LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 mars 2011), que la société Routin a fait assigner la société Teisseire France (la société Teisseire) pour contrefaçon de son brevet français n° 06 50865, intitulé « boisson aromatisée concentrée sans sucre, son procédé de préparation et ses utilisations », qui avait été déposé le 14 mars 2006 et délivré le 1er août 2008 ; qu'à titre reconventionnel, la société Teisseire a demandé l'annulation du brevet ; qu'en cours de procédure, le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI) a accepté la requête en limitation du brevet ; que la société Teisseire a formé un recours contre cette décision ;
Attendu que la société Teisseire fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable ce recours, alors, selon le moyen :
1°/ que sauf disposition expresse contraire, les décisions prises par le directeur de l'INPI à l'occasion de la délivrance, du rejet ou du maintien des titres de propriété industrielle sont susceptibles de recours devant la cour d'appel ; que si l'article L. 613-25 d) du code de la propriété intellectuelle prévoit que le brevet est annulé dans l'hypothèse où, après limitation, l'étendue de la protection conférée a été accrue, cette disposition n'a ni pour objet ni pour effet de priver les tiers de la possibilité de former un recours contre la décision du directeur de l'INPI qui, acceptant une requête en limitation, aurait, en réalité, pour effet d'étendre la protection conférée par le brevet tel que délivré ; qu'en décidant, au contraire, que le législateur aurait entendu réserver à la connaissance du juge de la nullité du brevet le cas dans lequel la limitation prétendue d'une revendication produirait une extension du champ d'application du brevet, la cour d'appel a méconnu ses pouvoirs, en violation des articles L. 411-4, L. 613-24 et L. 613-25 du code de la propriété intellectuelle ;
2°/ que lorsqu'il se prononce sur une requête en limitation, le directeur de l'INPI examine la conformité de celle-ci avec les dispositions de l'article R. 613-45 du code de la propriété intellectuelle et vérifie notamment que les revendications modifiées constituent bien une limitation, et non une extension, par rapport aux revendications antérieures du brevet ; que la cour d'appel, statuant sur un recours contre la décision du directeur de l'INPI, a vocation à contrôler le bien-fondé de celle-ci, en vérifiant que le directeur de l'INPI a correctement apprécié les conditions précitées ; qu'en jugeant que le recours formé par la société Teisseire tendrait à obtenir une décision sur une question qu'il ne lui appartiendrait pas de trancher dans le cadre d'un recours contre une décision du directeur général de l'INPI, quand ce recours visait précisément à reprocher à ce dernier d'avoir fait une appréciation erronée des conditions requises pour l'acceptation d'une requête en limitation, la cour d'appel a méconnu ses pouvoirs, en violation des articles L. 411-4, L. 613-24 et R. 613-45 du code de la propriété intellectuelle ;
3°/ que commet un excès de pouvoir le juge qui, après avoir retenu qu'il n'avait pas le pouvoir de trancher la question qui lui est soumise, se prononce sur l'intérêt du demandeur à former son recours devant lui ; qu'en retenant, en l'espèce, qu'en toute hypothèse, la société Teisseire ne démontrerait pas que la décision du directeur de l'INPI lui ferait grief, la cour d'appel, qui s'est ainsi prononcée sur l'intérêt à agir de la société Teisseire, quand elle relevait qu'elle n'avait pas le pouvoir de trancher la question qui lui était soumise par cette société dans le cadre de la procédure de recours contre une décision du directeur général de l'INPI, la cour d'appel a commis un excès de pouvoir, en violation de l'article L. 411-4 du Code de la propriété intellectuelle ;
4°/ que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention ; que l'intérêt à agir s'apprécie uniquement au regard des prétentions formées dans le cadre de l'action envisagée ; que le fait que le demandeur dispose, par ailleurs, d'une autre action en justice, ne tendant pas aux mêmes fins, n'est pas de nature à le priver d'intérêt à agir ; qu'en se fondant, pour retenir que la société Teisseire ne démontrerait pas que la décision du directeur général de l'INPI du 9 avril 2010 lui ferait grief, sur le fait que cette société pouvait également solliciter la nullité du brevet de la société Routin pour extension de la protection conférée par le brevet, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant, en violation de l'article 31 du code de procédure civile ;
5°/ qu'un tiers a intérêt à contester la décision du directeur de l'INPI acceptant une requête en limitation s'il estime qu'une telle décision a, en réalité, pour effet d'accroître l'étendue de la protection conférée par un brevet qui lui est opposé ; qu'en se bornant à affirmer que la société Teisseire ne démontrerait pas que la décision d'acceptation des modifications apportées par la société Routin lui ferait grief, sans répondre aux conclusions de cette société qui faisait valoir que la décision du directeur général de l'INPI du 9 avril 2010 avait pour effet d'étendre la portée du brevet n 06 50865 et dispensait la société Routin d'avoir à prouver, dans le cadre de l'instance en contrefaçon qu'elle avait intentée à son égard, que les sirops commercialisés par la société Teisseire présentaient les caractéristiques d'index glycémiques et insulinémiques qui étaient visés dans la version antérieure du brevet, tel que délivré, la cour d'appel a privé sa décision de motifs, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient exactement qu'il résulte des dispositions de l'article L. 613-25 d) du code de la propriété intellectuelle qu'est réservé à la connaissance du juge de la nullité du brevet le cas dans lequel la limitation prétendue d'une revendication produirait, non pas une réduction du champ d'application du brevet, mais au contraire son extension ; que l'inobservation de cette règle est sanctionnée par une fin de non-recevoir ; qu'ayant retenu que le moyen développé par la société Teisseire au soutien de son recours en annulation de la décision du directeur général de l'INPI s'analyse en réalité en un moyen de nullité du brevet qui lui est opposé dans le cadre de l'action en contrefaçon dirigée contre elle, la cour d'appel a, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les trois dernières branches, légalement justifié sa décision ; que le moyen, non fondé en ses deux premières branches, ne peut être accueilli pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Teisseire aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la société Routin la somme de 2 500 euros et rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente mai deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils pour la société Teisseire France.
Il est fait grief à la Cour d'appel d'avoir déclaré irrecevable le recours formé par la société TEISSEIRE FRANCE à l'encontre de la décision du directeur général de l'INPI en date du 9 avril 2010 ayant accepté la requête en limitation des revendications du brevet n° 06 50865 présentée par la société ROUTIN ;
AUX MOTIFS QUE « la société Routin conteste la recevabilité du recours, faute d'intérêt à agir de la société Teisseire ; que la société Teisseire, après avoir rappelé dans le mémoire contenant l'exposé des moyens de son recours qu'elle a été assignée devant le tribunal de grande instance de Paris par la société Routin sur le fondement de la contrefaçon de son brevet FR 06 50865 et que, dans le cadre de cette procédure toujours en cours, elle poursuit reconventionnellement la nullité de ce brevet pour insuffisance de description, absence de nouveauté et d'activité inventive, soutient que la limitation des revendications telle qu'acceptée doit être annulée parce qu'elle aboutit en réalité à une extension du brevet qui lui est opposé ; qu'aux termes des dispositions de l'article L. 613-25, d) du code de la propriété intellectuelle, issues de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 (article 123-VII), la même que celle qui a introduit en droit français la faculté reconnue au propriétaire du brevet d'en limiter la portée en modifiant une ou plusieurs revendications (article 132-VI), que « le brevet est déclaré nulle par décision de justice … si, après limitation, l'étendue de la protection conférée par le brevet est accrue » ; qu'il en résulte que le législateur a entendu réserver à la connaissance du juge de la nullité le cas dans lequel la limitation prétendue d'une revendication produirait, non pas une réduction du champ d'application du brevet, mais au contraire son extension, une telle situation devant entraîner la perte des droits attachés au brevet ; qu'en l'espèce, le moyen développé par la société Teisseire au soutien de son recours en annulation de la décision du directeur général de l'INPI s'analyse en réalité en un moyen de nullité du brevet qui lui est opposé dans le cadre de l'action en contrefaçon dirigée contre elle ; qu'il tend ainsi à obtenir de la cour une décision sur une question qu'il ne lui appartient pas de trancher dans le cadre d'une procédure de recours contre une décision administrative non juridictionnelle du directeur général de l'INPI prévue par les articles L. 411-4 et R. 411-19 et suivants du Code de la propriété intellectuelle mais seulement dans le cadre de l'appel d'un jugement statuant sur une demande de nullité du brevet, laquelle relève exclusivement, en première instance, de la compétence du tribunal de grande instance de Paris par application de l'article D. 211-6 du Code de la propriété intellectuelle (sic) ; que la société Teisseire, qui admet dans son mémoire (page 5 in fine) que la question de savoir si les modifications apportées par le moyen de la limitation étendent la portée du brevet au-delà du texte de la demande telle que déposée relève du tribunal, cultive cependant le sophisme en soutenant que cette question se distingue de celle de savoir si les revendications modifiées constituent une limitation par rapport aux revendications antérieures du brevet délivré ; qu'en effet, une telle distinction n'est pas justifiée par les termes de l'article L. 613-25 d, du Code de la propriété intellectuelle, ci-dessus reproduites, qui conduisent à l'annulation du titre dans tous les cas où la limitation a pour effet d'étendre la protection du brevet délivré et non pas seulement au-delà de la demande telle que déposée ; que par ailleurs, toute modification de la portée d'une revendication qui n'est pas une limitation ne peut être qu'une extension, sauf à n'apporter aucun changement, ce qui priverait le recours de tout intérêt ; qu'en toute hypothèse, à supposer que le directeur général de l'INPI ait fait une appréciation inexacte de la portée des modifications apportées par la société Routin aux revendications de son brevet, que la société Teisseire ne démontre pas que la décision d'acceptation de ces modifications lui ferait grief, alors que, tout au contraire, elle lui offrirait un moyen supplémentaire de nullité du brevet à opposer à la société Routin pour résister à l'action en contrefaçon de cette dernière ; qu'en synthèse, la société Teisseire ne démontre pas qu'elle aurait un intérêt légitime à agir en annulation de la décision attaquée du directeur général de l'INPI ; que le recours sera déclaré irrecevable » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE sauf disposition expresse contraire, les décisions prises par le directeur de l'INPI à l'occasion de la délivrance, du rejet ou du maintien des titres de propriété industrielle sont susceptibles de recours devant la cour d'appel ; que si l'article L. 613-25 d) du Code de la propriété intellectuelle prévoit que le brevet est annulé dans l'hypothèse où après limitation, l'étendue de la protection conférée a été accrue, cette disposition n'a ni pour objet ni pour effet de priver les tiers de la possibilité de former un recours contre la décision du directeur de l'INPI qui, acceptant une requête en limitation, aurait, en réalité, pour effet d'étendre la protection conférée par le brevet tel que délivré ; qu'en décidant, au contraire, que le législateur aurait entendu réserver à la connaissance du juge de la nullité du brevet le cas dans lequel la limitation prétendue d'une revendication produirait une extension du champ d'application du brevet, la Cour d'appel a méconnu ses pouvoirs, en violation des articles L. 411-4, L. 613-24 et L. 613-25 du Code de la propriété intellectuelle ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE lorsqu'il se prononce sur une requête en limitation, le directeur de l'INPI examine la conformité de celle-ci avec les dispositions de l'article R. 613-45 du Code de la propriété intellectuelle, et vérifie notamment que les revendications modifiées constituent bien une limitation, et non une extension, par rapport aux revendications antérieures du brevet ; que la cour d'appel statuant sur un recours contre la décision du directeur de l'INPI a vocation à contrôler le bien-fondé de celle-ci, en vérifiant que le directeur de l'INPI a correctement apprécié les conditions précitées ; qu'en jugeant que le recours formé par la société TEISSEIRE FRANCE tendrait à obtenir une décision sur une question qu'il ne lui appartiendrait pas de trancher dans le cadre d'un recours contre une décision du directeur général de l'INPI, quand ce recours visait précisément à reprocher à ce dernier d'avoir fait une appréciation erronée des conditions requises pour l'acceptation d'une requête en limitation, la Cour d'appel a méconnu ses pouvoirs, en violation des articles L. 411-4, L. 613-24 et R. 613-45 du Code de la propriété intellectuelle ;
ALORS, DE TROISIEME PART, ET EN TOUTE HYPOTHESE, QUE commet un excès de pouvoir le juge qui, après avoir retenu qu'il n'avait pas le pouvoir de trancher la question qui lui est soumise, se prononce sur l'intérêt du demandeur à former son recours devant lui ; qu'en retenant, en l'espèce, qu'en toute hypothèse, la société TEISSEIRE FRANCE ne démontrerait pas que la décision du directeur de l'INPI lui ferait grief, la Cour d'appel, qui s'est ainsi prononcée sur l'intérêt à agir de la société TEISSEIRE FRANCE, quand elle relevait qu'elle n'avait pas le pouvoir de trancher la question qui lui était soumise par cette société dans le cadre de la procédure de recours contre une décision du directeur général de l'INPI, la Cour d'appel a commis un excès de pouvoir, en violation de l'article L. 411-4 du Code de la propriété intellectuelle ;
ALORS, DE QUATRIEME PART, SUBSIDIAIREMENT, QUE l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention ; que l'intérêt à agir s'apprécie uniquement au regard des prétentions formées dans le cadre de l'action envisagée ; que le fait que le demandeur dispose, par ailleurs, d'une autre action en justice, ne tendant pas aux mêmes fins, n'est pas de nature à le priver d'intérêt à agir ; qu'en se fondant, pour retenir que la société TEISSEIRE ne démontrerait pas que la décision du directeur général de l'INPI du 9 avril 2010 lui ferait grief, sur le fait que cette société pouvait également solliciter la nullité du brevet de la société ROUTIN pour extension de la protection conférée par le brevet, la Cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant, en violation de l'article 31 du Code de procédure civile ;
ALORS, ENFIN, QU'un tiers a intérêt à contester la décision du directeur de l'INPI acceptant une requête en limitation, s'il estime qu'une telle décision a, en réalité, pour effet d'accroître l'étendue de la protection conférée par un brevet qui lui est opposé ; qu'en se bornant à affirmer que la société TEISSEIRE FRANCE ne démontrerait pas que la décision d'acceptation des modifications apportées par la société ROUTIN lui ferait grief, sans répondre aux conclusions de cette société (cf. mémoire du 27 janvier 2011, p. 8) qui faisait valoir que la décision du directeur général de l'INPI du 9 avril 2010 avait pour effet d'étendre la portée du brevet n° 06 50865, et dispensait la société ROUTIN d'avoir à prouver, dans le cadre de l'instance en contrefaçon qu'elle avait intentée à son égard, que les sirops commercialisés par la société TEISSEIRE FRANCE présentaient les caractéristiques d'index glycémiques et insulinémiques qui étaient visés dans la version antérieure du brevet, tel que délivré, la Cour d'appel a privé sa décision de motifs, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile.