LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu leur connexité, joint les pourvois n°s A 06-45.104 et M 06-45.436 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que la société BP France a confié par convention du 23 décembre 1992 à la société X..., qui avait été constituée à cette fin par Mme X..., l'exploitation à compter du 15 janvier 1993 d'une station-service dont la première société était locataire sur la route nationale 13 à Bonnières-sur-Seine ; que cette exploitation se déroulait suivant un mandat pour la distribution de carburant, fourni exclusivement par la société BP France aux conditions et prix imposés par celle-ci, et suivant une location-gérance pour les autres activités du fonds de commerce ; que les pertes de l'exploitation ont conduit les parties à mettre fin à leurs relations contractuelles avec effet du 3 février 1995 ; que Mme X... a assigné au nom de la société X... la société BP France le 1er février 1995 devant le tribunal de commerce afin que soit reconnue la nullité des contrats conclus entre les deux sociétés ; qu'elle a été déboutée de ses demandes par arrêt irrévocable de la cour d'appel de Paris du 30 avril 2003 ; qu'elle a saisi le 20 février 2004 la juridiction prud'homale sur le fondement de l'article L. 781-1 du code du travail, recodifié sous les numéros L. 7321-1 à L. 7321-4 ; que par arrêt du 6 décembre 2005 frappé d'un pourvoi déclaré irrecevable le 21 décembre 2007, la cour d'appel de Versailles, statuant sur contredit, a déclaré la juridiction prud'homale compétente pour connaître du litige et évoqué l'affaire au fond ; que par arrêt du 27 juin 2006, la même cour a, entre autres dispositions, décidé que Mme X... était en droit de prétendre au paiement d'un rappel de salaire au coefficient conventionnel 230, et a ordonné une expertise pour déterminer le montant de la rémunération qui lui était due ;
Sur le premier moyen du pourvoi de la société BP France en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 6 décembre 2005 :
Attendu que la société BP France fait grief à l'arrêt statuant sur contredit d'avoir déclaré la juridiction prud'homale compétente pour connaître du litige alors, selon le moyen :
1°/ que les dispositions de l'article L. 782-1, 2°, du code du travail étendent celles-ci aux seules personnes physiques visées par ce texte, à l'exclusion des sociétés et de leurs représentants légaux, sauf à établir que leur personnalité morale est fictive ; qu'en retenant qu'elle a subordonné la conclusion et l'exécution d'un contrat de location-gérance avec la société X... à la condition que Mme X... en reste la gérante et qu'elle en assure la direction, la cour d'appel qui s'est bornée à énoncer que la conclusion d'un contrat de location était empreinte d'un intuitu personae, s'est déterminée par des motifs impropres à établir que la société X... ne jouirait d'aucune personnalité morale autonome et distincte de celle de Mme X... qui se serait comportée comme le maître de l'affaire ; qu'ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions précitées, ensemble l'article 1842 du code civil ;
2°/ subsidiairement, qu'un gérant de station-service ne pouvant cumuler les avantages attachés à sa qualité de commerçant avec ceux du droit du travail, il renonce nécessairement à toute action tendant à se voir reconnaître la qualité de gérant-salarié, au sens de l'article L. 781-1, alinéa 2, du code du travail, dès lors qu'il a réclamé le bénéfice de son contrat de locataire-gérant devant les juridictions consulaires ; qu'elle rappelait dans ses conclusions récapitulatives, que Mme X... avait soutenu devant la juridiction consulaire, que sa propre rémunération était garantie par les accords interprofessionnels auxquels renvoie le contrat de location-gérance de la station-service ; qu'en affirmant que la saisine des juridictions commerciales par Mme X..., au nom de la société X..., aux fins de voir annuler les contrats de mandat et location-gérance, ne caractérise pas, à elle seule, la manifestation d'une volonté claire et non équivoque de renoncer aux droits qu'elle pouvait tenir à titre individuel du code du travail, la cour d'appel qui n'a pas recherché, ainsi qu'elle y était invitée, si Mme X... n'avait pas sollicité dans son propre intérêt, le bénéfice des avantages attachés à sa qualité de commerçant devant les juridictions consulaires, a privé sa décision de base légale au regard de la disposition précitée, ensemble l'article 1134 du code civil ;
3°/ qu' 'il est défendu aux juges de se prononcer par voie de dispositions générales et réglementaires sur les causes qui leur sont soumises ; qu'en affirmant, en termes généraux, pour écarter le moyen qu'elle tirait de la faible part dans les bénéfices de l'exploitant, des commissions versées, en contrepartie de la vente sous exclusivité de carburants, que seule la comparaison des chiffres d'affaires réalisés par l'exploitant, sous exclusivité, d'un côté, et hors exclusivité, de l'autre, permet aux tribunaux de décider si l'activité réelle de l'exploitant de la station-service relève de l'article L. 781-1, 2° du code du travail, la cour d'appel qui a statué par voie de dispositions générales et réglementaires, s'est interdit d'exercer le pouvoir souverain d'appréciation qu'elle tient de la loi ; qu'ainsi, elle a violé l'article 5 du code civil, ensemble la disposition précitée ;
4°/ qu' en toute hypothèse elle rappelait dans ses conclusions (p. 24, 6ème alinéa et svts), que le chiffre d'affaire réalisé par Mme X..., en tant que son mandataire exclusif , devait être minoré du montant des taxes sur les produits pétroliers qui sont particulièrement élevées, afin de le comparer au chiffre d'affaire que la société X... retire de la vente "hors exclusivité" d'autres produits qui ne sont pas assujettis aux mêmes taxes que la distribution des carburants ; qu'en décidant qu'elle ne conteste pas la part représentée dans le chiffre d'affaire total, par la vente de carburants et de lubrifiants, tel que calculé sur la seule base de leur prix de vente, la cour d'appel a dénaturé ses conclusions critiquant ce mode de calcul ; qu'ainsi, elle a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
Mais attendu que, selon le premier alinéa de l'article L. 781-1 du code du travail, recodifié sous les numéros L. 7321-1 à L. 7321-4, les dispositions de ce code qui visent les apprentis, ouvriers, employés, travailleurs sont applicables aux personnes dont la profession consiste essentiellement, soit à vendre des marchandises de toute nature, des titres, des volumes, publications, billets de toute sorte qui leur sont fournis exclusivement ou presqu'exclusivement par une seule entreprise industrielle ou commerciale, soit à recueillir les commandes ou à recevoir les objets à traiter, manutentionner, transporter, pour le compte d'une seule entreprise industrielle ou commerciale, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise aux prix et conditions imposés par ladite entreprise ;
Et attendu, d'abord, que la cour d'appel a relevé, que la location-gérance avait été confiée par la société BP France à la société X... en considération de la personne de Mme X... et que les dispositions contractuelles spécifiaient que la location-gérance prendrait fin si cette dernière cessait d'être gérante et d'en assurer personnellement la direction ; qu'elle en a exactement déduit que, nonobstant le contrat conclu entre les deux sociétés, Mme X... était recevable à invoquer les droits qu'elle pouvait tenir à titre individuel du code du travail en application de l'article L. 781-1, 2°), devenu L. 7321-2, alinea 1, 2°), de celui-ci ;
Attendu, ensuite, que la cour d'appel a relevé que le fait pour Mme X... d'avoir saisi la juridiction commerciale au nom de la société X... afin que soit reconnue la nullité des contrats conclus par cette dernière avec la société BP France ne caractérisait pas à lui seul la manifestation d'une volonté claire et non équivoque de renoncer aux droits qu'elle pouvait tenir à titre individuel du code du travail ;
Attendu, enfin, que par des motifs déduits de son appréciation souveraine, la cour d'appel, qui n'a pas dénaturé les écritures de la société qu'elle a prises en compte, et qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a constaté que la distribution des carburants et des lubrifiants fournis par la société BP France constituait l'activité prépondérante de la station-service ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le second moyen du pourvoi de la société BP France en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 27 juin 2006 :
Vu les articles L. 143-14 du code du travail, devenu L. 3245-1, et 2251 du code civil ;
Attendu que pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription quinquennale prévue aux articles susvisés, la cour d'appel a retenu que l'action engagée par Mme X... en ce qu'elle tendait à obtenir le bénéfice des dispositions de l'article L. 781-1 du code du travail, recodifié sous les numéros L. 7321-1 à L. 7321-4, se prescrivait par trente ans en application de l'article 2262 du code civil, qu'au surplus l'intéressée s'était vu dénier par la société BP France le droit de bénéficier des dispositions de l'article L. 781-1 précité, avait ainsi été mise dans l'impossibilité d'agir en paiement des salaires qu'elle estimait lui être dûs, de sorte que ses demandes à caractère salarial n'étaient pas atteintes par la prescription quinquennale ;
Qu'en statuant ainsi alors que seule la prescription quinquennale prévue par l'article L. 143-14 susvisé, devenu L. 3245-1, s'appliquait, en vertu de l'article L. 781-1 précité du code du travail recodifié sous les numéros L. 7321-1 à L. 7321-4, à l'action engagée par Mme X... devant la juridiction prud'homale, neuf ans après la fin des relations contractuelles, pour statuer sur ses demandes de nature salariale et qu'il ne résultait pas de ses constatations que Mme X... s'était trouvée dans une impossibilité d'agir suspendant cette prescription, la dénégation par la société BP France de son droit à bénéficier des dispositions de l'article L. 781-1 recodifié sous les numéros L. 7321-1 à L. 7321-4, ne l'empêchant pas de contester cette position devant la juridiction prud'homale, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;
Attendu que la cour de cassation est en mesure de donner au litige une solution définitive en cassant sans renvoi ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit besoin de statuer sur le pourvoi formé par Mme X... à l'encontre de l'arrêt du 27 juin 2006, que la cassation de ce dernier rend sans objet :
REJETTE le pourvoi de la société BP France en ce qu'il est formé contre l'arrêt du 6 décembre 2005 ;
Statuant sur le pourvoi en ce qu'il est formé contre l'arrêt du 27 juin 2006 ;
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 juin 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare les demandes de Mme X... prescrites ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens devant la Cour de cassation et les juges du fond ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six novembre deux mille huit.