REJET du pourvoi de :
- D...,
- V... épouse T...,
contre un arrêt de la Cour d'appel de Montpellier, Chambre correctionnelle, du 1er décembre 1983 qui, saisie en tant que juridiction de renvoi après cassation, les a condamnés des chefs d'injures publiques envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée et complicité, chacun à 800 francs d'amende ainsi qu'à diverses réparations civiles en faveur du M. R. A. P., partie civile, et a ordonné la publication de la décision.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 7, 8 et 614 du Code de procédure pénale et 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de prescription de l'action publique ;
" aux motifs qu'en matière de presse la citation à comparaître délivrée à la partie civile constitue un acte de poursuite interruptif de prescription ; qu'en l'espèce il apparaît des pièces de la procédure que l'arrêt de la Cour de Cassation a été signifié à la partie civile parlant à sa secrétaire R..., par acte de Me B..., huissier de justice à Paris, en date du 18 février 1983 et la citation à comparaître devant la Cour de renvoi par acte du 17 mai suivant de Me François L..., huissier de justice à Paris ; que moins de 3 mois séparant les deux actes, il convient de constater que le moyen soulevé est mal fondé ;
" alors que la signification à la partie civile d'un arrêt de cassation qui ne constitue pas un acte de poursuite ne saurait interrompre la prescription de l'action publique qui, suspendue pendant la durée de l'instance devant la Cour de Cassation, a recommencé à courir à compter de la première signification de l'arrêt de cassation à partie ; qu'ainsi en l'espèce la prescription de l'action publique qui avait recommencé à courir le 21 janvier 1983, date de la signification de l'arrêt de cassation aux prévenus, n'a pas été interrompue par la signification le 18 février 1983 de ce même arrêt à la partie civile et était acquise le 17 mai 1983 lorsque la citation à comparaître a été délivrée à cette dernière ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a violé les textes visés au moyen " ;
Attendu que, saisie d'un pourvoi de D... et de V... épouse T... contre un arrêt de la Cour d'appel de Toulouse les ayant condamnés pour injures publiques envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée et de complicité, chacun à 800 francs d'amende et à diverses réparations civiles, la Chambre criminelle de la Cour de Cassation a, par arrêt du 30 novembre 1982, cassé la décision attaquée et, pour être statué à nouveau, a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Montpellier ;
Attendu que devant cette juridiction, avant toute défense au fond, les prévenus ont soulevé la prescription des actions publique et civile au motif que " plus de trois mois s'étaient écoulés entre l'arrêt de la Cour de Cassation du 30 novembre 1982 et même sa signification en date du 26 janvier 1983 et la citation à prévenu du 19 mai 1983 pour D... et du 3 juin 1983 pour la dame T... " ;
Attendu que, pour rejeter cette exception, les juges énoncent qu'il appert des pièces de la procédure que l'arrêt précité de la Cour de Cassation a été régulièrement signifié à la partie civile le 18 février 1983 et qu'ainsi moins de trois mois séparent ce dernier acte et la citation à comparaître délivrée le 17 mai 1983 à ladite partie civile ;
Attendu que, sans s'arrêter à une motivation incomplète et elliptique, la Cour de Cassation est à même de s'assurer que les juges d'appel ont donné une base légale à leur décision ;
Qu'en effet la prescription qui avait été interrompue et suspendue par le pourvoi en cassation formé par les prévenus contre l'arrêt de la Cour d'appel de Toulouse a recommencé à courir à dater de la signification aux demandeurs le 26 janvier 1983 ; qu'elle a été interrompue à nouveau par la signification régulièrement faite dudit arrêt à la partie civile le 18 février 1983 ; qu'ainsi la citation à comparaître délivrée le 17 mai 1983 à la partie civile et qui constitue également un acte interruptif de la prescription est intervenue avant que trois mois se soient écoulés depuis la signification précitée ; que la prescription n'était donc pas acquise lorsque la Cour d'appel a eu à connaître de l'affaire à son audience du 16 juin 1983, date à laquelle elle a fait l'objet d'un premier renvoi contradictoire au 6 septembre 1983 ;
Qu'en conséquence l'arrêt attaqué ne saurait encourir les griefs allégués au moyen, lequel ne saurait être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 29, 32 alinéa 2, 33 alinéa 3 et 53 de la loi du 29 juillet 1881, et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les prévenus coupables d'injures à l'égard des Algériens d'une part et des personnes immigrées n'appartenant pas à la nation française d'autre part et les a condamnés à 800 francs d'amende ainsi qu'au paiement de 1 500 francs de dommages et intérêts au profit de la partie civile et de 2 000 francs au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
" aux motifs que tenu par les termes de la citation en une matière où l'action de la partie civile est prépondérante, il n'apparaît pas possible à la juridiction saisie de substituer une autre qualification à celle choisie par ladite partie civile ; qu'il convient de rejeter le moyen proposé de ce chef ; que l'infraction reprochée aux prévenus est constituée à l'égard des Algériens d'une part, par l'expression " côté algérien, le plus dangereux " accolée à l'expression précédente " des étrangers qui vivent à nos crochets " et encore l'expression " peu de travailleurs mais beaucoup de parasites dangereux " suivant la proposition " l'immigration sauvage des Algériens ", à l'égard des immigrés d'autre part, par les propos "... ils n'ont pas le temps de travailler étant autorisés à se prélasser sans vergogne " et ceux outrageants et incitatifs à la haine "... mais craignez pour votre tête, l'émeute peut se produire... et ce jour-là vos protégés d'aujourd'hui prendront la tête du mouvement pour faire tomber la vôtre " ; que vainement les prévenus allèguent la bonne foi et l'erreur ; qu'ils ne peuvent pas contester la matérialité de l'écrit ni ces objectifs nettement déterminés par les termes ci-dessus rappelés ;
" alors que, d'une part, toute erreur de qualification des faits dénoncés dans la citation doit entraîner la relaxe du prévenu ; qu'ainsi la Cour d'appel saisie de conclusions qui faisaient valoir que la citation qualifiait à tort d'injures les propos contenus dans l'article incriminé, qui contenaient l'imputation de faits précis reprochés aux immigrés et notamment aux Algériens, en se bornant à affirmer qu'il ne lui appartenait pas de substituer une autre qualification à celle choisie par la partie civile, sans tirer les conséquences légales de cette erreur de qualification dont elle ne niait pas l'existence, a violé les textes visés au moyen ;
" alors que, d'autre part, l'article 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 ne réprime que les propos qui prétendent tirer des particularités ethniques des personnes visées des conséquences injurieuses à leur égard ; qu'ainsi en décidant qu'étaient constitutifs de l'infraction poursuivie des propos, dont le seul objet était de traiter du problème de l'immigration clandestine et de la charge que représentaient pour la société française les immigrés et notamment les Algériens qui n'exerçaient aucun travail, sans mettre en cause, en tant que telle, l'appartenance ou la non-appartenance des personnes visées à une race ou une ethnie, la Cour d'appel a violé le texte susvisé ;
" alors qu'enfin, la Cour d'appel, en se bornant à affirmer que la bonne foi était exclue par la matérialité de l'écrit et ses objectifs nettement déterminés sans prendre en considération ainsi qu'elle y était invitée, le ton polémique avec lequel les auteurs de l'article avaient traité le sujet politique que constitue l'immigration clandestine, n'a pas donné de base légale à sa décision " ;
Sur le moyen pris dans sa première branche :
Attendu que les demandeurs ne sauraient être déclarés recevables à critiquer l'arrêt attaqué pour n'avoir pas fait droit à leurs conclusions tendant à ce qu'il soit jugé que les propos incriminés relevant de la qualification de diffamation publique et non de celle d'injures publiques visée par la partie civile poursuivante ils ne pouvaient qu'être relaxés ;
Qu'en effet, d'une part, ce moyen déjà formé contre le précédent arrêt de la Cour d'appel de Toulouse a été écarté par la Cour de Cassation dans son arrêt du 30 novembre 1982 et que, d'autre part, la Cour de renvoi a statué dans les termes dudit arrêt ;
Que, de surcroît, l'approbation par la Cour de Cassation des motifs de l'arrêt ayant rejeté les mêmes conclusions privait les prévenus de la possibilité de reprendre celles-ci devant la Cour de renvoi qui aurait dû les dire irrecevables ; qu'ainsi les motifs de l'arrêt attaqué ne sauraient être critiqués sur ce point ;
Qu'en conséquence le moyen, dans sa première branche, doit être déclaré irrecevable ;
Sur le moyen pris en sa troisième branche :
Attendu que la Cour d'appel a mis la Cour de Cassation à même d'exercer son contrôle en énonçant que la nature des propos injurieux retenus à l'encontre des prévenus ne permettait pas de leur accorder le bénéfice de la bonne foi par eux sollicité alors que, de surcroît, l'arrêt attaqué confirme, sur ce point, la décision des premiers juges, lesquels avaient, à bon droit, statué dans le même sens en réponse à des conclusions identiques ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli dans sa troisième branche ;
Sur le moyen pris dans sa deuxième branche :
Attendu que V... épouse T..., directrice de la publication du journal " C...- D...- T... i..." et D... ont été cités, dans les délais de la prescription, devant le Tribunal correctionnel des chefs " d'injures publiques envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie ou à une nation déterminée " pour avoir, la première publié, le second signé, un article intitulé " il n'y a plus de vertu nationale en France, seul le ridicule fait surface " qui aurait comporté un certain nombre de propos injurieux, les uns à l'encontre des travailleurs immigrés d'origine algérienne, les autres visant les travailleurs immigrés, pris dans leur ensemble ;
Que, dans son exploit introductif d'instance, le M. R. A. P., partie civile poursuivante, tout en retenant la même qualification pour l'ensemble des propos articulés, faisait le départ entre ceux qui visaient " les algériens " et ceux qui concernaient " les étrangers ou les immigrés " ;
Que sur le pourvoi de V... épouse T... et de D... contre l'arrêt de la Cour d'appel de Toulouse qui les avait condamnés à des peines d'amende et à des réparations civiles, la Cour de Cassation, par arrêt du 30 novembre 1982, a cassé la décision attaquée au motif que celle-ci avait qualifié, sans s'en expliquer, l'ensemble des propos incriminés " d'injures vis-à-vis des immigrés algériens ", la nature juridique d'injures publiques desdits propos n'étant pas remise en cause ;
Que la Cour d'appel de Montpellier, statuant comme Cour de renvoi, a, par l'arrêt aujourd'hui critiqué, adoptant les termes de la citation, retenu la culpabilité des prévenus d'une part pour les injures " à l'égard des Algériens " d'autre part pour les injures " à l'égard des immigrés " au motif que " les personnes immigrées n'appartenaient pas à la nation française " ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi les juges du fond, s'ils ont fait l'exacte application de la loi du 1er juillet 1972 en ce qui concerne les injures à l'égard des travailleurs d'origine algérienne, ont, en revanche, fait une fausse interprétation de la loi précitée, privant ainsi leur décision de base légale sur ce point, en estimant implicitement que le délit poursuivi était constitué même si les injures incriminées ne concernaient pas des " immigrés " en considération de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ;
Que, néanmoins, il n'y a pas lieu à cassation, la peine et les dommages et intérêts étant justifiés, en vertu de l'article 598 du Code de procédure pénale, par la déclaration de culpabilité sur le délit d'injures publiques à l'encontre des travailleurs immigrés d'origine algérienne ;
Qu'ainsi le moyen doit également être écarté dans sa deuxième branche ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.