LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique, tenue au Palais de Justice, à PARIS, le vingt-cinq octobre mil neuf cent quatre vingt huit, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire GUIRIMAND, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et LIARD, de Me COPPER-ROYER et de Me SPINOSI, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général RABUT ; Statuant sur le pourvoi formé par :
- LE SYNDICAT CGT DES METAUX DU CREUSOT,
- LE SYNDICAT CGT DE CREUSOT-LOIRE
CHALON-SUR-SAONE,
- LE SYNDICAT CGT DE CREUSOT-LOIRE
SAINT-CHAMOND,
- LE SYNDICAT LOCAL DES METAUX CGT DE
RIVE-DE-GIER,
- LE SYNDICAT CGT DE FRAMATOME,
- LE SYNDICAT CGT DES METAUX DE NANTES,
- LE SYNDICAT DES TRAVAILLEURS DE LA
METALLURGIE DE VILLEURBANNE,
parties civiles,
contre un arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 24 juin 1986, qui, dans les poursuites exercées des chefs d'entraves au fonctionnement régulier du comité central d'entreprise à l'encontre de Didier Y..., après relaxe du prévenu de ces chefs et mise hors de cause des syndics de la liquidation des biens de la société Creusot-Loire SA et de l'administrateur judiciaire de cette société, a débouté les parties civiles précitées de leurs demandes de réparations ; Vu les mémoires produits en demande et en défense ; Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 431-5, L. 432-1, L. 435-3 et L. 483-1 du Code du travail dans leur rédaction résultant de la loi du 28 octobre 1982, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ; "en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré non constitué à l'encontre de Y... le délit d'entrave au fonctionnement régulier du comité central d'entreprise pour défaut d'information et absence de consultation préalable au dépôt de la requête en suspension provisoire des poursuites ;
"aux motifs que s'il est vrai que la demande de suspension provisoire des poursuites qui est surtout une mesure conservatoire et d'aide peut cependant être regardée comme constituant une question intéressant la gestion et la marche générale de l'entreprise devant dès lors faire l'objet d'une information et d'une consultation préalables du comité d'entreprise, cette obligation d'information et de consultation étant donné la nature et les effets restreints de la demande de suspension provisoire des poursuites doit s'interpréter concrètement au regard notamment de l'urgence et moins rigoureusement en matière de déclaration de cessation des paiements ; qu'en l'espèce, l'urgence résulte de la chronologie des faits ; qu'au demeurant, le dépôt de la demande de suspension effectué le 26 avril 1984 avait été précédé d'une réunion extraordinaire du comité central d'établissement le 19 avril et celui-ci avait été informé, sinon expressément de la future demande de suspension, du moins de la situation financière de l'entreprise et des conséquences juridiques pouvant en découler à brève échéance ; qu'il est à noter que le texte de la requête en suspension provisoire des poursuites a été remis le 11 mai suivant aux membres du comité central d'établissement dont certains avaient assisté au conseil d'administration saisi le 25 avril du projet de demande ; qu'ainsi, l'information et la consultation préalables du comité central d'établissement ont été dans la circonstance considérées suffisantes ; "alors que dépôt d'une requête en suspension provisoire des poursuites de par les répercussions qu'elle entraîne nécessairement quant au crédit de l'entreprise auprès des tiers, constitue indéniablement une question intéressant la gestion et la marche générale de l'entreprise susceptible de surcroît d'avoir des conséquences sur le volume de l'effectif, rendant pleinement obligatoire conformément aux dispositions de l'article L. 432-1 du Code du travail la consultation préalable du comité d'entreprise, ce qui n'a précisément pas été le cas en l'espèce où, ainsi que le faisaient valoir les parties civiles dans leurs conclusions entièrement délaissées par la Cour il n'y avait eu aucune consultation préalable pour la question du dépôt d'une requête en suspension provisoire des poursuites, cette question n'étant du reste pas inscrite à l'ordre du jour de la séance extraordinaire du 19 avril laquelle de l'avis même de Y..., telle que consignée dans le procès-verbal de séance n'était qu'une réunion d'information et non de consultation ; que dès lors, la Cour qui, tout en constatant elle-même qu'il n'y aurait pas eu d'information expresse de la future demande de suspension a déclaré non établi le délit d'entrave reproché à Y... en se fondant sur des circonstances totalement inopérantes tirées de ce que le texte de la requête aurait postérieurement à son dépôt été porté à la connaissance des membres du comité central d'entreprise dont certains d'entre eux auraient été avisés lors de leur présence à la réunion du conseil d'administration le 25 avril, n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Vu lesdits articles ; Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; Attendu qu'il appert des énonciations de l'arrêt attaqué et de celles du jugement dont il a adopté les motifs non contraires qu'à la suite de graves difficultés financières, la société Creusot-Loire SA, dirigée par Didier Y..., a conclu avec l'Etat et un ensemble de banques un protocole destiné à assurer à Creusot-Loire SA les moyens nécessaires pour surmonter ses difficultés ; que ce protocole a aussi été signé par Schneider SA, société actionnaire majoritaire de Creusot-Loire, dirigée également par Y..., et que des mesures de restructuration industrielle ont été portées à la connaissance du comité central d'entreprise de Creusot-Loire SA et mises en place ; que, toutefois, l'exécution de cet accord ayant ensuite été remise en cause, par la direction de Creusot-Loire SA et de Schneider SA, en raison du refus d'actionnaires de ces deux groupes de respecter les engagements souscrits en leur nom, Y... a soumis aux pouvoirs publics de nouvelles propositions qui n'ont pas été acceptées ; qu'à la suite de ce refus, notifié le 24 avril 1984, la direction de Creusot-Loire SA, avec l'assentiment de Schneider SA, a demandé le 26 avril suivant au tribunal de commerce de Paris le bénéfice du régime de la suspension provisoire des poursuites, en application des dispositions, alors en vigueur, de l'ordonnance du 23 septembre 1967, et que par jugement du 14 mai 1984, il a été satisfait à cette requête ; qu'enfin, le 13 juin 1984, Creusot-Loire SA a sollicité auprès de la même juridiction la conversion de la suspension provisoire des poursuites en règlement judiciaire, et que cette mesure a été ordonnée par jugement du 28 juin 1984 ; Attendu qu'en raison de ces faits, le syndicat CGT des métaux du Creusot, le syndicat CGT de Creusot-Loire Châlon-sur-Saône et le syndicat CGT de Creusot-Loire Saint-Chamond ont fait citer directement Y... devant la juridiction répressive sur le fondement des articles L. 431-5, L. 432-1 et suivants, L. 432-9, L. 434-2 et L. 434-3, L. 435-1, L. 435-3 et L. 473-1 du Code du travail, dans leur rédaction issue de la loi du 28 octobre 1982, en lui reprochant de n'avoir ni informé ni consulté au préalable le comité central d'entreprise de Creusot-Loire SA, à une époque décisive pour la vie de cette société en difficulté et pour l'emploi des salariés ; que les syndics de la liquidation des biens de Creusot-Loire SA, et l'administrateur judiciaire de la société ont également été cités en qualité de "civilement responsables" ;
Attendu que pour dire non constitué le délit d'entrave au fonctionnement du comité central d'entreprise pour défaut d'information et absence de consultation préalable au dépôt de la requête en suspension provisoire des poursuites, pour débouter de leurs demandes de réparations les syndicats précités ainsi que d'autres groupements qui s'étaient aussi constitués parties civiles, et notamment le syndicat local des métaux CGT de Rive-de-Gier, le syndicat CGT de Framatome, le syndicat CGT des métaux de Nantes, le syndicat des travailleurs de la métallurgie de Villeurbanne, et pour mettre hors de cause les syndics et l'administrateur judiciaire de Creusot-Loire, la cour d'appel observe tout d'abord que malgré l'imprécision des articles L. 432-1 et suivants du Code du travail, dans leur rédaction applicable aux faits poursuivis, la demande de suspension provisoire des poursuites, qui est surtout une mesure conservatoire et d'aide, peut être considérée comme une question intéressant la gestion et la marche générale de l'entreprise au sens dudit article L. 432-1 et comme devant, dès lors, faire l'objet d'une information et d'une consultation préalable du comité d'entreprise ; qu'elle énonce ensuite que cette obligation d'information et de consultation doit, étant donné sa nature et ses effets restreints, s'interpréter concrètement, au regard notamment de l'urgence, et moins rigoureusement qu'en matière de cessation des paiements ; que ladite Cour constate qu'en l'espèce, il y avait urgence à agir, et que le dépôt de la demande de suspension provisoire des poursuites, effectué le 26 avril 1984, avait été précédé, le 19 avril, d'une réunion extraordinaire du comité central d'entreprise, au cours de laquelle cet organisme avait été informé, sinon expressément de la future demande de suspension, du moins de la situation financière et générale de l'entreprise, ainsi que des conséquences pouvant en découler à brève échéance, l'éventualité d'un dépôt de bilan ayant été évoquée par la direction dès novembre 1983 ; que les juges du second degré énoncent enfin que le texte de la requête en suspension provisoire des poursuites a été remis le 11 mai 1984 aux membres du comité et qu'à la réunion du 17 mai 1984, la mesure de suspension provisoire des poursuites, qui avait été obtenue, n'a fait l'objet d'aucune critique ; que les juges déduisent de l'ensemble de ces éléments que l'information et la consultation préalable du comité central d'entreprise ont été, en la circonstance suffisantes ; Mais attendu qu'en décidant ainsi, et alors qu'elle avait fait apparaître qu'il n'avait pas été satisfait aux exigences des articles L. 431-5 et L. 432-1 du Code du travail, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, n'a pas justifié sa décision ; Qu'il s'ensuit que la cassation est encourue ; Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé,
CASSE et ANNULE l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 24 juin 1986, mais en ses seules dispositions civiles concernant les demandeurs au pourvoi, toutes autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Amiens, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;