AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 mai 1999), qu'entre le 17 juillet et le 31 décembre 1992, la société La Redoute France (l'importateur) a importé diverses marchandises en provenance de pays de la Communauté dans des départements d'outre-mer ; qu'à cette occasion les services des Douanes et des droits indirects de ces départements ont perçu la taxe d'octroi de mer ; que cette taxe ayant été déclarée contraire au droit communautaire par la Cour de Justice des Communautés européennes (arrêts X... et René Y...), l'importateur a assigné le directeur général des Douanes et des droits indirects en remboursement des droits indûment perçus ;
Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches :
Attendu que l'importateur fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en restitution des sommes versées en 1992 au titre de la taxe d'octroi de mer sur des importations dans les départements d'outre-mer, alors, selon le moyen :
1 / que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ; qu'il en résulte que l'égalité des armes doit être maintenue entre les parties et que nul n'est tenu de prouver contre lui-même ; qu'en conséquence le juge saisi d'une demande de répétition de droits indûment acquittés par une société ne peut lui opposer les déclarations d'un de ses préposés, recueillies par les agents de l'administration des Douanes dans l'exercice des pouvoirs qu'ils tiennent de l'article 334 du Code des douanes, sans que la personne interrogée ait été avertie des raisons pour lesquelles elle est interrogée et de l'utilisation que fera l'Administration de ses déclarations dans le cadre du litige précédemment ouvert par sa réclamation ; qu'en l'espèce, l'arrêt énonce qu'elle a formé des réclamations le 20 décembre 1994 et que Mme Z..., responsable des expéditions DOM-TOM a été interrogée par les agents de l'administration des douanes le 24 août 1995, soit après le dépôt de ces réclamations ; qu'il ressort du procès-verbal de constat dressé ce même jour, régulièrement produit aux débats par le directeur général des Douanes et cité par l'arrêt attaqué, qu'il a été indiqué à la personne interrogée que le motif de l'interrogatoire était "le contrôle des opérations d'expédition vers les DOM-TOM", particulièrement "le contrôle des modalités de taxation des colis à destination des clients de la société dans les DOM-TOM" ; qu'il n'a ainsi pas été indiqué à Mme Z... qu'elle était interrogée dans le cadre de l'instruction des réclamations préalablement déposées par la société et que ses déclarations pourraient être opposées à l'entreprise pour justifier le rejet de ces réclamations ;
qu'en se fondant néanmoins de façon déterminante sur des déclarations obtenues dans de telles conditions, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, le principe de l'égalité des armes et le droit de ne pas prouver contre soi-même ;
2 / que l'article 336-2 du Code des douanes dispose que les procès-verbaux de douane ne font foi que jusqu'à preuve contraire de l'exactitude et de la sincérité des aveux et déclarations qu'ils rapportent ;
qu'avant de retenir contre la personne qui demande la restitution de droits indûment acquittés les déclarations relatées dans un procès-verbal de douane, le juge doit examiner les preuves contraires qui lui sont soumises ; qu'en l'espèce, d'une part le premier juge avait relevé que "il n'est pas établi que Mme Z..., responsable des exportations, a des qualifications comptables et juridiques particulières lui permettant de se rendre compte de toute la portée économique, juridique et comptable de ses affirmations ; qu'en définitive, cette déclaration n'établit pas la répercussion des taxes litigieuses sur l'acheteur" ; que, d'autre part, elle soutenait utilement dans ses conclusions d'appel que "les taux d'octroi de mer variant de 2 % à 10 % en moyenne, ne constituent pas en eux-mêmes une charge significative, l'entreprise étant à même de l'absorber dans sa marge ; à cet égard il convient de souligner qu'elle édite deux types de catalogue, un pour la France métropolitaine et un pour les départements et territoires d'outre-mer dans lesquels les prix des articles offerts au public sont exactement identiques ; par ailleurs les bordereaux d'envoi de marchandises aux clients qui font expressément valoir que l'octroi de mer et la taxe additionnelle demeurent à sa charge" ;
qu'en se fondant sur les déclarations d'une de ses préposées, recueillies par procès-verbal par les agents de l'administration des Douanes en se bornant à affirmer que rien ne permet d'en mettre en cause la sincérité et l'exactitude, sans réfuter le motif du jugement entrepris selon lequel cette personne n'avait pas les qualifications lui permettant de se rendre compte de la portée de ses affirmations, ni examiner les preuves produites par elle à l'encontre du procès-verbal qui lui était opposé, la cour d'appel a violé les dispositions précitées de l'article 336-2 du Code des douanes ;
3 / qu'en s'abstenant de réfuter les motifs du jugement infirmé et de répondre à ses conclusions précitées, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / qu'en tout état de cause si les procès-verbaux de douane font foi de l'exactitude des déclarations qu'ils rapportent, il ne s'ensuit pas que ces déclarations sont elles-mêmes exactes c'est-à-dire que les propos relatés seraient exempts d'erreur ou d'omission ; qu'en outre le procès-verbal relate que Mme Z... a décrit "la clé de répartition actuellement en vigueur mise en place.... dernièrement en mai 1995" pour remplacer une clé de répartition "mise en place début 92" ; qu'en déduisant de la circonstance qu'une préposée avait fait des déclarations recueillies dans un procès-verbal par les agents de l'Administration la conséquence que ces déclarations étaient exactes, et en appliquant à des taxes perçues en 1992 une clé de répartition mise en place en mai 1995, la cour d'appel a violé derechef l'article 336-2 du Code des douanes ;
5 / qu'enfin le procès-verbal en cause rapporte "ainsi dans les deux cas la facturation au client reprend la TVA en vigueur dans la métropole. Notre société se substitue au client pour le paiement de la TVA spécifique, de l'octroi de mer et du droit additionnel à l'octroi de mer de son département. Ces droits et taxes sont payés indirectement par le client qui achète TTC catalogue" ; qu'en énonçant "qu'il résulte de ces déclarations que les taxes perçues ont bien été incorporées dans le prix de vente des marchandises et qu'elles ont été répercutées totalement sur les acheteurs", la cour d'appel a dénaturé les déclarations de Mme Z... qui, en déclarant que sa société se substitue à son client pour le paiement de l'octroi de mer, avait expressément dit que l'entreprise prend à sa charge cette taxe ; qu'elle a ainsi violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que la société La Redoute France a eu à sa disposition le procès-verbal dressé par l'administration des Douanes et a ainsi été en mesure de faire valoir, à deux reprises, devant les juges du fond, ses moyens de défense, et notamment les conditions dans lesquelles les déclarations qui lui étaient opposées dont elle avait seulement discuté la portée, avaient été obtenues ; qu'il n'est pas contesté que la personne entendue n'a pas témoigné sous la contrainte et qu'elle n'a pas revendiqué son droit de refus de communiquer des documents ou de se taire ; que, dès lors, en se fondant sur les déclarations ainsi recueillies par l'administration, la cour d'appel n'a violé ni le principe de l'égalité des armes, ni le droit de tout accusé de se taire ; que le grief relatif au non respect des dispositions de l'article 6, 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas fondé ;
Attendu, en second lieu, que les autres griefs tendent à contester l'appréciation par les juges du fond de la portée des éléments de preuve qui leur sont soumis ; que de tels moyens sont inopérants, la cour d'appel ayant, sans dénaturer les déclarations de Mme Z... souverainement estimé que la preuve de la répercussion était apportée par l'Administration ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que l'importateur fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de restitution des sommes versées en 1992 au titre de la taxe d'octroi de mer sur des importations dans les départements d'outre-mer, alors, selon le moyen :
1 / que la Cour de Justice des Communautés européennes a dit pour droit, dans les arrêts Just (27 février 1980), Denkavit (27 mars 1980), San Giorgio (9 novembre 1983), Bianco et Girard (25 février 1988), que si un Etat membre est tenu de rembourser les taxes perçues en violation du droit communautaire, ce principe comporte une exception lorsqu'il est établi que la personne astreinte au paiement de ces droits les a effectivement répercutés sur d'autres sujets et qu'il incombe aux juridictions nationales d'apprécier, à la lumière des circonstances de chaque espèce, si la charge a été transférée, en tout ou en partie, par l'opérateur sur d'autres personnes et si, le cas échéant, le remboursement de l'opérateur constituerait un enrichissement sans cause et qu'ainsi on ne saurait admettre, en cas de taxes indirectes, une présomption selon laquelle la répercussion a eu lieu, l'assujetti ayant la charge de prouver négativement le contraire et que, dans un arrêt du 17 janvier 1997 (Comateb), elle a précisé que l'existence d'une obligation légale d'incorporer la taxe dans le prix de revient ne permet pas de présumer que la totalité de la charge de la taxe a été répercutée ; qu'il en résulte que le juge saisi d'une demande en répétition de taxes indûment acquittées doit précisément vérifier que les droits dont la restitution est ainsi demandée ont été effectivement supportés par les clients de l'entreprise ; qu'en se fondant exclusivement sur la déclaration, sommaire et d'ordre général, d'une de ses préposées, dont elle a présumé l'exactitude, sans rechercher,
comme elle y était invitée, si elle avait vraiment incorporé ces taxes dans le prix de vente, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 352 bis du Code des douanes et des principes applicables au remboursement d'impositions contraires au droit communautaire ;
2 / que, selon les mêmes principes, l'assujetti qui demande la répétition de taxes indûment perçues n'a pas la charge de rapporter la preuve négative qu'il n'a pas répercuté lesdites taxes, ni donc qu'il a subi un appauvrissement et que leur restitution lui procurerait un enrichissement sans cause ; qu'en retenant en l'espèce de façon déterminante qu'en l'absence de démonstration par elle d'un quelconque appauvrissement né de l'imposition contestée, la restitution demandée entraînerait pour elle un enrichissement sans cause, la cour d'appel a méconnu derechef l'article 352 bis du Code des douanes et des principes applicables au droit communautaire ;
3 / que la cour d'appel ne pouvait sans violer encore les mêmes textes et principes déduire que les taxes perçues en 1992 avaient été répercutées sur les clients de l'entreprise, d'une clé de répartition des charges appliquées par elle depuis mai 1995, ainsi qu'il ressort du procès-verbal sur lequel se fonde la cour d'appel ;
Mais attendu que dans ses arrêts du 27 février 1980 (Hans Just) et 27 mars 1980 (Denkavit Italiana), la Cour de justice des Communautés européennes a défini la répercussion comme le fait que les taxes indûment perçues ont été incorporées dans les prix de l'entreprise redevable de la taxe et répercutées sur les acheteurs ; que, dans son arrêt du 25 février 1988 (Bianco) elle a précisé que la question de la répercussion ou de la non-répercussion dans chaque cas d'une taxe constitue une question de fait qui relève de la compétence du juge national qui est libre dans l'appréciation des preuves ; qu'en conséquence, et abstraction faite du motif surabondant tiré de l'absence de démonstration par l'importateur d'un quelconque appauvrissement né de l'imposition contestée, la cour d'appel, en relevant dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des preuves, (sans se fonder sur la clé de répartition des charges, qu'il résultait des déclarations de la responsable de l'entreprise que les taxes indûment perçues avaient été incorporées dans le prix de vente des marchandises et répercutées sur le client, a statué conformément aux règles et principes de droit applicables ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société La Redoute France aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société La Redoute France à payer à l'administration des Douanes la somme de 1 200 euros ; rejette la demande présentée par la société La Redoute France ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit octobre deux mille deux.