AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 22 janvier 2003) que M. X...
Y... a été embauché le 12 avril 1999 par la société CVA transports en qualité de chauffeur poids-lourds ; qu'il a été affecté à la ligne Narbonne-Marseille-Toulouse-Narbonne ; que, le 13 mars 2001, l'employeur lui a indiqué qu'à compter du 19 mars suivant, il serait affecté à la ligne Toulouse-Nîmes-Toulouse ; que le salarié a été licencié pour faute grave, le 31 mars 2001, pour avoir refusé cette nouvelle affectation ;
que M. X...
Y... soutenant que celle-ci n'était pas motivée par l'intérêt de l'entreprise et que son licenciement était dès lors sans cause réelle et sérieuse, a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ;
Sur le second moyen, pris en ses trois premières branches :
Attendu que M. X...
Y... reproche à l'arrêt de le débouter de ses demandes d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen :
1 ) que constitue une modification du contrat de travail et non un simple changement des conditions de travail dépendant du seul pouvoir de direction de l'employeur, le changement de circuit d'un chauffeur poids-lourd lorsqu'il entraîne un bouleversement de l'économie du contrat ; qu'en l'espèce, M. X...
Y... était donc en droit de refuser le changement de son circuit dès lors qu'il lui imposait dorénavant d'être loin de sa famille du lundi au vendredi et modifiait ainsi l'économie de son contrat de travail ; qu'en considérant le contraire, au motif qu'il s'agissait uniquement d'une modification des conditions de travail relevant du pouvoir d'administration et de direction de l'employeur, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
2 ) qu'en vertu de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ; que selon l'article L. 120-2 du Code du travail, une restriction à ce droit par l'employeur n'est valable qu'à la condition d'être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise et proportionnée, compte tenu de l'emploi occupé et du travail demandé, au but recherché ; qu'en s'abstenant de vérifier cette double condition, alors pourtant que M. X...
Y... avait refusé le changement de son trajet précisément à raison des bouleversements qu'entraînait pour sa vie privée et familiale le fait d'être absent de son domicile du lundi matin au vendredi soir, la cour d'appel a violé les textes précités ;
3 ) qu'en toute hypothèse, à supposer même que l'employeur pouvait imposer un changement de trajet à son salarié, M. X...
Y... a rappelé dans ses écritures d'appel (p. 5, 7) qu'en l'absence d'une clause de mobilité prévue par le contrat de travail, le changement du lieu de travail doit être justifié par l'intérêt de l'entreprise ;
qu'en se bornant à relever qu'en l'absence d'une clause contractuelle prévoyant un certain parcours à effectuer par ce salarié, l'employeur pouvait l'affecter à tout autre trajet, sans rechercher si ce changement, qui affectait sérieusement la vie familiale et personnelle du salarié, avait une quelconque nécessité pour l'entreprise, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1134 du Code civil et L. 122-14-3 du Code du travail ;
Mais attendu, d'abord, que les énonciations des juges du fond font apparaître que l'employeur avait seulement modifié les conditions de travail du salarié ; qu'en sa première branche, le moyen ne peut dès lors être accueilli ;
Attendu, ensuite, que la bonne foi contractuelle étant présumée, les juges n'ont pas à rechercher si la décision de l'employeur de modifier les conditions de travail d'un salarié est conforme à l'intérêt de l'entreprise ; qu'il incombe au salarié de démontrer que cette décision a en réalité été prise pour des raisons étrangères à cet intérêt, ou bien qu'elle a été mise en oeuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle ; que les deuxième et troisième branches du moyen sont, dès lors, sans fondement ;
Et sur le second moyen, pris en sa quatrième branche :
Attendu que M. X...
Y... reproche à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, que seuls les faits rendant impossible le maintien d'un salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis sont constitutifs d'une faute grave ; qu'en se bornant à relever que le refus par M. X...
Y... d'effectuer le nouveau trajet imposé par son employeur était constitutif d'une faute grave, sans constater que cela rendait impossible la continuation de son contrat de travail pendant la durée du préavis, la cour d'appel a violé les articles L. 122-6 et L. 122-14-3 du Code du travail ;
Mais attendu que le refus par le salarié d'un changement de ses conditions de travail, s'il rend son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, ne constitue pas à lui seul une faute grave ; que toutefois, bien qu'ayant retenu à tort une faute grave, la cour d'appel a confirmé le chef de la décision du conseil de prud'hommes accordant à M. X...
Y... une indemnité de préavis ; que dès lors, en sa quatrième branche le moyen est inopérant et ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X...
Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois février deux mille cinq.