Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que, le 29 mai 1991, dans l'avant-port du Tréport, la drague " Johanna-Hendrika ", qui devait y effectuer des travaux, s'est posée à marée basse sur le fond vaseux et a glissé jusqu'à un quai le long duquel étaient amarrés deux navires de pêche qu'elle a abordés, l'" Intrigue ", appartenant à M. X..., et le " Pamerey ", propriété de M. Y... ; que l'abordage a entraîné la perte des deux navires ; que M. Y... a été indemnisé par son assureur sur corps, le Groupe des assurances nationales (GAN), tandis que M. X... a perçu une certaine somme de la société Boistel Eyssautier (société Boistel), agissant en qualité d'agent général des assureurs sur corps de son bâtiment ; que MM. X... et Y..., demandant la réparation de leurs pertes d'exploitation non indemnisées, ainsi que le GAN, subrogé dans les droits de son assuré, et la société Boistel ont assigné en responsabilité le capitaine de la drague, l'armateur de celle-ci, la société Annemingsmaatschappij De Branding holding BV Randing (société De Branding), et son assureur, la compagnie ABN Inssurenten NV (compagnie ABN) ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que le capitaine de la drague, la société De Branding et la compagnie ABN reprochent à l'arrêt d'avoir retenu que l'abordage avait été causé par la faute de la drague, alors, selon le pourvoi, qu'il résulte des constatations des juges du fond que, lorsque, en exécution de l'ordre qui lui avait été donné, le capitaine de la drague en a assuré le positionnement, l'enlèvement des bateaux était possible durant plusieurs heures avant l'échouement de la drague ; que le capitaine de celle-ci pouvait légitimement déterminer son comportement en fonction du fait que les bateaux allaient être déplacés, comme ils devaient l'être par leurs propriétaires et, éventuellement (en application de l'article 311-7, alinéa 4, du Code des ports maritimes et de l'article 12 du règlement général de police des ports de commerce) par les officiers du port ; que les juges du fond n'ont de la sorte pu attribuer l'abordage à une faute de la drague sans entacher leur décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 3 de la loi n° 67-545 du 7 juillet 1967, relative aux événements de mer, et de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que, sans constater que le capitaine de la drague aurait reçu l'ordre des officiers du port de positionner celle-ci à marée haute, au milieu de l'avant-port, dans des conditions dangereuses pour la sécurité, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que les deux navires abordés étaient correctement amarrés avant que la drague ne se mette en place, que le capitaine, spécialiste des travaux de dragage en zone portuaire, ne pouvait ignorer qu'il existait, après l'échouement de la drague en raison du reflux, un risque d'évolution de celle-ci sur le fond vaseux, et qu'il lui appartenait, en conséquence, d'exiger le déplacement des navires à quai, d'attendre, avant de se placer, leur appareillage et, au moins, de prendre la précaution élémentaire de retenir la poupe de son bâtiment, non par un simple pieu comme il a fait, mais par une aussière ; que, de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que l'abordage avait eu pour cause, non la faute des victimes ou de tiers, mais celle exclusive de la drague, obligeant celle-ci à réparer les dommages par application de l'article 3 de la loi n° 67-545 du 7 juillet 1967, relative aux événements de mer ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le troisième moyen, en tant qu'il concerne le capitaine de la drague :
Attendu que le capitaine de la drague reproche à l'arrêt de lui avoir refusé le bénéfice de la limitation de sa responsabilité, alors, selon le pourvoi, qu'en admettant que les constatations de l'arrêt caractérisent une faute de la drague, elles ne caractérisent pas, en toute hypothèse, une faute qualifiée, privative de la limitation de responsabilité, dans les termes de l'article 58, alinéa 3, de la loi du 3 janvier 1967, qui ne peut être qu'un fait commis avec l'intention de provoquer le dommage ou, témérairement et avec conscience, de ce que le dommage en résulterait probablement ;
Mais attendu qu'il résulte des dispositions des articles 1er, point 4, et 4 de la convention de Londres du 19 novembre 1976, sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes et des articles 58 et 69 de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967, portant statut des navires et autres bâtiments de mer, telle que modifiée par la loi du 21 décembre 1984, que si le capitaine d'un navire est au nombre des personnes admises à se prévaloir de la limitation de responsabilité prévue par ces différents textes même en cas de faute personnelle, il ne le peut pas s'il est prouvé que le dommage résulte de son fait ou de son omission personnels, mais commis témérairement et avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement ;
Attendu qu'ayant retenu qu'aucune précaution élémentaire de sécurité n'avait été prise pour effectuer sans risques la mise en place de la drague dans l'avant-port, et pour parer aux dangers prévisibles de son évolution, la cour d'appel a pu en déduire que, telle qu'elle ressortait de ses constatations relevées précédemment, la conduite du capitaine, qui devait, en professionnel, avoir conscience de la probabilité du dommage, était téméraire ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles 1251-3 et 1989 du Code civil, ensemble l'article 122 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que l'agent général d'assurances, qui n'a payé l'indemnité due à l'assuré qu'au nom et pour le compte de la compagnie qui l'a nommé, ne peut se prétendre personnellement subrogé dans les droits de l'assuré et n'a, en conséquence, qualité pour exercer l'action récursoire en responsabilité au nom de la compagnie subrogée que s'il en a reçu le mandat spécial ;
Attendu que, pour déclarer recevable l'action récursoire en réparation du dommage subi par M. X... exercée par la société Boistel, l'arrêt retient que celle-ci était l'agent des compagnies d'assurance, qu'elle était donc mandatée par elles " afin de gérer les sinistres et de les indemniser ", qu'elle a versé à M. X... l'indemnité prévue pour la perte totale de son navire et " qu'en sa qualité de mandataire, elle a engagé sa compagnie " ;
Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs d'ordre général, sans rechercher, au vu de son traité de nomination ou d'actes postérieurs, si la société Boistel avait reçu des assureurs subrogés, qui avaient seuls qualité pour exercer l'action récursoire en responsabilité, le pouvoir de les représenter en justice dans l'exercice même de celle-ci, lequel pouvoir n'était pas impliqué par la simple mission de gérer et indemniser le sinistre, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur le troisième moyen, en tant qu'il concerne la société De Branding :
Vu les articles 1er, point 1, et 4 de la convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes et l'article 58 de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer, telle que modifiée par la loi du 21 décembre 1984 ;
Attendu que la responsabilité d'un propriétaire de navire n'est illimitée que s'il est prouvé que le dommage résulte de son fait ou de son omission personnels, commis avec l'intention de provoquer un tel dommage ou commis témérairement et avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement ;
Attendu que, pour refuser à l'armateur de la drague le bénéfice de la limitation de responsabilité du propriétaire du navire, l'arrêt retient " qu'en l'espèce où aucune précaution élémentaire de sécurité n'a été prise ni pour effectuer la manoeuvre sans dommage, ni pour s'assurer du maintien de la drague..., la faute de l'armateur l'empêche d'invoquer une quelconque limitation de responsabilité " ;
Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, sans dire en quoi la faute commise par le capitaine de la drague pouvait aussi constituer la faute personnelle et intentionnelle ou inexcusable de l'armateur lui-même exclusivement envisagée par les textes susvisés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième et troisième branches du premier moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré recevable l'action exercée par la société Boistel Eyssautier et refusé à la société Annemingsmaatschappij De Branding holding BV Randing le bénéfice de la limitation de sa responsabilité, l'arrêt rendu le 8 septembre 1994, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen.