LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 4 décembre 2014), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ.,17 décembre 2013, pourvoi n° 12-26.070), que, par acte du 30 juin 2003, M. et Mme X... ont donné à bail rural à Laurent Y... les parcelles qu'ils exploitaient ; que les terres louées ont été mises à la disposition du groupement agricole d'exploitation en commun des Hauts Prés (GAEC), transformé par la suite en société civile d'exploitation agricole des Hauts Prés (SCEA) ; que, le 26 juin 2003, Mme X... a adressé trois factures au GAEC ; qu'à la suite du décès de Laurent Y..., laissant pour héritières son épouse et leur fille, M. et Mme X... ont, par acte du 23 juillet 2009, résilié le bail ; que, par déclaration du 26 novembre 2009, Mme Y..., agissant tant à titre personnel qu'en qualité d'administratrice légale de sa fille mineure Jeanne, a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en restitution des sommes perçues par les bailleurs ; que la SCEA est intervenue volontairement à l'instance aux fins de voir subsidiairement condamner M. et Mme X... à lui rembourser la somme réglée lors de l'entrée en jouissance du preneur ;
Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt d'accueillir les demandes de la SCEA et de les condamner à lui payer la somme initialement perçue assortie des intérêts, alors, selon le moyen :
1°/ que l'action en répétition prévue par l'article L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime vise toute somme d'argent ou de valeurs non justifiée obtenue par le bailleur ou par le preneur sortant à l'occasion d'un changement d'exploitant de la part du preneur entrant, qualité dont ne dispose pas la société agricole au profit de laquelle les biens loués ont été mis à disposition ; qu'en condamnant les époux X... à payer une somme de 158 660,38 euros, avec intérêts au taux légal majoré de trois points à compter 3 juillet 2003, au profit de la SCEA des Hauts Prés, venant aux droits du GAEC éponyme, sur le fondement de l'article L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime, aux motifs erronés que ce texte ne réserve pas « l'action en répétition de l'indu qu'il prévoit au seul preneur », la cour d'appel a violé l'article L 411-74 du code rural et de la pêche maritime ;
2°/ qu'une société agricole, qui n'est pas le preneur entrant, ne peut agir sur le fondement de l'article L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime en répétition de l'indu à l'encontre du bailleur, dès lors que l'action prévue par cet article, qui dérive du bail rural, n'appartient qu'au preneur entrant ou à ses héritiers ; qu'en affirmant le contraire, au motif erroné que l'action en répétition de l'indu prévue par l'article L. 411-74 du code rural est ouverte « à celui qui a réglé la somme indue au bailleur, pour le compte du preneur », la cour d'appel a violé derechef l'article L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime ;
3°/ qu'il appartient au preneur entrant de prouver le paiement au bailleur de sommes non justifiées et notamment que la somme versée excède de plus de 10 % la valeur vénale des biens mobiliers cédés ; qu'en refusant de rechercher si la somme payée par le GAEC des Hauts Prés à Mme X... excédait ou non de plus de 10 % la valeur des matériels, stocks et produits mentionnés dans les factures litigieuses, au motif que leur livraison n'était pas démontrée par les époux X..., quand il appartenait pourtant à la SCEA des Hauts Prés de démontrer que ces éléments n'avaient pas été livrés et excédaient de plus de 10 % leur valeur vénale, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé, ce faisant, les articles L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime, ensemble les articles 1315 du code civil et 9 du code de procédure civile ;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel a retenu à bon droit que l'article L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime ne réservait pas l'action en répétition de l'indu au seul preneur et que cette action était ouverte à celui qui, à l'occasion du changement d'exploitant, avait, pour le compte du preneur, réglé la somme indue au bailleur ;
Attendu, ensuite, que la cour d'appel a souverainement retenu, sans inverser la charge de la preuve et sans qu'il y ait lieu de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, qu'en l'absence de justification de la livraison des biens énumérés par les factures établies par les bailleurs et en l'impossibilité de répercuter sur l'exploitant entrant le montant des améliorations alléguées, les sommes réclamées au preneur étaient dépourvues de cause et devaient être restituées ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. et Mme X... et les condamne à payer à Mme Y... et à la SCEA des Hauts Prés la somme globale de 3 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six janvier deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X...
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré recevables l'intervention volontaire et les demandes de la SCEA des Hauts Prés et d'avoir condamné M. André X... et Mme Viviane Z..., son épouse, à payer à la SCEA des Hauts Prés la somme de 158 660,38 euros, avec intérêts au taux légal majoré de trois points à compter du 3 juillet 2003,
AUX MOTIFS QUE , « sur le caractère indu du paiement, ainsi que cela a été indiqué, la somme de 158 660,38 euros correspond au cumul de trois factures établies par Madame X..., le 26 juin 2003, à l'ordre du « GAEC des Hauts Prés Y... », quelques jours avant la signature du bail intervenu, le 30 juin 2003, entre Monsieur et Madame X..., d'une part, et Monsieur Y..., d'autre part ;
Que ces factures sont libellées de la manière suivante :
- Facture de 150.314 euros :
• Amélioration du fonds 28 ha 00 a 69 ca 24.763,70 euros
• Matériel 69.000,00 euros
• Stocks (pulpes sèches, balles, foin et paille) 10.000,00 euros
• Autres immobilisations incorporelles 46.550,30 euros
- Facture de 5.376,46 euros :
• Autres charges et frais généraux 5.376,46 euros
- Facture de 2.969,92 euros :
• Travaux agricoles réalisés 1581,96 euros
• Semences 929,55 euros
• Semences 220,40 euros
•Produit d'entretien hyproclar 30,80 euros
• TVA 5,5% 151,95 euros
• Produit d'entretien hypracid 46,20 euros
• TVA 19,6 % 9,06 euros,
Que si les époux X... indiquent que ces sommes sont parfaitement causées, ils n'apportent aucun élément au soutien de cette affirmation alors que la livraison, pourtant contestée, des matériels, stock et produits n'est pas démontrée et que les autres postes n'ont pas à être supportés par le preneur entrant ;
Que l'absence de justification relative à la livraison des biens ne permet pas d'apprécier la réalité même de cette livraison de sorte qu'il n'y a pas lieu de s'interroger pour déterminer si la somme payée excédait ou non de plus de 10 % la valeur des biens mentionnés sur la facture ;
Qu'il est donc bien établi que cette somme de 158 660,38 euros, réglée à l'occasion d'un changement d'exploitant, l'a été indûment contrairement à ce qu'avait retenu le tribunal paritaire des baux ruraux ;
[…] Sur la demande en répétition de la SCEA des Hauts Prés,
Que sur la recevabilité de l'intervention, il importe peu que la SCEA des Hauts Prés soit intervenue volontairement postérieurement au préalable de conciliation devant le tribunal paritaire des baux ruraux dès lors que s'agissant d'une demande incidente, elle n'est pas soumise à ce préalable ;
Que l'intervention volontaire de la SCEA des Hauts Prés doit donc être déclarée recevable et le jugement rendu en première instance sera infirmé sur ce point ;
Que sur la prescription, l'article L. 411-74 du code rural dispose :
« Sera puni d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 30.000 € ou de l'une de ces deux peines seulement, tout bailleur, tout preneur sortant ou tout intermédiaire qui aura, directement ou indirectement, à l'occasion d'un changement d'exploitant, soit obtenu ou tenté d'obtenir une remise d'argent ou de valeurs non justifiée, soit imposé ou tenté d'imposer la reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci.
Les sommes indûment perçues sont sujettes à répétition ;
Elles sont majorées d'un intérêt calculé à compter de leur versement et égal au taux de l'intérêt légal mentionné à l'article L. 313-2 du code monétaire et financier majoré de trois points » ;
Que pour les motifs indiqués ci-dessus, il est établi, d'une part, que Madame X... a reçu, en sa qualité de bailleur, une somme de 158.660,38 euros non justifiée et, d'autre part, que ce paiement est intervenu à l'occasion d'un changement d'exploitant, dans les jours précédant la signature du bail conclu le 30 juin 2003, par Monsieur et Madame X... au profit de Monsieur Y... ;
Que les conditions d'application de l'article L. 411-74 du code rural sont donc bien réunies et l'action en répétition de l'indu se fonde bien sur ses dispositions et non pas sur celles de droit commun relatives à la nullité des conventions ;
Que l'article L. 411-74 du code rural ajoute ensuite :
« L'action en répétition exercée à l'encontre du bailleur demeure recevable pendant toute la durée du bail initial et des baux renouvelés qui lui font suite ainsi que, en cas d'exercice du droit de reprise, pendant un délai de dix-huit mois à compter de la date d'effet du congé » ;
Que l'article L 411-74 ne réserve donc pas l'action en répétition de l'indu qu'il prévoit au seul preneur et cette action est ouverte, dans les mêmes conditions de prescription, à celui qui a réglé la somme indue au bailleur, pour le compte du preneur et à l'occasion du changement d'exploitant ;
Que l'action, engagée pendant la durée du bail, n'est donc pas prescrite ;
Que sur le fond, le GAEC des Hauts Prés ayant réglé indûment la somme de 158 660,38 euros à Madame X..., la demande de remboursement formulée par la SCEA des Hauts Prés, venant aux droits du GAEC, est bien fondée ;
Qu'en application de l'article L. 411-74 du code rural, Monsieur et Madame X... seront donc condamnés à lui payer cette somme, avec intérêts au taux légal majoré de trois points à compter du 3 juillet 2003, date du paiement ;
Que sur la demande en dommages et intérêts, Monsieur et Madame X... ne justifient pas du préjudice qu'ils allèguent pour avoir exécuté l'arrêt du 21 juin 2012 et la demande de dommages et intérêts qu'ils présentent à ce titre sera rejetée » (arrêt, p. 8 à 10),
1) ALORS QUE l'action en répétition prévue par l'article L 411-74 du code rural et de la pêche maritime vise toute somme d'argent ou de valeurs non justifiée obtenue par le bailleur ou par le preneur sortant à l'occasion d'un changement d'exploitant de la part du preneur entrant, qualité dont ne dispose pas la société agricole au profit de laquelle les biens loués ont été mis à disposition ; qu'en condamnant les époux X... à payer une somme de 158 660,38, avec intérêts au taux légal majoré de trois points à compter 3 juillet 2003, au profit de la SCEA des Hauts Prés, venant aux droits du GAEC éponyme, sur le fondement de l'article L 411-74 du code rural et de la pêche maritime, aux motifs erronés que ce texte ne réserve pas « l'action en répétition de l'indu qu'il prévoit au seul preneur » (arrêt, p. 10), la cour d'appel a violé l'article L 411-74 du code rural et de la pêche maritime,
2) ALORS QU'une société agricole, qui n'est pas le preneur entrant, ne peut agir sur le fondement de l'article L 411-74 du code rural et de la pêche maritime en répétition de l'indu à l'encontre du bailleur, dès lors que l'action prévue par cet article, qui dérive du bail rural, n'appartient qu'au preneur entrant ou à ses héritiers ; qu'en affirmant le contraire, au motif erroné que l'action en répétition de l'indu prévue par l'article L 411-74 du code rural est ouverte « à celui qui a réglé la somme indue au bailleur, pour le compte du preneur » (arrêt, p. 10), la cour d'appel a violé derechef l'article L 411-74 du code rural et de la pêche maritime,
3) ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QU'il appartient au preneur entrant de prouver le paiement au bailleur de sommes non justifiées et notamment que la somme versée excède de plus de 10 % la valeur vénale des biens mobiliers cédés ; qu'en refusant de rechercher si la somme payée par le GAEC des Hauts Prés à Mme X... excédait ou non de plus de 10 % la valeur des matériels, stocks et produits mentionnés dans les factures litigieuses, au motif que leur livraison n'était pas démontrée par les époux X..., quand il appartenait pourtant à la SCEA des Hauts Prés de démontrer que ces éléments n'avaient pas été livrés et excédaient de plus de 10 % leur valeur vénale, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé, ce faisant, les articles L 411-74 du code rural et de la pêche maritime, ensemble les articles 1315 du code civil et 9 du code de procédure civile.