CASSATION sur les pourvois formés par :
- X... Henri,
- Y... Patrick,
- Z... Xavier,
contre l'arrêt n° 1145 de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 27 septembre 1994, qui, dans les poursuites suivies contre eux du chef d'infractions à la législation sur les contributions indirectes, a dit n'y avoir lieu à annulation de la procédure et a renvoyé l'examen de l'affaire à une audience ultérieure.
LA COUR,
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle du 21 décembre 1994 joignant les pourvois et prescrivant leur examen immédiat ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le second moyen de cassation, présenté par Henri X..., pris de la violation des articles 173 (ancien) et 174, alinéa 3, dans sa rédaction issue de la loi du 24 août 1993 du Code de procédure pénale, ensemble de l'article 593 du même Code, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la procédure fiscale et de la citation directe, soulevée in limine litis par X... ;
" aux motifs que s'il est certain que les agents des services fiscaux ont dirigé leur enquête et établi le procès-verbal de poursuites au vu des pièces d'une procédure pénale dont ils ont eu connaissance, et qui ont été ultérieurement annulées, au moment où l'administration fiscale en a pris connaissance, la procédure était entièrement valide, et qu'au demeurant la procédure fiscale, ultérieurement lancée sur citation directe, ne concerne pas les mêmes parties, l'administration fiscale n'étant pas présente dans l'instruction annulée ;
" alors, d'une part, que, dès lors que les pièces de la procédure pénale avaient été annulées, aucun élément ni renseignement ne pouvait plus en être tiré à l'encontre des parties à la procédure pénale, c'est-à-dire à l'encontre des inculpés ; que X..., inculpé dans la procédure pénale, ne pouvait plus se voir opposer ces pièces annulées, dans la procédure correctionnelle où il était prévenu sur citation directe de l'administration fiscale ;
" alors, d'autre part, que l'interdiction de puiser quelque renseignement que ce soit dans une procédure annulée, s'impose à toute personne dès lors que l'annulation est devenue définitive, et entraîne l'annulation de toute pièce de procédure postérieure fondée sur de tels renseignements, quelle que soit la nature de la pièce ou la qualité de celui qui s'en prévaut ; que, nonobstant le fait que l'administration fiscale ait eu connaissance des renseignements qui y figuraient avant l'annulation de la procédure, la citation directe délivrée par elle au vu exclusivement des renseignements qu'elle y avait puisés, selon les constatations mêmes de la cour d'appel, était nécessairement nulle " ;
Sur le moyen unique de cassation, présenté par Xavier Z..., pris de la violation des articles 173 (ancien) et 174, alinéa 3, dans sa rédaction issue de la loi du 24 août 1993, 593 du même Code, 6-1 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, violation des droits de la défense, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la procédure fiscale et de la citation directe " soulevée in limine litis par le prévenu ;
" aux motifs qu'il est certain, à la lecture du texte clair du procès-verbal de poursuite, que c'est après avoir eu connaissance de l'information n° 4 / 89 ouverte au cabinet du juge d'instruction d'Agen, que les agents des services fiscaux ont entamé leurs investigations ; que cette mention implique sans ambiguïté que les agents des services fiscaux ont eu connaissance non pas seulement de l'existence de l'instruction, mais bien aussi de son contenu qui, seul, permettait de diriger l'enquête de manière pertinente sur des personnes déterminées et des pratiques suffisamment connues ;
" que l'administration des Impôts l'a clairement exprimé dans ses premières écritures où elle a indiqué (p. 3, § 4) qu'elle a " été informée des éléments de la procédure pénale ", ce qui implique la consultation de ses pièces ;
" qu'il reste donc à déterminer si la procédure fiscale émane de la procédure pénale annulée et, le cas échéant, quelles sont les conséquences à en tirer ;
" que l'article 173 du Code de procédure pénale prescrit que les actes annulés sont retirés du dossier d'information et classés au greffe de la cour d'appel et qu'il est interdit d'y puiser aucun renseignement contre les parties aux débats ; que cette prohibition ne concerne que les parties aux débats et ne trouve pas son application lorsque de tels actes sont utilisés, alors qu'ils y ont été en leur temps régulièrement versés, dans des procédures et débats distincts de ceux dans le cadre desquels l'annulation a été prononcée ;
" que tel est bien le cas, en l'espèce, où l'administration fiscale a régulièrement pris connaissance des pièces d'une procédure alors entièrement valide ; que l'annulation ultérieure de certaines pièces consultées a été prononcée bien après que la présente procédure qui ne concerne pas les mêmes parties puisque l'administration fiscale n'était pas présente dans l'instruction ouverte au tribunal de grande instance d'Agen a été ouverte et diligentée ;
" que, dans ces conditions, il ne peut être considéré que la nullité d'actes prononcée dans la procédure d'instruction n° 4 / 89 ouverte au cabinet du juge d'instruction d'Agen ait, ipso facto, pour conséquence de vicier la procédure dont la Cour est aujourd'hui saisie ;
" alors que, d'une part, les pièces de la procédure pénale ayant été annulées, il est interdit d'y puiser aucun élément, ni renseignement à l'encontre des parties à la procédure pénale, c'est-à-dire à l'encontre des inculpés ; que Z..., inculpé dans la procédure pénale, ne pouvait plus se voir opposer les pièces annulées dans la procédure fiscale où il était prévenu sur citation directe de l'administration fiscale ;
" alors, d'autre part, que l'interdiction de puiser quelque renseignement que ce soit dans une procédure annulée s'impose à toute personne, dès lors que l'annulation est devenue définitive et entraîne l'annulation de toute pièce de procédure postérieure fondée sur de tels renseignements, quelle que soit la nature de la pièce ou la qualité de celui qui s'en prévaut ; que la circonstance que l'administration fiscale ait eu connaissance des renseignements qui y figuraient avant l'annulation de la procédure est sans portée, la citation directe délivrée par l'administration fiscale, au vu des renseignements qu'elle y avait puisés, étant nécessairement nulle selon les constatations mêmes de la cour d'appel " ;
Et sur le moyen relevé d'office en faveur de Patrick Y... ;
Les moyens étant réunis ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier le dispositif ; que l'insuffisance ou la contradiction dans les motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'Henri X..., Xavier Z..., Patrick Y..., marchands en gros de vins, sont poursuivis par l'Administration, du chef d'infractions à la législation sur les contributions indirectes, pour avoir fait circuler des vins sans titres de mouvements applicables ;
Que les premiers juges, après avoir constaté que ces poursuites reposaient sur des éléments tirés d'une précédente information qui avait été annulée en raison d'écoutes téléphoniques irrégulières, ont estimé que l'atteinte aux droits de la défense qui avait justifié cette annulation faisait obstacle à ce que de tels éléments puissent servir de fondement aux poursuites et ont, en conséquence, prononcé l'annulation de celles-ci ;
Attendu que, pour infirmer ce jugement, la cour d'appel énonce " qu'il est certain, à la lecture du procès-verbal base des poursuites, que c'est à partir des éléments recueillis par l'exercice du droit de la communication, dans la procédure ouverte pour fraude, avant l'annulation de celle-ci, que les agents des services fiscaux ont pu diriger leur enquête de manière pertinente sur des personnes déterminées et des pratiques suffisamment connues " ;
Qu'elle ajoute " que l'annulation des pièces de l'instruction ayant été prononcée bien après que les poursuites fiscales aient été engagées et l'administration fiscale n'ayant pas été, en outre, partie à ladite instruction, il ne peut être considéré que la nullité d'actes prononcée ait ipso facto pour conséquence de vicier la procédure fiscale " ;
Mais attendu qu'en cet état la cour d'appel, qui ne pouvait, sans se contredire ou mieux s'en expliquer, tout à la fois retenir que la poursuite fiscale avait été exercée à partir des seuls éléments tirés de la procédure annulée et exclure qu'une atteinte ait été ainsi portée aux droits de la défense, n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure de s'assurer de la légalité de la décision prononcée ;
Que dès lors, la cassation est encourue ;
Et attendu en outre que l'intérêt d'une bonne administration de la justice commande que l'annulation ait effet même à l'égard de ceux qui ne se sont pas pourvus ;
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens produits :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 27 septembre 1994, y compris en celles concernant Raymond A... ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée.