Statuant sur le pourvoi formé par :
- La société Labastère 64,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PAU, chambre correctionnelle, en date du 29 octobre 2015, qui, pour blessures involontaires, l'a condamnée à 15 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 10 janvier 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Ricard, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller RICARD, les observations de la société civile professionnelle THOUIN-PALAT et BOUCARD, de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN, THOUVENIN et COUDRAY, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LEMOINE ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 4141-2, R. 4141-2, R 4141-13 du code du travail, 121-2, 222-19, 222-21 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la société Labastère 64 coupable du délit de blessures involontaires, dans le cadre du travail, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, en l'espèce en n'offrant pas une formation suffisante à M. X... quant à l'utilisation du hayon ;
" aux motifs que, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu la SAS Labastere 64 dans les liens de la prévention ; qu'en effet les dispositions de l'article L. 4141-2 du code du travail mettent à la charge de l'employeur l'organisation d'une formation pratique et appropriée à la sécurité au bénéfice notamment des salariés temporaires ; que selon les dispositions de l'article R. 4141-13 du code du travail, la formation à la sécurité relative aux conditions d'exécution du travail a pour objet d'enseigner au travailleur, à partir des risques auxquels il est exposé :-1) les comportements et les gestes les plus surs en ayant recours si possible à des démonstrations ;-2) les modes opératoires retenus s'ils ont une incidence sur sa sécurité ou celle des autres travailleurs ;-3) le fonctionnement des dispositifs de protection et de secours et les motifs de leur emploi ; qu'en l'espèce, il est établi par l'enquête que la SAS Labastere 64 n'a organisé aucune formation pratique et appropriée à la sécurité au bénéfice de M. X..., travailleur temporaire qui avait été mis à sa disposition le jour des faits ; que la relation de M. X... avec la société Labastere s'est limitée au bref contact qu'il a eu lors de la remise du véhicule avec un responsable de cette société qui lui a expliqué très sommairement comment fonctionnait le hayon qu'il devait utiliser ; que les explications n'ont duré que quelques minutes ; que le responsable de la société Labastere ne lui a pas expliqué quel était le poids limite à charger sur le hayon, ni quel était le poids exact de chaque palette ; que le poids de chaque palette n'était pas mentionné sur celles-ci ; que ces quelques explications rapides ne correspondent nullement à la formation à la sécurité prévue par les articles précités du code du travail ; qu'en outre, la mission de chargement des palettes confiée à M. X... ne rentrait pas dans les conditions de l'exception prévue au 3° de l'article L 4141-2 du code du travail, en ce sens qu'il ne s'agissait pas de l'exécution de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité ; qu'ainsi, il est incontestablement établi que la SAS Labastere a manqué à son obligation de formation particulière concernant l'utilisation du hayon à l'égard de M. X... ; que les indications relatives aux qualités professionnelles attendues du salarié qui ont été données à l'entreprise de travail temporaire n'exonéraient nullement la société utilisatrice de ses obligations en matière de formation de ce salarié à la sécurité ; que le jugement déféré sera donc confirmé sur ce premier point ;
" 1°) alors qu'aucune disposition n'impose que la formation à la sécurité prévue par les articles L. 4141-2 et suivants et R. 4141-1 et suivants du code du travail revête une forme particulière ; qu'en énonçant, pour retenir que la société Labastère 64 avait manqué à l'obligation de formation prévue par ces textes et pour la déclarer, en conséquence, coupable des faits de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail d'une durée supérieure à trois mois par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, que les « quelques explications rapides » reçues le matin de sa prise de poste par M. X... ne correspondaient nullement à la formation à la sécurité prévue par le code du travail, sans répondre aux écritures de l'exposante qui faisait valoir que la formation dispensée revêtait un caractère suffisant dès lors que M. X... avait précisément été recruté pour sa compétence dans le maniement du hayon, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation des dispositions susvisées ;
" 2°) alors que le délit de blessures involontaires suppose un lien de causalité certain entre la faute et le dommage ; que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier sa décision ; que pour déclarer la société Labastère 64 coupable du délit de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois, la cour d'appel a seulement affirmé que celle-ci avait manqué à son obligatoire de formation particulière concernant l'utilisation du hayon à l'égard de M. X..., notamment, en ne lui ayant pas indiqué le poids limite qu'il pouvait charger sur le hayon ; qu'en statuant ainsi sans indiquer concrètement en quoi le caractère prétendument inapproprié de la formation qui avait été prodiguée à M. X... aurait contribué de manière certaine à la survenance du dommage la société Labastère 64 soutenant, sans être utilement contredite sur ce point, que le poids maximal de 750 kilos pouvant être supporté par le hayon n'avait pas été dépassé lors de l'accident et partant en s'abstenant de caractériser tout lien de causalité entre la faute d'abstention imputée à la société prévenue et les blessures subies par la victime, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 3°) alors que la faute de la victime lorsqu'elle est la cause unique du dommage, exclut toute condamnation du chef de blessures involontaires ; que la société Labastère 64 faisait expressément valoir dans ses écritures que M. X... avait commis une faute constituant la cause exclusive de son dommage en permettant à M. Y..., simple manutentionnaire dépourvu d'expérience, de faire fonctionner le hayon en ses lieu et place, alors qu'il était seul habilité à utiliser cet équipement pour la maîtrise duquel il avait été recruté, et en se plaçant quant à lui sur le hayon pendant les opérations de chargement du matériel, alors qu'il aurait dû se trouver en dehors du plateau ; qu'en déclarant néanmoins la société Labastère 64 coupable de blessures involontaires par manquement à une obligation de prudence ou de sécurité en l'espèce en n'offrant pas une formation suffisante quant à l'utilisation du hayon sans rechercher, comme elle y était invitée, si la faute de M. X... n'était pas la cause exclusive de son dommage, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et exposé sa décision à la censure ;
" 4°) alors en tout état de cause que les personnes morales ne peuvent être déclarées pénalement responsables que s'il est établi qu'une infraction a été commise, pour leur compte, par leurs organes ou représentants, c'est-à-dire par les personnes physiques ayant le pouvoir de direction desdites personnes morales, quand bien même la faute commise serait une faute d'abstention ; qu'en retenant que la société Labastère 64 avait manqué à son obligation de formation particulière concernant l'utilisation du hayon à l'égard de M. X... et en la déclarant coupable du délit de blessures involontaires sans indiquer par l'intermédiaire de quelle personne physique ayant le pouvoir de direction de la société Labastère 64 l'infraction reprochée avait été commise, ni constater qu'elle l'aurait été pour le compte de cette société, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et a méconnu les textes susvisés " ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-2, 222-19, 221-21 du code pénal, R. 4321-4 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la société Labastère 64 coupable du délit de blessures involontaires, dans le cadre du travail, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, en l'espèce en ne mettant pas à disposition du salarié un équipement de travail adapté aux fonctions qui lui étaient attribuées en l'absence d'indication du poids des palettes de fenêtres ;
" aux motifs que les dispositions de l'article R. 4321-4 du code du travail mettent à la charge de l'employeur l'obligation de mettre à la disposition des travailleurs, en tant que de besoin, les équipements de protection individuelle appropriés et, lorsque le caractère particulièrement insalubre ou salissant des travaux l'exige, les vêtements de travail appropriés ; qu'il doit veiller à leur utilisation effective ; en l'espèce que c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu la société Labastere 64 dans les liens de la prévention puisqu'en l'absence d'indication par cette société du poids des palettes de fenêtres, M. X... ne pouvait vérifier l'adéquation de leur charge avec le poids maximal de 750 kilogrammes prévue pour l'utilisation du hayon ; qu'en outre, aucun responsable de la société Labastère n'était présent lors du chargement des palettes de fenêtre pour veiller à l'utilisation effective du hayon dans les limites du poids desdites palettes ; que le jugement déféré sera confirmé sur ce second point ;
" 1°) alors que la loi pénale est d'interprétation stricte ; que seule peut justifier une condamnation pénale pour manquement à une obligation de prudence ou de sécurité ayant entraîné des blessures involontaires, sur le fondement de l'article R. 4321-4 du code du travail, le fait pour l'employeur de s'être abstenu de mettre à la disposition des travailleurs « des équipements de protection individuelle appropriés » ou des « vêtements de travail appropriés », dont l'absence dûment constatée aurait causé des blessures involontaires ; qu'en énonçant que les premiers juges avaient à bon droit retenu la société Labastère 64 dans les liens de la prévention sur le fondement de ce texte « puisqu'en l'absence d'indication par cette société du poids des palettes de fenêtre, M. X... ne pouvait vérifier l'adéquation de leur charge avec le poids maximal de 750 kilogrammes prévue pour l'utilisation du hayon » et qu'aucun responsable de la société n'était présent pour veiller à l'utilisation effective du hayon dans les limites du poids desdites palettes, sans caractériser aucun manquement de l'employeur dans la fourniture « d'équipements de protection individuelle appropriés » ou de « vêtements de travail appropriés », la cour d'appel a privé sa décision de motifs et exposé sa décision à la censure ;
" 2°) alors qu'en tout état de cause les personnes morales ne peuvent être déclarées pénalement responsables que s'il est établi qu'une infraction a été commise, pour leur compte, par leurs organes ou représentants, c'est-à-dire par les personnes physiques ayant le pouvoir de direction desdites personnes morales, quand bien même la faute commise serait une faute d'abstention ; qu'en retenant que la société Labastère 64 avait manqué à son obligation de fournir des équipements de protection individuelle appropriés et de veiller à leur utilisation effective et en la déclarant coupable du délit de blessures involontaires sans indiquer par l'intermédiaire de quelle personne physique ayant le pouvoir de direction de la société Labastère 64 l'infraction reprochée avait été commise, ni constater qu'elle l'aurait été pour le compte de cette société, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. X..., de même qu'un autre employé, tous deux ayant la qualification de chauffeur-livreur, ont été mis à la disposition de la société Labastère 64 par une société de travail intérimaire pour une journée ; qu'un responsable de la société utilisatrice leur a confié la mission de charger des palettes de fenêtres sur un camion disposant d'un hayon afin de les transporter jusqu'à un chantier, leur fournissant, à cette occasion, des explications relatives à la réalisation de ces opérations ; qu'après avoir procédé, seuls, au chargement d'une première palette au moyen d'un transpalette, les deux hommes ont réitéré cette opération en plaçant sur le hayon une seconde palette, plus lourde que la précédente ; que, durant l'élévation du hayon sur lequel M. X... avait pris place à proximité de la palette, cette dernière a basculé vers l'arrière et est tombée sur une jambe de celui-ci alors qu'il avait chuté au sol ; qu'il en est résulté des blessures ayant entraîné une incapacité totale de travail de six mois ; que la société Labastère 64 a été poursuivie du chef de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ; que le tribunal correctionnel a déclaré cette société coupable des faits qui lui étaient reprochés ; que la société Labastère 64, de même que le procureur de la République, ont relevé appel de cette décision ;
Sur le premier moyen de cassation, pris en ses trois premières branches :
Attendu qu'au titre du délit de blessures involontaires résultant d'un défaut de formation suffisante des salariés, l'arrêt retient, notamment, qu'aucune formation pratique et appropriée à la sécurité n'a été organisée au bénéfice de la victime, travailleur temporaire mis à la disposition de la société Labastère 64 le jour des faits, à l'exception d'un bref contact avec un responsable de cette société lui ayant fourni des explications sommaires quant au fonctionnement du hayon qu'il avait pour mission d'utiliser et sans préciser ni le poids maximal supporté par ce hayon, ni celui de chaque palette ; que les juges ajoutent que ces explications ne correspondent pas à la formation à la sécurité prévue par les articles L. 4141-2 et R. 4141-13 du code du travail, alors que les qualités professionnelles attendues de ce salarié, telles que transmises à l'entreprise de travail temporaire, n'ont pu exonérer la société utilisatrice de ses obligations ; que la cour d'appel en déduit que l'absence de formation suffisante, dès lors qu'aucun responsable de cette société n'était présent lors de ces opérations afin de veiller à la correcte utilisation du hayon dans les limites du poids desdites palettes, n'a pas permis à M. X... de vérifier l'adéquation de la charge au poids maximal supporté par le hayon de sorte qu'elle a directement concouru à la réalisation du dommage ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi par des motifs d'où il se déduit, d'une part, l'absence de faute de la victime constitutive d'une cause exclusive de l'accident, d'autre part, l'existence d'une faute d'imprudence et de négligence en lien causal avec le dommage causé à la victime, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que les griefs ne sont pas fondés ;
Sur le second moyen de cassation, pris en sa première branche :
Attendu que, s'agissant du délit de blessures involontaires commis par défaut d'information suffisante aux salariés, l'arrêt relève notamment qu'aucune précision n'a été fourni à la victime, ni quant au poids maximal supporté par le hayon qu'il avait pour mission d'utiliser, ni quant à celui de chaque palette qu'il devait transporter ; que la cour d'appel en déduit que ce défaut d'information n'a pas permis à M. X... de vérifier l'adéquation de la charge au poids maximal supporté par le hayon de sorte qu'il a directement concouru à la réalisation du dommage ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, abstraction faite du motif erroné, mais surabondant selon lequel l'absence de précision quant à ces éléments techniques contreviendrait à l'obligation, à la charge de l'employeur, de mettre à la disposition des travailleurs les équipements de protection individuelle conformément à l'article R. 4321-4 du code du travail, la cour d'appel, qui a caractérisé l'existence d'une faute d'imprudence et de négligence en lien causal avec le dommage causé à la victime, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le grief n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche et sur le second moyen, pris en sa seconde branche :
Vu les articles 121-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que, d'une part, les personnes morales, à l'exception de l'Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ;
Attendu que, d'autre part, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour déclarer la prévenue coupable des faits qui lui sont reprochés, l'arrêt se borne à mentionner que l'intervention de la société Labastère 64 auprès de M. X... s'est limitée à un contact entre un responsable de ladite société et ce dernier au cours duquel il a été sommairement expliqué à celui-ci le fonctionnement du hayon qu'il devait utiliser lors de l'exécution de sa mission, sans bénéficier de précision, ni sur le poids maximal supporté par ce hayon, ni sur celui de chaque palette qu'il devait transporter ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans rechercher si les manquements relevés résultaient de l'abstention de l'un des organes ou représentants de la société prévenue, et s'ils avaient été commis pour le compte de cette société, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 121-2 du code pénal ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Pau, en date du 29 octobre 2015, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Pau et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit février deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.