LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Angers, 4 septembre 2012), qu'engagé le 1er avril 1975 par la société Dirickx, M. X..., qui occupait en dernier lieu le poste de technicien mesure qualité, a été licencié pour faute grave par lettre du 19 janvier 2010 ; que contestant son licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ;
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement repose sur une faute grave, alors, selon le moyen, que la faute grave est celle rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; qu'en retenant que les deux incidents successifs ayant opposé MM. X... et Y... justifient le licenciement pour faute grave du premier, tout en relevant que le salarié licencié comptait 35 ans d'ancienneté et qu'il n'avait jamais connu d'incidents jusqu'alors, ce dont il résultait que le double incident survenu le 22 décembre 2009, isolé et espacé de quelques minutes seulement, ne rendait pas impossible son maintien dans l'entreprise, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté que le salarié, qui n'établissait pas la provocation invoquée, avait, en présence d'autres salariés de l'entreprise, agressé verbalement puis physiquement un collègue de travail qui était au moment des faits en position d'autorité à son égard, manifestant ainsi une absence de maîtrise de soi en passant des paroles aux actes dans deux scènes successives, a pu décider que ce comportement, nonobstant l'ancienneté du salarié et l'absence d'incidents antérieurs, constituait une faute grave rendant impossible le maintien de l'intéressé dans l'entreprise ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze février deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard, avocat aux Conseils, pour M. X....
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de monsieur Lionel X..., salarié, par la société Dirickx, employeur, reposait sur une faute grave et d'AVOIR, en conséquence, débouté monsieur X... de ses demandes en vue de faire reconnaître que son licenciement n'était pas fondé sur une faute grave, pas plus que sur une cause réelle et sérieuse, de même que de ses demandes financières corollaires ;
AUX MOTIFS QUE la lettre de licenciement, adressée le 19 janvier 2010 par la société Dirickx à M. Lionel X..., est libellée en ces termes : « Suite à notre entretien du 14/ 1/ 2009 en présence de Lionel Z..., je te confirme notre décision de procéder à ton licenciement pour faute grave. Les raisons en sont les suivantes :- Le 22 décembre 2009 vers 15 : 00, dans le bureau logistique, tu as d'abord agressé verbalement, en présence de plusieurs témoins, Robert Y... (un agent de maîtrise, en charge de l'organisation de l'inventaire, qui te demandait de réaliser l'inventaire d'une nouvelle zone). Tu as répondu, en autre, d'un ton très agressif que tu " n'étais pas d'accord pour faire cette zone merdique ", que " vous n'aviez qu'à vous bouger les fesses et le faire vous-mêmes ", que " si on n'était pas quatre, on ne le ferait pas ".- Non content de refuser ce qui t'avait été demandé, tu as retrouvé Robert dans la zone de réception 10 à 15 mn plus tard, pour à nouveau l'agresser verbalement et finalement pour " l'empoigner par le col, lui mettre 2 gifles qui lui ont fait voler les lunettes ", en public. Au delà de ces gestes totalement répréhensibles, tu as menacé verbalement Robert que " si tu te plains à la Direction, tu auras affaire à moi ". Tu as accepté que tu avais proféré cette menace durant notre rencontre du 6 janvier au matin en présence de Karine A....- Lors de l'entretien formel du 14 janvier 2010 tu as d'abord nié qu'il y avait eu " empoignade avec Robert " prétextant que des témoins n'avaient rien vu d'une agression physique, pour finalement enfin de rencontre accepter que cette empoignade avait bien eu lieu. Certains des premiers témoins qui m'ont envoyé des attestations " n'avoir rien vu d'agression physique " (sic), avaient déclaré devant moi et Jean Luc B... le 6 janvier " qu'ils vous avaient séparés " ! D'autres témoins ont précisément vu l'empoignade comme décrit ci-dessus.- Tu es revenu le 19 janvier au matin dans l'entreprise alors que tu n'y étais pas invité et refusé d'accuser réception d'un courrier que je t'ai finalement fait parvenir en R + AR. Ce n'est que sous la menace d'appeler la gendarmerie et en te remettant un autre courrier que finalement tu as accepté de quitter les lieux.- Par conséquent, ton départ de la société est définitif à partir de ce jour. Ton solde de tous comptes te parviendra dans les jours qui suivent. Tu disposes de 120 h de DIF que tu peux utiliser en nous communiquant les types de formation souhaités » ; que la faute du salarié, qui peut donner lieu à sanction disciplinaire de l'employeur, ne peut résulter que d'un fait avéré, acte positif ou abstention, celle-ci de nature volontaire, imputable au salarié, et constituant de sa part une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail ; qu'outre des présenter ces caractéristiques, la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et il incombe à l'employeur de l'établir ; qu'il n'est pas contesté que, le 22 décembre 2009, un certain nombre de salariés de la société Dirickx procédaient à l'inventaire de fin d'année et que, dans ce cadre, M. X... et M. C... travaillaient en " binôme " ; que M. X... a confirmé par ailleurs, à l'audience, qu'ayant terminé la tâche qui lui avait été confiée, il avait été " voir s'ils pouvaient donner un coup de main ailleurs " ; qu'il avait été précisé par la société Dirickx que M. Y..., agent de maîtrise, avait la responsabilité de cet inventaire, ce que n'a pas dénié M. X... ; qu'en conséquence, ses considérations sur le fait que M. Y... n'était pas son supérieur hiérarchique sont inopérantes ; que M. X... a confirmé encore, à l'audience, qu'il y avait bien eu différend, ce jour-là, entre M. Y... et lui-même, différend resté, cependant, selon ses dires, isolé et verbal ; qu'il aurait porté sur le fait que M. Y... les avait affectés, M. C... et lui, sur " une zone complexe ", qui nécessitait plus de deux personnes, et que demandant " du personnel en plus, c'est là que je me suis fait envoyer promener par M. Y... et c'est là que j'ai refusé d'exécuter l'ordre " ; que la société Dirickx évoque, quant à elle, deux altercations entre M. X... et M. Y... le 22 décembre 2009, la première verbale, mais dans d'autres termes que ceux employés par M. X... à l'audience, à savoir agressifs, la seconde, alors que M. Y... s'était rendu dans la zone dite de réception, avec, de nouveau, des propos agressifs de M. X... envers M. Y..., suivis de violences physiques ; que M. Y... atteste des faits en ces termes : « Pendant l'inventaire, le 22 décembre 2009, j'étais responsable de plusieurs équipes d'inventoriste. Vers 15h00, dans les bureaux Logistique, alors qu'ils venaient juste de finir un secteur, j'ai donné une nouvelle zone à inventorier à Lionel X... et son binôme. En prenant connaissance de la zone, Lionel s'est emporté d'un seul coup, en me disant, entre autre, qu'il ne voulait pas faire cette " zone de merde ". Puis ils sont partis, sans prendre les consignes, Lionel est revenu dans le bureau, quelques secondes plus tard et toujours d'un ton agressif, il m'a dit que je n'avais qu'à lever mon " cul " de ma chaise et venir le faire moi-même et que s'ils n'étaient pas plusieurs équipes à faire la zone, ils ne la feraient pas. Sans attendre, ni même entendre les explications de ma part, il est ressorti du bureau, toujours sans consignes pour inventorier la zone en question. Environ 10 mn plus tard, ayant besoin d'informations sur une autre zone, je suis parti dans le stock pour voir une autre équipe. En arrivant dans la zone, j'ai aperçu Lionel qui venait à ma rencontre. Il m'a de nouveau agressé verbalement en me disant que je n'allais sûrement pas le mener à la baguette et que ce n'est pas " un petit chef à la con " qui allait le commander. Puis il a voulu m'empoigner par le col, je lui ai pris la main pour l'en empêcher. En me poussant contre les bennes de recyclage, il m'a giflé à deux reprises de l'autre main, qui a fait voler mes lunettes. Tout en me menaçant que si je me plaignais, j'aurais à faire à lui. Essayant en vain de dialoguer, je lui ai dit que je n'avais pas besoin de me plaindre, car il y avait suffisamment de témoins qui avaient vu l'agression. Puis un témoin s'est approché pour nous séparer » ; que pour conforter ses propos, selon lesquels il n'y a eu qu'un incident unique et verbal entre M. Y... et lui-même, M. X... fournit des témoignages écrits, puis des attestations dans les formes de l'article 202 du code de procédure civile, de collègues de travail, à savoir MM. D..., C... (son binôme), I..., E... et J... ; qu'il ne suffit pas de dire, comme il l'indique, que ces témoignages n'ont été refaits qu'afin d'éviter toute contestation, au prétexte que les premiers étaient sur papier libre ; que ce qui doit être constaté, lorsque l'on reprend l'ensemble de ces écrits, c'est que, d'une part, ils ont été rédigés, les premiers le 12 janvier 2010, les seconds, les 29 avril, 2 et 5 mai 2010 et, les derniers, les 8, 9 et 21 septembre 2010, que d'autre part, ils émanent des mêmes personnes, M. D... étant le seul à ne pas avoir à nouveau attesté au mois de septembre 2010, qu'enfin ils sont marqués, à chaque fois, par une nette progression, concomitante, dans le récit des faits décrits ; que ces caractéristiques ne peuvent, de fait, que leur ôter la crédibilité nécessaire à emporter la conviction de la cour ; qu'en effet, les premiers sont extrêmement laconiques sur la description des faits, outre qu'ils sont identiques au mot près, les seconds donnent quelques détails supplémentaires et, il faut attendre les troisièmes pour que la version avancée par M. X... se voit corroborée ; qu'au contraire, les dires de M. Y..., relativement à l'existence des deux incidents et à leur teneur, sont confirmés, par :- l'attestation de M. F..., responsable réception et stockage, qui précise « Vers 15h00, Mr Y..., responsable de zones inventaire, a demandé au binôme de Mr X... d'aller aider une autre équipe à terminer un autre secteur d'inventaire. Nous étions alors une dizaine d'administratifs assemblés dans le bureau, c'est alors que M. X... a perdu le contrôle de lui-même et a insulté Mr Y.... L'ensemble des personnes présentes fut très surpris de ses paroles et étonné de son excitation. La demande de Mr Y... était totalement justifiée, Mr X... ayant terminé son secteur, et devait être réaffecté sur une autre zone ¿ » ;- les témoignages de Mmes G... et H..., salariées de l'entreprise, recueillis par huissier sur sommation interpellative de l'employeur, qui déclarent respectivement, et l'on ne voit pas la contradiction qu'ils contiendraient qui conduirait à les invalider, et quand bien même elles ne reprennent pas exactement le récit de M. Y..., aussi ce n'est pas parce qu'ils ont été obtenus par un procédé, certes peu habituel, que cela ôte leur véracité aux propos qui y sont tenus :- « Je me trouvais dans la zone à inventorier, monsieur X... est arrivé avec son coéquipier, énervé et disant qu'il ne voulait pas inventorier la zone indiquée par monsieur Y.... Dès que monsieur X... a vu monsieur Y... dans le site de l'inventaire, monsieur X... a accosté monsieur Y... en lui répétant qu'il refusait d'effectuer l'inventaire. J'ai vu monsieur X... empoigner et bousculer monsieur Y... qui a essayé de calmer la situation en ne répondant pas à monsieur X... sur ses propos. Une tierce personne dont j'ignore le nom est intervenue pour calmer les choses et monsieur Y... est reparti vers les bureaux de la logistique » ;- « Je me trouvais dans la zone réception stockage ledit jour 22 décembre 2009. Monsieur X... qui venait des bureaux logistiques s'est approché de monsieur Y... qui était en comptage dans le local réception. Monsieur X... s'est emporté car il ne voulait pas effectuer l'inventaire d'une zone donnée par monsieur Y.... Monsieur Y... a essayé de le calmer. A ce moment, monsieur X... a giflé monsieur Y... qui a essayé de le calmer en le repoussant » ; qu'il résulte donc bien de l'ensemble de ces pièces que, deux altercations ont opposé M. X... et M. Y..., ce 22 décembre 2009, la première verbale dans le bureau du département logistique, la seconde verbale, mais également physique, dans la zone dite de réception ; que M. X... vient dire que, finalement, il n'est pas entièrement responsable, car ayant été " provoqué " par M. Y... ; que M. X... fournit des attestations, qui peuvent être qualifiées " de moralité ", d'après lesquelles il a toujours fait preuve d'un comportement irréprochable au sein de l'entreprise ; que ces pièces ne sont toutefois en rien déterminantes, relativement aux griefs qui sont faits par la société Dirickx à M. X..., en ce qu'il s'agit de témoignages " généraux ", et en tout cas écrits par des personnes qui n'ont pas assisté aux faits du 22 décembre 2009 ; que cette éventuelle " provocation " de la part de M. Y... n'apparaît aucunement établie à partir de propos aussi subjectifs que ceux de M. E..., dans sa troisième attestation, qui parle d'un ordre donné par M. Y... à M. X... " sur un ton sectaire " ; que M. X... n'a donc pas hésité à se montrer agressif verbalement et ensuite physiquement à l'encontre d'un salarié de la société Dirickx qui était, à ce moment là, en position d'autorité à son égard et, ce devant les autres salariés de l'entreprise ; que le fait de ne pouvoir ainsi se maîtriser dans le lieu clos qu'est le lieu de travail, ou par conséquent les divers acteurs sont en constante confrontation, franchissant même un degré dans cette absence de maîtrise, en passant des paroles aux actes, de plus, non dans une scène unique, mais dans deux scènes successives, justifie le licenciement pour faute grave de M. X... par la société Dirickx, ce même au regard de son ancienneté et de l'absence d'incidents jusqu'alors ; que tout au contraire, ce temps déjà passé dans l'entreprise, qui conférait à M. X... une certaine maturité dans les relations de travail, aurait dû lui permettre, même s'il avait pu perdre son calme, à ne pas réitérer, encore moins en aggravant les choses ; que M. X... produit, sinon, des éléments quant à la situation économique difficile dans laquelle se trouvait effectivement la société Dirickx, qui l'amenait à prendre des décisions en matière d'effectif salarié ; que cela le conduit à prétendre que la véritable cause de son licenciement serait à trouver dans cette conjoncture ; que cette coïncidence ne suffit pas, à elle seule, face à la réalité des faits qui viennent d'être rapportés, à démontrer que le licenciement de M. X... serait un licenciement pour motif économique déguisé ; que par voie de conséquence, la décision des premiers juges sera infirmée en ce qu'elle a dit que le licenciement de M. X... n'était pas fondé sur une cause réelle et sérieuse et, de fait encore moins sur une faute grave et, en ce qu'elle a condamné la société Dirickx à verser diverses indemnités à M. Lionel X... et deux mois d'indemnité de chômage à Pôle emploi ; que M. X... sera, tout au contraire, débouté de l'ensemble de ses demandes (arrêt, pp. 4 à 7).
ALORS QUE la faute grave est celle rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; qu'en retenant que les deux incidents successifs ayant opposé messieurs X... et Y... justifient le licenciement pour faute grave du premier, tout en relevant que le salarié licencié comptait 35 ans d'ancienneté et qu'il n'avait jamais connu d'incidents jusqu'alors, ce dont il résultait que le double incident survenu le 22 décembre 2009, isolé et espacé de quelques minutes seulement, ne rendait pas impossible son maintien dans l'entreprise, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail.