AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze février deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MENOTTI, les observations de Me BOUTHORS, de la société civile professionnelle ROGER et SEVAUX, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Pierre,
- Y... Nathalie, épouse Z...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de TOULOUSE, chambre correctionnelle, en date du 12 janvier 2005, qui, pour injures publiques en raison de l'appartenance à une religion, les a condamnés, chacun, à 1 000 euros d'amende avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur la recevabilité du mémoire de la Ligue des droits de l'homme :
Attendu que, n'étant pas partie à la procédure, l'association "Ligue des droits de l'homme" ne tire d'aucune disposition légale la faculté de déposer un mémoire ;
Que, dès lors, son mémoire est irrecevable ;
Sur le mémoire de Pierre X... et Nathalie Y... :
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 et 33 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a condamné les requérants du chef d'injures raciales envers la communauté catholique ;
"aux motifs que le personnage représenté sur les prospectus et le fascicule distribués à l'occasion de l'organisation de "la nuit de la Sainte Capote" est une religieuse catholique portant un voile et une croix sur la poitrine, mais ses épaules sont nues et son visage dont les lèvres sont maquillées, de même que son regard n'évoquent ni la sainteté ni la piété, ni la chasteté ; qu'il s'agit d'une image dénaturée de religieuse ; contrairement à ce que soutiennent les prévenus, ce "visuel" ne traduit pas l'alternative "chasteté ou préservatif" puisque la religieuse n'évoque pas la chasteté ; que l'utilisation de l'expression Sainte Capote n'est pas en elle-même critiquable ; que d'ailleurs, elle avait été employée les deux années précédentes lors de l'organisation de soirées similaires sans que personne n'exprime une objection à cet usage ; que cependant, associer l'image dénaturée d'une religieuse à l'expression "Sainte Capote" et à un dessin de préservatifs, alors qu'il est connu de tous que l'église catholique, par la voix du pape Jean-Paul II, refuse l'usage du préservatif, a pour effet de créer un amalgame provocateur, de mauvais goût, et de susciter l'idée d'un certain anticléricalisme ; que ce "visuel" a donc légitimement pu être ressenti par les catholiques, du moins pour certains d'entre eux, comme une offense envers eux en raison de leurs croyances et leurs pratiques; que les documents incriminés sont donc constitutifs du délit d'injure publique envers un groupe de personnes suffisamment déterminé, la communauté des catholiques, à raison de son appartenance à une religion ;
"1 ) alors que d'une part, la représentation incriminée, justifiée par son but, n'excédait pas les bornes de la liberté d'expression en l'état des moeurs et ne revêtait aucun caractère outrageant ou méprisant ; que le jugement de goût exprimé par les juges répressifs viole le principe de l'interprétation étroite de la loi pénale ;
"2 ) alors que, d'autre part, l'injure devant être objectivement établie à l'égard d'un groupe précis et déterminé, l'excès de sensibilité d'une fraction de croyants ne saurait rendre indisponible dans l'espace public la représentation d'une religieuse associée à la lutte contre le sida sous le vocable "Sainte Capote protège nous" ; que pareille association, humoristique et dénuée de toute malveillance, n'était pas constitutive d'une injure envers une catégorie déterminée de personnes ;
"3 ) alors que, de troisième part, en l'état des positions divergentes prises au sein même de la communauté catholique sur les modalités de la lutte contre le sida, la représentation incriminée s'inscrivait en tout état de cause dans le cadre d'une libre polémique politique" ;
Vu les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Attendu qu'en matière de presse, il appartient à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur le sens et la portée des propos incriminés au regard des articles de ladite loi servant de base à la poursuite ; que les restrictions à la liberté d'expression sont d'interprétation étroite ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que l'Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne, dite AGRIF, a porté plainte et s'est constituée partie civile pour injure publique envers la communauté catholique, en raison de la distribution d'un prospectus annonçant une manifestation d'information et de prévention du SIDA, organisée par l'association Aides Haute-Garonne, intitulée "La nuit de la Sainte-Capote", comprenant un dessin représentant, en buste, une religieuse, associée à l'image d'un angelot muni d'un arc et d'une flèche, et de deux préservatifs, l'ensemble étant accompagné de la légende suivante : "Sainte Capote protège nous" ;
que Pierre X... et Nathalie Y... ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel en qualité de coauteurs, et condamnés par celui-ci ; qu'ils ont interjeté appel, ainsi que le ministère public ;
Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables du délit visé à l'article 33, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, l'arrêt énonce que l'association de l'image dénaturée d'une religieuse, à l'expression "Sainte Capote" et à un dessin de préservatifs, a pour effet de créer un amalgame provocateur et de mauvais goût, ayant pu être ressenti comme une offense envers la communauté catholique en raison de sa croyance et de ses pratiques ;
Mais attendu qu'en prononcant ainsi, alors que, si le tract litigieux a pu heurter la sensibilité de certains catholiques, son contenu ne dépasse pas les limites admissibles de la liberté d'expression, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des propos incriminés, et du principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Toulouse en date du 12 janvier 2005 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Toulouse, sa mention en marge où à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Ménotti conseiller rapporteur, M. Joly, Mme Anzani, MM. Beyer, Pometan, Mmes Palisse, Guirimand, M. Beauvais, Mme Ract-Madoux conseillers de la chambre, M. Valat conseiller référendaire ;
Avocat général : Mme Commaret ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;