LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 1251-5, L. 1251-6 , L. 1251-36, L. 1251-37 et L. 1251-40 du code du travail ;
Attendu qu'il résulte, d'une part, des deux premiers de ces textes que la possibilité donnée à l'entreprise utilisatrice de recourir à des contrats de mission successifs avec le même salarié intérimaire, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale et permanente, et d'autre part, des articles L. 1251-36 et L. 1251-37 du code du travail que la conclusion de contrats de mission successifs sur un même poste de travail n'est licite qu'à la condition que chaque contrat en cause soit conclu pour un des motifs limitativement énumérés par le second de ces textes, au nombre desquels ne figure pas l'accroissement temporaire d'activité ;
Attendu selon l'arrêt attaqué que M. X... a été mis à la disposition de la société Eiffage travaux publics Ile-de-France Centre par la société Les Compagnons, entreprise de travail temporaire, en qualité de maçon pour l'exécution de travaux publics d'entretien des chaussées et trottoirs des 14e et 16e arrondissements de la Ville de Paris, dans le cadre de vingt-trois missions successives du 17 octobre 2005 au 15 avril 2007 ; que l'entreprise de travail temporaire ayant mis un terme à la relation de travail, le 15 avril 2007 après qu'il eut été victime, le 10 avril 2007, d'un accident de travail, il a saisi la juridiction prud'homale pour faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée, voir prononcer la nullité de son licenciement et obtenir sa réintégration et la condamnation in solidum des sociétés Eiffage travaux publics Ile-de-France et Les Compagnons à lui payer diverses sommes ;
Attendu que pour rejeter ces demandes, l'arrêt retient que le salarié ne peut pas valablement soutenir que ses contrats de mission devraient être requalifiés en contrat à durée indéterminée au motif du non-respect du délai de carence prévu par l'article L. 1251-36 du code du travail alors que l'article L. 1251-40 du même code, qui énumère les cas de violation de la réglementation du travail temporaire permettant au travailleur de se prévaloir d'un contrat à durée indéterminée au sein de l'entreprise utilisatrice, ne mentionne pas ledit article L. 1251-36 , excluant ainsi que la requalification puisse être obtenue dans un cas non prévu par la loi, étant observé que dans le contexte des marchés publics où sont intervenues les missions, le non-respect des délais de carence, au demeurant non contesté, ne démontre pas la continuité de l'emploi pourvu, lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice, laquelle justifie d'une augmentation temporaire de son activité habituelle suite au marché public pluri- annuel de travaux à bons de commandes, conclu avec la Ville de Paris en 2004 et 2005, pour la réfection et l'entretien des chaussées et trottoirs des 14e et 16e arrondissements ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que l'entreprise utilisatrice avait eu recours, sur un même poste de travail, à une succession illicite de contrats de mission puisque motivés par un accroissement temporaire d'activité, ce dont elle aurait dû déduire, d'une part, que l'entreprise utilisatrice avait ainsi pourvu durablement un emploi lié à son activité normale et permanente, et d'autre part, que l'entreprise de travail temporaire n'avait pas respecté les obligations qui lui étaient propres, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 septembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne les sociétés Les Compagnons et Eiffage travaux publics Ile-de-France aux dépens ;
Vu les articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et 700 du code de procédure civile, condamne les sociétés Eiffage travaux publics Ile-de-France et les Compagnons à payer à la SCP Waquet, Farge et Hazan la somme de 3000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf février deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. X...
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR DEBOUTE M. X... de sa demande de requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée et par conséquent, de l'AVOIR DEBOUTE de ses demandes principales tendant à voir prononcer la nullité de son licenciement, et ordonner sa réintégration à compter de la consolidation de son état de santé, et condamner les sociétés Les Compagnons et Eiffage Travaux Publics Ile de France Centre à lui payer des rappels de salaire et les congés payés afférents, et de ses demandes subsidiaires de condamnation de ces deux sociétés à lui payer une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, une indemnité de licenciement, une indemnité pour inobservation de la procédure de licenciement et des dommages et intérêts pour rupture abusive, et enfin, de ses demandes de condamnation des deux sociétés précitées à lui payer une indemnité pour travail dissimulée et des dommages et intérêts pour prêt de main d'oeuvre illicite;
AUX MOTIFS QU' il ressort des pièces versées aux débats que M. X... a signé avec la société Les Compagnons plusieurs contrats de mission temporaire successifs ou avenants de renouvellement pour la période du 17 octobre 2005 au 30 novembre 2005, puis pour la période du 3 janvier 2006 au 27 avril 2007, le mettant à disposition de la société APPIA, aux droits de laquelle se trouve la société Eiffage, pour des accroissements temporaires d'activité, le poste de travail consistant en la pose de bordures et divers travaux de maçonnerie VRD ; la société Eiffage justifie d'une augmentation temporaire de l'activité habituelle de l'entreprise suite au marché public pluri-annuel de travaux à bons de commandes, conclu avec la Ville de Paris en 2004 et 2005, pour la réfection et l'entretien des chaussées et trottoirs des 14ème et 16 ème arrondissements ; le contrat cadre conclu pour le 16éme arrondissement à compter de l'année 2005 stipulait ainsi une durée d'un an renouvelable 3 fois avec faculté de dénonciation des parties à chaque date anniversaire sans précision du volume de travaux à réaliser ni d'un prix fixe et déterminé pour l'ensemble des prestations, la Mairie, dès qu'elle avait un besoin, adressant une commande à l'entreprise pour que cette dernière envoie une équipe sur tel chantier du 16ème arrondissement, étant observé que l'entreprise a dénoncé fin 2005 le marché pour le 14ème arrondissement et au printemps 2007 le marché pour le 16ème arrondissement du fait de la non rentabilité de ces chantiers ; il en résulte la réalité de l'accroissement temporaire d'activité généré par les différents chantiers sur lesquels est intervenu M. X... en qualité de salarié intérimaire, ses contrats de mission temporaire n'ayant eu ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement à un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice ; M. X... ne peut pas valablement soutenir que ses contrats de mission devraient être requalifiés en contrat à durée indéterminée au motif du non-respect du délai de carence prévu par l'article L, 1251-36 du Code du travail alors que l'article L. 1251-40 du même code, qui énumère les cas de violation de la réglementation du travail temporaire permettant au travailleur de se prévaloir d'un contrat à durée indéterminée au sein de l'entreprise utilisatrice, ne mentionne pas ledit article L. 1251-36 , excluant ainsi que la requalification puisse être obtenue dans un cas non prévu par la loi, étant observé que dans le contexte des marchés publics où sont intervenues les missions de M. X..., le nonrespect des délais de carence, au demeurant non contesté, ne démontre pas la continuité de l'emploi pourvu, lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice; M. X... ne peut pas valablement soutenir que ses contrats de mission devraient être requalifiés en contrat à durée indéterminée au motif que les durées des contrats et des avenants dépasseraient la période de 18 mois prévue par l'article L.1251-12 du Code du travail alors que chaque contrat de mission avec son avenant éventuel, signé par M. X... , n'excède pas la durée maximale fixée par l'article L.1251-12 du Code du travail et qu'en outre, au total, les relations ont duré du 17 octobre 2005 au 30 novembre 2005 et du 3 janvier 2006 au 15 avril 2007, soit moins de 18 mois ; ce moyen ne peut donc prospérer ; M. X... ne peut pas utilement demander la requalification au motif que certains renouvellements seraient intervenus postérieurement aux contrats ; qu'à titre d'exemple son contrat de mission du 3 janvier 2006 devait prendre fin le 20 janvier 2006 et que l'avenant de renouvellement serait en date du 21 janvier 2006, soit du lendemain de l'expiration du contrat en violation de l'article L.1251-35 du Code du travail alors que ledit article prévoit que les conditions de renouvellement sont stipulées dans le contrat ou font l'objet d'un avenant soumis au salarié avant le terme initialement prévu et qu'en l'espèce, le contrat du 3 janvier 2006 stipulait « le terme de la mission peut être avancé au 18/01/2006 ou reporté au 24/01/2006 » de telle sorte que l'avenant de renouvellement a pu valablement être signé par le salarié le 21 janvier 2006, étant observé qu'il en est de même pour les contrats postérieurs ; ce moyen ne peut donc prospérer ; enfin, M. X... ne peut pas non plus valablement soutenir qu'il y aurait lieu à requalification pour non-respect des dispositions de l'article L1251-30 du Code du travail au motif que l'aménagement du terme de la dernière mission aurait eu pour effet de la réduire de plus de 10 jours alors que les « jours de travail » au sens de cet article s'entendent des jours ouvrés et qu'en l'espèce, le terme du contrat de mission, initialement prévu au vendredi 27 avril 2007, a pu être régulièrement avancé au 15 avril 2007, cet aménagement s'inscrivant dans le champ des 10 jours ouvrés fixé par l'article L. 1251-30 du Code du travail ;
1°) ALORS QU'en vertu de l'article L.1251-5 du Code du travail, un employeur ne peut recourir au travail temporaire ni pour les besoins de l'exécution d'un courant normal de commandes, ni pour l'exécution de missions intermittentes qui relèvent de l'activité normale de l'entreprise ; que la cour d'appel a constaté que la société Eiffage - qui a pour activité l'exécution de travaux publics, a eu recours aux services de M. X... pendant près de dix-huit mois pour accomplir les mêmes fonctions de pose de bordures et divers travaux de maçonnerie VRD, afin de satisfaire le besoin de main-d'oeuvre résultant du marché de travaux publics pluri-annuel de réfection et d'entretien des chaussées et trottoirs de deux arrondissements parisiens, marché dont la société Eiffage a été chargée par la ville de Paris pour une durée d'un an renouvelable trois fois, et dont la cessation a été décidée par cette société en raison de son manque de rentabilité (arrêt p.4 al.2 et 3) ; qu'il en résulte que les missions confiées à M. X..., qui participent de l'exécution d'un marché de travaux publics pluri-annuel et reconductible , relèvent de l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice, entreprise de travaux publics; qu'en décidant que les missions confiées à M. X... n'avaient ni pour objet ni pour effet de pourvoir un poste lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations en violation du texte précité ;
2°)ALORS en tout état de cause QU'en ne précisant pas en quoi le marché de travaux public pluriannuel à l'exécution duquel a été affecté M. X..., constituait un surcroît d'activité pour la société de travaux publics Eiffage, excédant son courant normal de commandes, de sorte que le recours au travail temporaire était justifié, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article L.1251-5 du Code du travail ;
ALORS QU'en vertu de l'application combinée des articles L.1251-35 et L.1251-40 du Code du travail, le travailleur temporaire peut faire valoir les droits afférents à un contrat à durée indéterminée à l'encontre de l'entreprise utilisatrice qui a renouvelé plus d'une fois un même contrat de mission ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt qu'en exécution de contrats de travail temporaire ou d'avenants de renouvellement successifs, M. X... pendant près de dix-huit mois, a été mis à disposition de la société Eiffage pour occuper un même poste de travail consistant en la pose de bordures et divers travaux de maçonnerie VRD, sur des chantiers de réfection et d'entretien des chaussées et trottoirs des 14ème et 16ème arrondissements de Paris confiés à la société Eiffage dans le cadre d'un marché public pluriannuel de travaux (arrêt p. 4, al.2 et 3) ; qu'il en résulte que les contrats successifs et leur avenant de renouvellement éventuel ont servi à l'exécution d'une seule et même mission, pour laquelle un seul renouvellement était autorisé ; que la cour d'appel en ne tirant pas les conséquences légales de ses constatations, a violé les deux textes précités.