LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Vu l'article 10 de la directive 1999/31/CE du Conseil, du 26 avril 1999, concernant la mise en décharge des déchets ;
Vu les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne du 25 février 2010, Pontina Ambiente, C 172/08, et du 24 mai 2012, Amia, C-97/11, ayant dit pour droit que l'article 10 de la directive 1999/31/CE, qui a un effet direct, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui assujettit l'exploitant d'un site de décharge à une taxe devant lui être remboursée par le détenteur des déchets et qui prévoit des sanctions pécuniaires en cas de paiement tardif, à la condition toutefois que cette réglementation soit assortie de mesures visant à assurer que le remboursement de ladite taxe intervienne effectivement et à bref délai ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Nicollin exploite à Saint-Romain-en-Gal et à Corcelles-Ferrières deux centres de stockage de déchets ménagers ; qu'à la suite d'un contrôle, l'administration des douanes a constaté, par procès-verbal du 12 février 2007, que cette société n'avait pas déclaré au cours des années 2003, 2004 et 2005 d'importants tonnages de déchets réceptionnés sur ces deux sites, notamment des déchets inertes et des déchets verts, éludant ainsi la taxe générale sur les activités polluantes afférente à ces déchets ; que l'administration des douanes a émis à son encontre, le 1er mars 2007, un avis de mise en recouvrement (AMR) du montant de la taxe éludée ; que sa contestation ayant été rejetée, la société Nicollin a assigné l'administration des douanes en annulation de l'AMR ;
Attendu que pour rejeter la demande de la société Nicollin, l'arrêt retient que la législation française n'édicte aucune impossibilité juridique de toute répercussion de la taxe, mais prévoit au contraire une possibilité de répercussion par l'exploitant ; qu'il ajoute que le fait qu'économiquement, la mise en décharge de déchets de manière gratuite laisse la charge de la taxe à l'exploitant, s'il en décide ainsi, n'est pas contraire au droit communautaire, et ce d'autant que 20 % des déchets reçus sont exonérés de la taxe ; qu'il retient que la répercussion de la taxe n'est pas une condition de l'assujettissement et qu'il n' y pas lieu en l'espèce à application directe de l'article 10 de la directive 1999/31/CE ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'existence d' une mesure assurant le remboursement effectif et à bref délai de la taxe, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 avril 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;
Condamne la direction interrégionale des douanes et droits indirects de Rhône-Alpes Auvergne aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, le condamne à payer à la société Nicollin la somme de 3 000 euros et rejette sa demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Nicollin.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Nicollin de sa demande d'annulation de l'AMR du 1er mars 2007 et de la décision du directeur interrégional de Lyon du 19 septembre 2007, et d'avoir rejeté la contestation de la société Nicollin,
AUX MOTIFS QUE la société Nicollin fait valoir subsidiairement l'impossibilité pour elle de répercuter la TGAP, ce qui contrevient au principe pollueur-payeur ; qu'une taxation non répercutable serait non conforme au droit communautaire en ce qu'elle ne garantit pas que l'ensemble des coûts d'exploitation d'un site soit effectivement supporté par les détenteurs de déchets mis en décharge ; que la taxation calculée sur la base de la quantité de déchets mis en décharge constitue un coût d'exploitation qui doit être inclus dans le prix à payer à l'exploitant d'un site de décharge par le détenteur ayant mis en décharge ses déchets ; qu'elle expose que si le texte de l'article 266 decies 4 indique que les exploitants « peuvent » répercuter la taxe avec les personnes qui déposent les déchets, de fait, si elle le faisait, les apporteurs de terres choisiraient de déposer leurs déchets inertes dans les CSDU de classe III non taxés ; qu'il est donc inenvisageable pour elle de répercuter une TGAP de 7,5 % ou de 9 % en 2003-2004 sur les apporteurs de terres nécessaires à l'exploitation ; que toutefois, il convient de retenir que l'article 10 de la directive n° 1999/31/CE est ainsi rédigé :
« coût de la mise en décharge des déchets. Les Etats membres prennent des mesures pour que la totalité des coûts d'installation et d'exploitation d'un site de décharge, y compris, dans la mesure du possible, les coûts de la garantie financière ou de son équivalent visés à l'article 8, point a) iv), et les coûts estimés de la désaffection du site et de son entretien après désaffection pendant une période d'au moins trente ans, soient couverts par le prix exigé par l'exploitant pour l'élimination de tout type de déchets dans cette décharge. Sous réserve des exigences de la directive 90/313/CEE du Conseil du 7 juin 1990, concernant la liberté d'accès à l'information en matière d'environnement, les Etats membres assurent la transparence en matière de collecte et l'utilisation de toutes les informations nécessaires concernant les coûts » ;
que l'énoncé du principe que les coûts d'exploitation d'un site doivent être couverts par le prix exigé par l'exploitant n'interdit pas à l'Etat d'imposer une taxe sur les déchets déposés, à charge de l'exploitant de répercuter cette taxe sur les déposants ; que le fait qu'économiquement, la mise en décharge de déchets de manière gratuite laisse la charge de la taxe à l'exploitant s'il en décide ainsi, n'est pas contraire au droit communautaire, et ce, d'autant que 20 % des déchets reçus sont exonérés de taxe ; que la répercussion de la taxe n'est pas une condition de l'assujettissement ; que la société Nicollin ne soutient d'ailleurs pas que ce pourcentage de 20 % serait remis en cause par la profession ; qu'il n'y a ni lieu à application directe de l'article 10 en l'espèce, ni lieu de faire droit à la question préjudicielle proposée subsidiairement, tenant à la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne, la législation française n'édictant aucune impossibilité juridique de tout répercussion de la taxe, mais au contraire une possibilité de répercussion par l'exploitant ;
ALORS QUE les Etats membres de l'Union européenne doivent prendre des mesures pour que la totalité des coûts d'installation et d'exploitation d'un site de décharge soient couverts par le prix exigé par l'exploitant pour l'élimination de tout type de déchet dans cette décharge ; qu'une taxe calculée sur la base de la quantité de déchets mis en décharge constitue un coût d'exploitation, au sens de l'article 10 de la directive n° 1999/31/CE du Conseil du 26 avril 1999, devant être inclus dans le prix à payer à l'exploitant d'un site de décharge par le détenteur ayant mis en décharge ces déchets ; que si un Etat membre peut instaurer une telle taxe, c'est à la condition que ce dispositif fiscal soit assorti de mesures visant à assurer que le remboursement de la taxe intervienne effectivement (CJUE, 25 février 2010, Pontina Ambiente, aff. C 172/08 ; CJUE, 24 mai 2012, Amia, aff. C 97/11) ; que le dispositif fiscal instauré par l'article 266 sexies du Code des douanes ne permet pas en pratique à l'exploitant d'une installation de stockage de déchets ménagers et assimilés de répercuter la taxe générale sur les produits polluants due au titre des déchets inertes dont la quantité dépasse 20 % de la quantité annuelle totale de déchets réceptionnés, sur le détenteur ayant mis en décharge ces déchets, dès lors que ces déchets inertes ne relèvent pas de la taxe générale sur les produits polluants lorsqu'ils sont déposés dans un centre de stockage de déchets inertes ; qu'en retenant cependant que les déchets inertes, dont la quantité dépassait 20 % de la quantité annuelle totale de déchets réceptionnés par des centres de stockage de déchets ménagers et assimilés, étaient imposés au titre de la taxe générale sur les activités polluantes, la Cour d'appel a violé l'article 10 de la directive n° 1999/31/CE du Conseil du 26 avril 1999.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Nicollin de sa demande d'annulation de l'AMR du 1er mars 2007 et de la décision du directeur interrégional de Lyon du 19 septembre 2007contestation de la société Nicollin,
AUX MOTIFS QUE la société Nicollin conclut enfin que les composts qui sont utilisés pour le recouvrement final, riches en matière organique à des fins de ré-engazonnement, sont des déchets verts dont le caractère biodégradable ne permet pas le classement parmi les déchets inertes ; que ces déchets verts entrés dans le site de Corcelles-Ferrières font l'objet d'un compostage dans une unité distincte sur le plan administratif du CSDU lui-même ; que si l'administration n'a pas assujetti les déchets verts reçus dans cette unité, elle a taxé le compost en résultant entré dans le CSDU aux fins de réaménagement, alors que le compost est un nouveau produit et non plus un déchet vert, et que ce produit n'est pas abandonné mais utilisé ; que le procès-verbal de constat du 12 février 2007 ne confirme pas cette analyse ; que le CSDU est certes doté d'une installation de broyage de bois, de broyage de déchets verts et composts ; qu'il est indiqué « Afin de déterminer de l'assiette de la TGAP, la société Nicollin déduit du tonnage entré le tonnage sorti (...). Le tonnage dit "sorti" est constitué des réceptions suivantes : pneus, bois/déchets verts, gravats, déchets appelés divers (...). La notion de "sortie" ne signifie pas que le déchet est sorti du site, mais déduit de l'assiette de la TGAP car considéré comme non taxable par Nicollin. Nicollin n'applique pas la TGAP à certains types de déchets dans la mesure où ils sont réintroduits dans la filière de recyclage ou valorisés dans le cadre de l'exploitation du site" ; que le représentant de la société Nicollin a expliqué que : « les bois/déchets verts sont transformés en compost dans l'unité prévue à cet effet et qui est située sur le site. Une partie des déchets est livrée en compost, une autre partie reste sur le site pour valorisation. Les quantités déclarées en réceptions résultent d'une estimation (...). En revanche, le tonnage de la partie valorisée en compost est exact puisqu'il est issu des bons de pesée à la sortie du centre » ;
que le procès-verbal contient l'analyse du service :
« Les déchets verts sont repris à l'annexe I de l'arrêté du 09/09/97 modifié (catégorie D) en tant que déchets ménagers et assimilés. La partie de déchets livrée en compost, sortie physiquement du site, n'est pas taxable à la TGAP. Les quantités de déchets verts valorisées sur le centre de stockage sont en revanche taxables »
« (...) le service considère qu'il convient de déduire du tonnage des réceptions, les quantités de déchets suivants : déchets inertes dans la limite du plafond, déchets divers, pneus et compost livré » ;
que l'administration indique que l'assiette de la TGAP a été « établie par déduction de quantités estimées pour certains déchets (pneus, bois/déchets verts, gravats) », et précise que « compte tenu de cette manière de procéder, ces données ne peuvent demeurer qu'approximatives. Le service a décidé d'admettre les données communiquées pour le présent contrôle, mais enjoint à la société Nicollin à instaurer un nouveau mode de fonctionnement permettant de déterminer de manière exacte l'assiette de la TGAP (pesée à la réception et pesée des tonnages sortis du site) » ;
que la société Nicollin ne peut soutenir, comme elle le fait, que « la douane n'a donc pas assujetti les déchets verts reçus dans cette unité, mais elle a taxé le compost en résultant entré dans le CSDU aux fins de réaménagement », ou encore qu'elle n'aurait pas à effectuer cette pesée, le stockage n'étant pas fait sur le site directement alors que, précisément, le stockage de tels déchets doit se faire dans un centre de classe II ; que le Bulletin Officiel des Douanes BOD n° 6689 du 16 novembre 2006, relatif à la TGAP p6 1C 1.1, dispose que :
« les déchets ménagers sont :
- les déchets ménagers constitués :
* des ordures ménagères, qu'elles aient été collectées sélectivement ou en mélange ; * des déchets occasionnels des ménages : déchets encombrants, de jardinage, de bricolage, etc. ; * des déchets des collectivités tels que les déchets verts de nettoiement de voirie, de marchés, etc. »
Et 2.4- cas particuliers « Déchets verts
Les déchets verts sont taxables au même titre que les déchets ménagers et assimilés. En vue de leur stockage, ils doivent être orientés vers un CET de classe II » ;
que les déchets verts doivent en conséquence être pesés à l'entrée du CSDU et la partie qui ressort en compost pour des particuliers doit être déduite ; que les déchets verts sont bien assujettis à la taxe, même s'ils sont réutilisés sous forme de compost pour la couverture végétale des alvéoles ;
ALORS QUE le fait générateur de la taxe générale sur les activités polluantes est constitué par la réception des déchets dans le centre de stockage de déchets ménagers et assimilés ; qu'en l'espèce, il était soutenu que les déchets verts n'avaient pas été reçus dans le centre de stockage des déchets mais dans une unité de compostage, administrativement distincte du centre de stockage des déchets, une telle réception n'étant pas soumise à la taxe générale sur les activités polluantes et que ce ne sont pas des déchets verts qui entraient dans le centre de stockage des déchets, mais un nouveau produit, le compost, utilisé à des fins de réaménagement du site ; qu'en s'abstenant cependant de rechercher si les déchets verts n'avaient pas été reçus dans un établissement administrativement distinct du centre de stockage des déchets, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 266 sexies, 266 septies et 266 octies du Code des douanes.