LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- la Société française pour la défense de la tradition,
famille et propriété (TFP), partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 14 janvier 2010, qui, dans la procédure suivie contre M. Jean-Marc X... et Mme Marie-Odile Y..., du chef de diffamation envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires et note en vue de l'audience et le mémoire en défense produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 29 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a dit que les prévenus n'ont pas commis de diffamation publique envers un particulier à l'encontre de la partie civile ;
" aux motifs que qualifiant d'« escroquerie » ou d'« arnaque » la technique de « campagnes intensives » d'appel aux dons par publipostage en échange d'une médaille qualifiée de miraculeuse, le journaliste laisse sous-entendre que la destination des fonds serait peu transparente, voire contraire à l'objet de l'association, et que la TFP serait visée par des enquêtes de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, des services fiscaux et par des poursuites judiciaires à venir ; qu'il s'agit là, à l'évidence, d'allégations de faits portant atteinte à l'honneur ou à la considération de l'association partie civile, susceptible de faire l'objet d'un débat probatoire et contradictoire, ce qui caractérise la diffamation ainsi que l'a déjà rappelé le tribunal » ; que qualifiée à plusieurs reprises de « secte » dans l'article incriminé, la partie civile soutient qu'il s'agit là d'une imputation diffamatoire à part entière ; qu'en dépit de l'empreinte péjorative attachée à ce terme, qui ne répond à aucune définition juridique, son utilisation pour qualifier un groupement, une association, une religion... ne suffit pas à le caractériser comme étant à lui seul une imputation de nature diffamatoire à défaut d'être accompagné de commentaires laissant entendre, ou sous-entendre, l'exercice de pratiques réprimées par la loi et visant à obtenir une emprise entraînant chez les individus concernés des sujétions psychiques ou physiques, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;
" alors que le fait d'affirmer qu'une association est une secte est diffamatoire dès lors que cette affirmation est assortie d'autres commentaires de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération de la personne ainsi qualifiée et non pas seulement lorsque les commentaires qui accompagnent cette affirmation laissent croire à des moyens de pression entrainant une emprise ou une sujétion psychique ; qu'en l'espèce, bien que la cour d'appel ait constaté que l'article incriminé comportait des commentaires de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération de la partie civile, notamment le fait de qualifier d'« escroquerie » ou d'« arnaque » ses campagnes d'appel aux dons, elle a néanmoins refusé de retenir le caractère diffamatoire du terme « secte » ; que ce faisant, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisé " ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, 9, 10, 11 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 et 35 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a dit que le prévenu, admis au bénéfice de la bonne foi, n'a pas commis de diffamation publique envers un particulier à l'encontre de la partie civile ;
" aux motifs que ni les propos incriminés ni les débats ne révèlent l'existence d'une animosité personnelle des prévenus à l'égard de l'association TFP dont les activités, pointées du doigt par un organisme interministériel chargé de la lutte contre les mouvements sectaires, peuvent légitimement susciter l'attention d'un journaliste et son désir d'informer ses lecteurs sur un sujet sensible dans l'opinion, après une enquête sérieuse fondée :- sur le rapport de la Miviludes remis au premier ministre,- sur une étude du document que la TFP adresse aux particuliers afin de recueillir des dons,- et sur un procès-verbal de synthèse de la brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA) en date du 20 mars 2003 dont les conclusions mentionnent notamment que « les infractions d'escroquerie et de tentative d'escroquerie semblent donc pouvoir être relevées » à l'encontre de l'association et qu'un doute subsiste « quant à la destination réelle des fonds versés », l'auteur des propos litigieux n'ayant pas omis de mentionner dans le dernier paragraphe de l'article poursuivi le résumé des arguments développés par la TFP sur son site Internet, permettant ainsi au lecteur de s'interroger sur la crédibilité de l'information publiée qui sera d'ailleurs complétée ultérieurement par l'insertion d'un droit de réponse ; quant aux termes « arnaque » ou « escroquerie » utilisés dans l'article incriminé et que la partie civile considère comme manquant de mesure ou de prudence, s'ils constituent des qualificatifs déplaisants à l'égard de certaines des activités d'une association qui s'est donnée pour objet « la défense des principes fondamentaux de la civilisation chrétienne », ils traduisent, sans les dénaturer, les inquiétudes de la Miviludes, qui emploie notamment le mot « tromperie » pour définir les sollicitations de dons par publipostage (page 95 du rapport), dont le journaliste entendait se faire l'écho afin de permettre au grand public d'être informé de la teneur d'un rapport officiel dont les mots, ainsi qu'il pouvait légitimement le penser, avaient été choisis avec précaution ; qu'ainsi, comme le tribunal, la cour accordera aux prévenus le bénéfice de la bonne foi et rejettera les prétentions de la partie civile ;
" 1) alors que la bonne foi suppose la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression et la fiabilité de l'enquête ; que s'agissant d'un article publié en janvier 2007 dénonçant des faits d'« escroquerie » concernant les appels aux dons effectués par la partie civile, la bonne foi de l'auteur des propos diffamatoires qui y sont contenus et pour lesquels l'exceptio veritatis a été rejetée suppose qu'il soit constaté que les imputations litigieuses repose sur des documents suffisamment précis et circonstanciés ; qu'en l'espèce, en retenant l'existence d'une enquête sérieuse, en se fondant uniquement sur le rapport 2006 de la Miviludes, qui ne comportait pas de telles accusations ou sur un procès verbal de synthèse de police du 20 mars 2003, soit antérieur de plus de trois ans au rapport de la Miviludes et qui n'avait fait l'objet d'aucune suites judiciaires, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 2) alors que l'accomplissement d'une enquête sérieuse par un journaliste exige de celui-ci qu'il obtienne ou tente de recueillir les explications de la personne concernée par l'imputation litigieuse ; qu'en se bornant à constater que le prévenu avait résumé les arguments développés par la partie civile sur son site Internet ou encore qu'un droit de réponse avait été inséré à la suite de publication de l'article incriminé, ce qui ne saurait suppléer l'exigence de contradiction, la cour d'appel a violé les textes et principes susvisés ;
" 3) alors, enfin que l'imputation d'un délit, sans la moindre utilisation du conditionnel et en violation de la présomption d'innocence, est exclusive de la prudence ou de la mesure nécessaire pour caractériser la bonne foi ; que dès lors, en accordant au prévenu l'excuse de bonne foi tout en relevant qu'il avait imputé à la partie civile la réalisation d'une « escroquerie », c'est à dire une infraction pénale, sans la moindre réserve et en violation de la présomption d'innocence, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs répondant aux conclusions dont elle était saisie, a, sans insuffisance ni contradiction, après avoir exactement apprécié le sens et la portée des propos incriminés, exposé les circonstances particulières invoquées par les prévenus et énoncé les faits sur lesquels elle s'est fondée pour justifier l'admission à leur profit du bénéfice de la bonne foi ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
DECLARE IRRECEVABLE la demande au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale, présentée par l'association Société française pour la défense de la tradition, famille et propriété ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Koering-Joulin conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Villar ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.