LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article L. 80 A, alinéa second, du livre des procédures fiscales ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 14 novembre 2003, la société Billiet-Carnot a, sous le bénéfice des dispositions de l'article 1115 du code général des impôts, acquis un immeuble d'habitation qu'elle a placé sous le régime de la copropriété ; que, constatant qu'une partie des lots de cet immeuble n'avait pas été vendue dans le délai imparti, l'administration fiscale lui a notifié une proposition de rectification le 22 décembre 2009 ; qu'après avis de mise en recouvrement et rejet de sa contestation, la société Billiet-Carnot a assigné le directeur général des finances publiques afin d'être déchargée de cette imposition ;
Attendu que, pour accueillir cette demande, l'arrêt retient que l'instruction BOI-ENR-DMTOI-10-50-2013032222, publiée le 22 mars 2013, a modifié la doctrine de l'administration sur la question de la déchéance partielle de l'exonération temporaire prévue par l'article 1115 du code général des impôts, qu'elle est opposable à l'administration et se trouve applicable, en l'absence d'instruction publiée qui la contredirait ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la doctrine formellement admise par l'administration, lorsqu'elle est invoquée à son bénéfice par le contribuable, ne peut être appliquée que selon ses termes et sa teneur en vigueur à l'époque des impositions litigieuses, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 septembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société Billiet-Carnot aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer au directeur général des finances publiques la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept juin deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour le directeur général des finances publiques.
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement du tribunal de grande instance de Versailles et prononcé la décharge de l'imposition mise en recouvrement, soit la somme de 22 803 euros ;
AUX MOTIFS QUE selon l'article 1115 du code général des impôts, sous réserve des dispositions de l'article 1020, les acquisitions d'immeubles, de fonds de commerce ainsi que d'actions ou parts de sociétés immobilières réalisées par des personnes assujetties au sens de l'article 256 A sont exonérées des droits et taxes de mutation quand l'acquéreur prend l'engagement de revendre dans un délai de cinq ans ;
Qu'il résulte de l'instruction BOI-ENR-DMTOI-10-50-2013032222 (publiée au bulletin officiel des finances publiques impôts le 22 mars 2013) que lorsqu'à l'échéance du délai de cinq ans, l'engagement de revendre n'est respecté que pour une fraction du bien sur lequel il portait, l'acquéreur est redevable des droits dont il a été dispensé, ainsi que des frais et intérêts de retard qui en résultent, à hauteur de la différence entre le prix auquel il avait acquis le bien et le prix auquel a été vendu la (ou les) fraction du bien pour laquelle l'engagement a été respecté ;
Qu'invitée à présenter ses observations sur l'application de cette instruction, l'administration fiscale précise tout d'abord que celle-ci a pour origine une instruction du 18 avril 2011 (7-C-2-11), reprise au paragraphe 110 du Bofip sous la référence BOI-ENR-DMTOI-10-50-2013032222 ;
Qu'elle confirme que cette instruction précise que le complément de droits d'enregistrement, en cas de défaut de revente d'un immeuble dans le délai de l'engagement de revente, n'est pas dû en cas de revente partielle d'un immeuble si le prix de cession des lots revendus excède le prix d'acquisition total de l'immeuble ;
Qu'elle considère toutefois que cette instruction n'est applicable qu'à compter de la date d'entrée en vigueur de l'article 16 de la loi de finances rectificatives n° 2010-267 pour 2010, ayant pour objet de présenter les nouvelles règles applicables en matière de droits de mutation à titre onéreux à certaines opérations telles qu'elles on été redéfinies par cet article ;
Qu'il y a donc lieu, au cas particulier, d'appliquer la jurisprudence antérieure, selon laquelle, dans l'hypothèse d'une déchéance partielle, les droits à payer devaient être calculés sur la quote-part du prix d'acquisition correspondant aux lots non vendus dans le délai imparti ;
Qu'en réponse, la SNC BILLIET-CARNOT fait valoir que la doctrine administrative a été complètement réécrite au Bofip, et que seule est désormais invocable la doctrine publiée au Bofip qui règle également les litiges en cours ;
Qu'elle relève que l'instruction du 7 septembre 2012 n° 13 A-2-12, qui a annoncé la base documentaire unique « Bulletin officiel des finances publiques-Impôts (« Bofip-Impôts), a indiqué qu'à compter du 12 septembre 2012, seuls les commentaires publiés dans cette base sont opposables à l'administration fiscale en application de l'article L 80 du Livre des procédures fiscales et que tous les autres commentaires publiés antérieurement sous quelque forme que ce soit sont rapportés ;qu'ainsi, les dispositions d'une instruction administrative antérieure qui n'ont pas été reprises au Bofip-Impôts ont été abrogées à compter du 12 septembre 2012 ;
Qu'elle sollicite en conséquence, le bénéfice de l'instruction susvisée et, rappelant qu'elle a acquis l'immeuble entier pour un prix de 5,810,000 euros pour en revendre dans le délai de 5 ans des lots représentant les 9,467/10,000èmes pour le prix de 10,746,601 euros, demande, à titre principal, à être dispensé du reversement des droits sur les lots invendus ;
Que l'instruction BOI-ENR-DMTOI-10-50-2013032222, intervenue tandis que l'article 1115 du code général des impôts n'a subi aucune modification intéressant le point litigieux, a eu pour effet de modifier la doctrine de l'administration sur la question de la déchéance partielle de l'exonération temporaire prévue par cet article, en cas de revente partielle des biens visés au terme du délai de 5 ans ;
Que cette instruction, dûment publiée au bulletin officiel des finances publiques impôts le 22 mars 2013 est opposable à l'administration et se trouve applicable aux opérations en cours, en l'absence d'instruction publiée qui la contredirait ;
Qu'au cas particulier, la SNC BILLIET-CARNOT ayant, dans le délai de revente de 5 ans prévu à l'article 1115 du code général des impôts, revendu pour un montant total de 10,746,601 euros les 9,467/10,000èmes de l'immeuble qu'elle avait acquis au prix de 5,810,000 euros, il s'ensuit qu'en application de l'instruction susvisée, la déchéance prévue à ,l'article 1840 G ter dudit code n'est pas encourue ;
Qu'il convient, en conséquence, de faire droit à l'appel formé par la SNC BILLIET-CARNOT et, infirmant le jugement entrepris, d'accorder à cette dernière la décharge de l'imposition mise en recouvrement.
ALORS QUE selon les dispositions de l'article L 80 A du livre des procédures fiscales, dans son 2ème alinéa, lorsqu'un redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente ; qu'il résulte d'une jurisprudence constante que seule la doctrine administrative en vigueur à la date du fait générateur est applicable ; que s'agissant de la remise en cause du régime de faveur des marchands de biens prononcée pour défaut de revente d'un immeuble dans le délai de l'engagement de revente, le fait générateur de l'imposition est constitué par l'acte d'acquisition ; qu'au cas particulier, seule la doctrine administrative en vigueur à la date du fait générateur c'est-à-dire à la date d'acquisition de l'immeuble par la SNC BILLIETCARNOT, soit le 14 novembre 2003, était applicable ; qu'en décidant pourtant que l'instruction BOI-ENR-DMTOI-10-50-20130322 dûment publiée au bulletin officiel des finances publiques le 22 mars 2013 et qui reprenait l'instruction du 18 avril 2011 était opposable à l'administration dans l'affaire en cause, la cour d'appel a nécessairement violé l'article L 80 A alinéa 2 du livre des procédures fiscales.