CASSATION sur les pourvois formés par :
1°) X... Raymond,
2°) la Mutuelle générale française accidents (MGFA), partie intervenante,
contre un arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 15 janvier 1986, qui, dans la procédure suivie contre X... du chef d'homicide involontaire, s'est prononcé sur les réparations civiles.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs, et le mémoire en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 1382 du Code civil, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné X... et la MGFA à payer à Mme veuve Y... la somme de 600 971 francs en réparation de son préjudice patrimonial ;
" aux motifs que les parties ne critiquent pas le chiffre de 131 634 francs de revenu annuel des époux Y... ; que " s'agissant d'un ménage sans enfant et considérant que l'épouse n'avait aucune activité rémunérée, la part des revenus revenant à la veuve ne peut excéder la moitié des revenus du ménage, soit... 65 817 francs... l'évaluation du préjudice devant être faite au jour de la décision, il convient d'actualiser ce résultat par application de l'indice des prix à la consommation, soit :
65 817 F x 159, 3 (indice septembre 1985)
---------------------------------------- = 87 591, 04 F
119, 7 (indice décembre 1981)
(arrêt attaqué p. 3 alinéas 12, 13, 14) ; qu'il y a lieu de déduire de ce résultat les revenus fonciers et la pension de réversion soit 16 575 francs à l'exclusion des revenus du fonds de commerce " dès lors qu'il est établi que Mme Y... ne perçoit aucun revenu de ce chef " ; que " la perte annuelle de revenus de Mme Y... s'établit donc à... 71 016, 04 francs. Il convient d'appliquer à ce résultat le taux du franc de rente viagère, soit 8, 623 pour une victime de 62 ans :
71 016, 04 x 8, 623
612 371 francs dont il convient de déduire... le montant du capital décès soit 612 371-11 400
600 971 F " (arrêt attaqué p. 4 alinéas 1 et 2) ;
" 1) alors que si les juges apprécient souverainement le montant des dommages-intérêts dus à la victime, il ne peut en résulter ni perte ni profit pour celle-ci ; qu'en l'espèce la cour d'appel a procédé à l'actualisation du montant du préjudice subi par Mme Y... par référence à l'indice des prix à la consommation de décembre 1981 soit un an avant la date de l'accident ; qu'en statuant de la sorte la cour d'appel a fixé le montant du préjudice actualisé à un chiffre supérieur à la perte de revenu réellement subie par Mme Y..., en violation des textes susvisés ;
" 2) alors que le montant des dommages-intérêts alloués à la victime ne peut excéder le montant du préjudice subi ; que les juges qui ont pris en considération l'évaluation des circonstances économiques pour actualiser le montant de la perte de revenu subie au jour de l'accident ne sauraient prendre une nouvelle fois ces éléments en considération pour fixer le montant du capital représentatif d'une rente en l'indexant comme en matière de sécurité sociale au jour du décès du conjoint ; qu'il résulte des propres termes de l'arrêt attaqué que la cour d'appel a calculé le montant des dommages-intérêts en multipliant le montant actualisé de la perte de revenus par le prix du franc de rente correspondant à l'âge de la victime le jour de l'accident ; qu'elle a, par là même, par deux fois pris en considération l'évolution des circonstances économiques en violation des textes susvisés " ;
Sur la seconde branche du moyen :
Attendu que statuant sur la réparation des conséquences dommageables de l'accident dont X..., reconnu coupable d'homicide involontaire sur la personne de Y..., avait été déclaré entièrement responsable, la cour d'appel, après avoir calculé la part des revenus annuels de la victime dont sa veuve était désormais privée, et actualisé cette part à la date de la décision pour tenir compte de l'évolution des conditions économiques depuis l'accident, a capitalisé la somme ainsi déterminée en la multipliant par la valeur du franc de rente correspondant à l'âge de Y... à la date de son décès ;
Attendu qu'en se prononçant ainsi, la juridiction du second degré n'a pas encouru le grief allégué ;
Qu'en effet, loin de conduire à une surestimation du dommage, l'application de cette valeur du franc de rente, calculée en fonction de l'espérance de vie de la victime et par conséquent du nombre d'années pendant lequel il était à prévoir que sa veuve serait privée de ressources, était seule de nature, lesdites ressources étant par ailleurs actualisées, à assurer la réparation intégrale du préjudice subi par Mme Y... ;
D'où il suit que le moyen, pris en sa seconde branche, n'est pas fondé ;
Mais sur la première branche du moyen ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que le calcul du préjudice doit être fait de manière qu'il n'en résulte pour la victime ni perte ni profit ;
Attendu que, pour actualiser à la date de leur décision la part de revenus annuels dont Mme Y... se trouvait privée par le décès de son mari, les juges d'appel, après avoir fait choix d'un indice, se sont référés, non à la valeur de cet indice en cours à la date de l'accident, mais à une valeur antérieure ;
Attendu qu'en se déterminant de la sorte, alors que seule la valeur en cours à la date du décès pouvait servir de référence sous peine de surestimation du dommage, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé ;
Qu'il s'ensuit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt précité de la cour d'appel de Bordeaux en date du 15 janvier 1986,
Et pour qu'il soit à nouveau statué conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Limoges.