AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Mme Danielle Y..., demeurant ..., en cassation d'un arrêt rendu le 26 juin 1996 par la cour d'appel de Reims (Chambre civile, Section 1), au profit de la société Matot Braine, société anonyme, dont le siège est ..., défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 6 mai 1998, où étaient présents : M. Waquet, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Brissier, conseiller rapporteur, Mme Lemoine-Jeanjean, conseiller, Mme Bourgeot, M. Soury, Mme Duval-Arnould, conseillers référendaires, M. Joinet, premier avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Brissier, conseiller, les observations de Me Choucroy, avocat de Mme Y..., de Me Boullez, avocat de la société Matot Braine, les conclusions de M. Joinet, premier avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que, selon l'arrêt confirmatif attaqué, Mme Y..., employée en qualité d'attachée de direction par la société Matot Braine, a été licenciée le 6 mars 1989;
qu'après mise en oeuvre d'une procédure concernant ce licenciement et ayant donné lieu à une décision de justice définitive, les parties ont conclu un "protocole d'accord" prévoyant notamment une rupture du contrat de travail d'un commun accord et le versement à la salariée d'une indemnité à titre forfaitaire et transactionnel ;
que dans un litige opposant l'URSSAF à la société Matot Braine, a été rendu un arrêt définitif décidant que les dommages-intérêts versés en exécution du "protocole d'accord" constituaient en réalité des salaires soumis aux charges sociales;
qu'ultérieurement, Mme Y... a fait l'objet d'un redressement fiscal fondé sur le même motif ;
Sur le premier moyen :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande en résolution du "protocole d'accord" avec paiement de dommages-intérêts, alors, selon le moyen, que, d'une part, les juges du fond sont liés par les conclusions prises devant eux et ne peuvent modifier les termes du litige dont ils sont saisis;
que viole l'article 4 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel qui, pour rejeter la demande en résolution judiciaire du protocole litigieux avec octroi de dommages-intérêts, énonce que la demande s'analyse en une demande d'annulation de protocole pour non-respect de ses engagements par la société Matot Braine;
qu'ainsi, la cour d'appel a modifié l'objet de la demande;
alors, d'autre part, qu'une convention portant transaction ne peut être opposée par l'un des contractants que s'il en a respecté les conditions;
que, dans le cas contraire, l'autre partie peut demander au juge d'en prononcer la résolution avec paiement de dommages-intérêts;
qu'en l'espèce, Mme Y... faisait valoir dans ses conclusions d'appel, auxquelles la cour d'appel a omis de répondre, qu'aux termes du protocole d'accord litigieux, il était mis fin au contrat de travail de Mme Y... sans préavis et que celle-ci acceptait, à titre transactionnel, 1 700 000 francs de dommages-intérêts;
que Mme Y... a fait l'objet d'un contrôle fiscal ayant abouti à une notification de redressement pour la somme versée à titre de dommages-intérêts;
que le redressement fiscal se fondait sur une procédure que l'URSSAF avait intentée et gagnée à l'encontre de la société Matot Braine qui n'avait pas informé Mme Y... du litige l'opposant à l'URSSAF ;qu'ainsi, celle-ci n'avait pu faire valoir ses arguments et l'optique qui avait animé les parties au protocole d'accord;
qu'en transformant des dommages-intérêts en des sommes soumises à l'impôt, qu'en acceptant de considérer que la somme versée constituait une partie des condamnations précédemment obtenues, alors que l'économie de l'accord était autre, la société Matot Braine a modifié les termes de l'engagement et n'a pas satisfait aux conditions de la transaction;
que, dans ces conditions, la résolution était justifiée;
que, par suite, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu d'abord, que pour débouter Mme Y... de sa demande, la cour d'appel a constaté que la société Matot Braine ne s'était pas soustraite à l'exécution des obligations qu'elle avait contractées en vertu du "protocole d'accord", en sorte que la qualification, par elle donnée, de demande d'annulation à la demande de résolution du "protocole d'accord" n'a eu aucune incidence sur la solution du litige et que, partant, la cour d'appel, n'a pas méconnu les limites du litige ;
Attendu ensuite, que la cour d'appel a répondu, aux conclusions prétendument délaissées en ayant relevé par motifs propres et adoptés que, dans le litige opposant l'URSSAF à la société Matot Braine, la décision de justice, qui a retenu que les dommages-intérêts prévus par le "protocole d'accord" constituaient en réalité des salaires soumis aux cotisations sociales, n'était pas opposable à Mme Y... ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu les articles 32-1 et 559 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que, pour condamner Mme Y... au paiement de un franc à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt énonce que l'appel de Mme Y... injustifié apparaît abusif, causant un préjudice à la société Matot Braine qui sera réparé par l'octroi d'un franc à titre de dommages-intérêts ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle n'a constaté l'existence ni d'un acte de malice ou de mauvaise foi ni d'une légèreté blâmable, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et attendu qu'il y a lieu de faire application de l'article 627, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile, la cassation encourue n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, la cour étant en mesure, en cassant sans renvoi, de mettre fin au litige par application de la règle appropriée ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement mais seulement en ce qu'il a condamné Mme Y... à payer à la société Matot Braine un franc à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt rendu le 26 juin 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne la société Matot Braine aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Matot Braine ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.