la société Sapeb Promotion ne justifie de l'existence d'aucune contrepartie, l'administration doit être regardée comme démontrant que cette dernière s'est délibérément appauvrie à des fins étrangères à son intérêt en procédant à la vente, au profit d'un tiers avec lequel elle était en relation d'intérêt, d'un élément de son actif circulant à un prix significativement minoré, témoignant ainsi de l'existence d'un acte anormal de gestion. C'est, par suite à juste titre, en application des règles ci-dessus rappelées, que l'administration a réintégré, dans le bénéfice imposable de la SARL Sapeb Promotion, le montant de la renonciation à recettes, à proportion des parts cédées à M. C....
Sur les pénalités restant en litige :
17. Aux termes de l'article 1727 du code général des impôts : " I. - Toute créance de nature fiscale, dont l'établissement ou le recouvrement incombe aux administrations fiscales, qui n'a pas été acquittée dans le délai légal donne lieu au versement d'un intérêt de retard. A cet intérêt s'ajoutent, le cas échéant, les sanctions prévues au présent code. (...) " Aux termes de l'article 1729 du même code : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; (...) "
18. Compte tenu de ce qui précède, et pour ce qui concerne la cession des parts à M. C..., la société Sapeb Promotion n'est pas fondée à demander la décharge des intérêts de retard et les majorations pour manquement délibéré par voie de conséquence de la décharge des redressements, en droits, auxquels elle a été assujettie à ce titre.
19. Pour justifier l'application de la majoration pour manquement délibéré dont ont été assorties les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés afférentes à la cession opérée au profit de M. C..., l'administration fait valoir que la SCI du 129 boulevard Jean Jaurès à Clichy a reçu des offres d'achat pour son unique actif immobilier dès le mois de septembre 2016 pour des montants très supérieurs au prix de cession des parts de la SCI et que l'offre finalement retenue pour un prix de 14 millions d'euros a été formulée le 18 octobre 2016, soit la veille de la promesse consentie à M. C.... Dès lors, elle ne pouvait ignorer que le prix consenti des parts de la SCI cédées à M. C... ne correspondait pas à valeur réelle des parts à cette date. En outre, au vu de l'importance de l'écart de prix entre la valeur de marché du bien et la valeur des parts en découlant, la société ne pouvait ignorer qu'elle renonçait à une recette conséquente au bénéfice d'un tiers, professionnel de l'immobilier, avec lequel elle était en relation d'intérêt. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve qui lui incombe de l'intention de la société d'éluder l'impôt et du bien-fondé des intérêts et majorations appliquées.
20. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Sapeb Promotion est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie, au titre de l'exercice clos en 2016, au titre des cessions opérées au profit de MM. B... et E... A....
Sur les frais liés au litige :
21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement, à la SARL Sapeb promotion, d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle, et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La base des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la société Sapeb Promotion a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2016 est réduite du montant de la renonciation à recettes correspondant à la cession des parts de la SCI à M. B... A... et M. E... A....
Article 2 : La SARL Sapeb Promotion est déchargée à due concurrence de la réduction en base définie à l'article 1er .
Article 3 : Le jugement n°2103196 du 17 janvier 2023 du tribunal administratif de Versailles est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'État versera à la SARL Sapeb Promotion une somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Sapeb Promotion et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 10 juin 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Danielian, présidente,
M. de Miguel, premier conseiller,
Mme Liogier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 juin 2025.
La présidente-rapporteure,
I. DanielianL'assesseur le plus ancien,
F-X. de Miguel
La greffière,
A. Audrain Foulon
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23VE00596