CASSATION sur le pourvoi formé par :
- la société Cofica, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, en date du 6 mai 1998, qui, dans la procédure suivie contre Jean-Michel X..., Emmanuel Y..., Z..., Daniel A... et François B..., pour abus de confiance, escroquerie, complicité et recel de ces délits, a constaté la prescription de l'action publique et déclaré sa constitution de partie civile irrecevable.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, 8, 81 paragraphe 9, 82-1, 156, 173 paragraphe 3 et 593 du Code de procédure pénale, article 2 du Code civil, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a infirmé le jugement du tribunal de grande instance de Grenoble du 28 mars 1997 en toutes ses dispositions, a constaté l'extinction de l'action publique, et déclaré la société Cofica irrecevable en sa constitution de partie civile ;
" aux motifs que, " ainsi que le soutient M. l'avocat général, le dernier acte de poursuite effectué par le juge d'instruction est l'interrogatoire de première comparution de François B... en date du 30 mai 1991 ; cet acte n'a été suivi d'aucun autre avant l'ordonnance de soit communiqué du 19 juillet 1994 ; l'ordonnance du président du tribunal de grande instance de Grenoble en date du 23 septembre 1993 qui a remplacé, en raison de sa mutation, le juge d'instruction qui avait jusque-là conduit l'information, n'est pas interruptive de prescription, ladite ordonnance étant une simple mesure d'administration ; au regard du fait qu'un délai de plus de 3 ans s'est écoulé entre l'acte du 30 mai 1991 et l'ordonnance de soit communiqué du 19 juillet 1994, il y a lieu de constater l'acquisition de la prescription de l'action publique ; la constitution de partie civile ne pourra qu'être déclarée irrecevable " ;
" alors que jusqu'à la date d'entrée en vigueur de la loi du 4 janvier 1993, permettant désormais à la partie civile de demander au juge d'accomplir des actes interruptifs, soit le 1er mars 1993, la société Cofica, partie civile, ne disposait d'aucun moyen de droit pour obliger les magistrats successivement chargés de l'information à accomplir un acte interruptif de la prescription de l'action publique, de sorte que cette prescription a été nécessairement suspendue à son profit entre le 30 mai 1991 (date du dernier acte de poursuite effectué par le juge d'instruction) et le 1er mars 1993 (date d'entrée en vigueur de ladite loi), du fait de l'inaction du magistrat-instructeur ; que, dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles visés au moyen " ;
Vu les articles 6, 8 et 82-1 du Code de procédure pénale ;
Attendu que, si les articles 81, alinéa 9, 82-1, 156 et 173, alinéa 3, du Code de procédure pénale, qui permettent aux parties de demander aux juridictions d'instruction l'accomplissement de certains actes interruptifs, font désormais obstacle à ce qu'une partie civile se prévale de la suspension de la prescription de l'action publique du fait de l'inaction du juge, ces textes, d'application immédiate, ne sauraient avoir d'effet sur les prescriptions dont le cours est demeuré suspendu jusqu'à leur entrée en vigueur ;
Attendu que, pour déclarer prescrite l'action publique concernant les faits dénoncés par la partie civile, l'arrêt attaqué énonce qu'il n'y a pas eu d'acte interruptif de la prescription entre le 30 mai 1991, date de l'interrogatoire de première comparution de François B..., et l'ordonnance de soit communiqué du 19 juillet 1994, soit pendant plus de 3 ans ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que jusqu'au 1er mars 1993, date d'entrée en vigueur de l'article 82-1 du code de procédure pénale issu de la loi du 4 janvier 1993, la partie civile ne disposait d'aucun moyen de droit pour obliger le juge d'instruction à accomplir un acte interruptif de la prescription de l'action publique et que celle-ci a été suspendue à son profit entre le 30 mai 1991 et le 1er mars 1993, puis interrompue par les ordonnances de soit communiqué du 19 juillet 1994 et de règlement du 19 février 1996, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Grenoble, en date du 6 mai 1998, et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Chambéry.