LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :
Vu les articles 16 et 784 du code de procédure civile ;
Attendu que lorsque le juge révoque l'ordonnance de clôture, cette décision, qui doit être motivée par une cause grave, doit intervenir avant la clôture des débats ou, sinon, s'accompagner d'une réouverture de ceux-ci ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Delta sport France (la société Delta sport), reprochant à M. [P], son ancien salarié, et à la société Saona, créée par lui, des actes de concurrence déloyale, les a assignés en paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que l'arrêt ordonne la révocation de l'ordonnance de clôture et l'admission des conclusions de M. [P] et de la société Saona puis confirme le jugement ayant rejeté les demandes de la société Delta sport ;
Qu'en procédant ainsi, sans ordonner la réouverture des débats, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 juillet 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;
Condamne la société Saona et M. [P] aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer la somme de globale de 3 000 euros à la société Delta sport France et rejette leur demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier mars deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour la société Delta sport France
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture, admis les conclusions récapitulatives n° 4 par la société Saona et M. [P], ainsi que les pièces 33 à 39 déposées à la même date et confirmé le jugement entrepris ;
AUX MOTIFS QUE la société SARL Delta Sport France a déposé ses dernières conclusions (n° 3) le 27 avril 2015 à 16 heures 25 soit la veille de l'ordonnance de clôture. Ce dépôt tardif ne permettait pas aux intimés de prendre connaissance de ces conclusions et pièces et d'y apporter une réponse avant le prononcé de la clôture. Ces circonstances particulières qui ne permettaient pas de respecter un débat contradictoire justifient que soit prononcée la révocation de l'ordonnance de clôture et l'admission des conclusions responsives et récapitulatives n° 4 déposées par la société Saona et [Q] [P] le 5 mai 2015 ainsi que les nouvelles pièces 33 à 39 ;
1°) ALORS QUE l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue ; qu'en considérant que le dépôt des conclusions de la société Delta Sport France le 27 avril 2015, soit la veille de l'ordonnance de clôture, justifiait sa révocation, la cour d'appel a violé l'article 784 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE la tardiveté de conclusions ne constitue pas une cause grave justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture ; qu'en considérant que le dépôt prétendument tardif de ses conclusions par la société Delta Sport France justifiait la révocation de l'ordonnance de clôture, la cour d'appel a violé l'article 784 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE la décision de révoquer l'ordonnance de clôture doit intervenir avant la clôture des débats ou, sinon, s'accompagner d'une réouverture de ceux-ci ; qu'en révoquant l'ordonnance de clôture et en statuant au fond sans ordonner la réouverture des débats, la cour d'appel a violé les articles 16 et 784 du code de procédure civile.
4°) ALORS QUE une demande de révocation de l'ordonnance de clôture doit être formulée par des conclusions ; qu'en prononçant la révocation de l'ordonnance de clôture, quand la société Saona et M. [P] ne présentaient aucune demande en ce sens dans leurs conclusions récapitulatives et responsives n° 4, la cour d'appel a violé l'article 783 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir constaté qu'aucun acte de concurrence déloyale à l'encontre de la société Delta Sport France n'est caractérisé ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE : Sur les actes de concurrence déloyale commis par [Q] [P] : la SARL Delta Sport France reproche à [Q] [P], alors qu'il était encore son salarié, d'avoir créé la société concurrente Saona et participé activement à son activité et d'avoir été le lien entre les deux sociétés en détournant les données auxquelles il avait accès quotidiennement au profit de la société Saona. Comme déjà exposé, la SARL Delta Sport France avait une parfaite connaissance de la création de la société Saona et de ses activités et l'ensemble des mails produits démontre que c'est uniquement [E] [P], sa dirigeante qui intervenait pour le compte de la société Saona. Le 25 septembre 2009, [Q] [P] est devenu actionnaire majoritaire après rachat de parts à son épouse. Comme déjà exposé, en novembre 2009, la société Saona a repositionné son activité sur le segment des étuis à lunettes dont [Q] [P] était responsable au sein de la SARL Delta Sport France et il a quitté la SARL Delta Sport France le 20 septembre 2010, suite à une rupture conventionnelle de son contrat. La SARL Delta Sport France prétend que [Q] [P] est devenu cogérant de la société SAONA le 1er décembre 2010. A l'appui de cette allégation, elle produit l'information tirée de « société.corn » mais ce fait est contredit par l'attestation en date du 23 septembre 2014 de [B] [F] expert-comptable de la société Saona, produite par les intimés, qui atteste que [Q] [P] n'a jamais été gérant ou cogérant de la société. Quoiqu'il en soit, la qualité de gérant, ou non de [Q] [P], n'est pas déterminante dans la réalité, ou non, des agissements de concurrence déloyale qui lui sont reprochés lesquels ne résultent pas des faits que [Q] [P] soit devenu associé majoritaire de la société Saona et se soit impliqué dans la cette société après avoir quitté ses fonctions au sein de la SARL Delta Sport France à la suite d'une rupture conventionnelle, sans qu'il importe de savoir laquelle des parties a pris l'initiative de la négociation de la rupture puisqu'elle a été acceptée par l'autre et elle a abouti à une rupture d'un commun accord. (…) Sur la participation active de [Q] [P] au développement de la société Saona alors qu'il était encore son salarié, la SARL Delta Sport France produit un échange de mails du 24 septembre 2009 desquels il résulte que [Q] [P] a donné l'adresse mail de la société Saona à la société de transport Clasquin afin qu'il fixe un rendez-vous à cette dernière pour aborder l'aspect logistique et le transport de son activité, ce qui a été fait. Ce seul fait alors que les sociétés étaient partenaires, que la société Clasquin est un transporteur choisissant ses clients et qu'il facturait ses prestations, non à la SARL Delta Sport France, mais à la SARL Delta Sport Allemagne laquelle n'a pas reproché à la société Saona d'avoir recours au même transporteur ce qui lui serait d'ailleurs bien difficile, ne caractérise pas une participation active de [Q] [P] à l'activité de la société Saona. Enfin, la SARL Delta Sport France fait valoir la coïncidence d'un voyage de [Q] [P], pour son compte, en Chine dans l'usine de son fournisseur au mois de mai 2009 avec un voyage de son épouse pour en conclure que cette dernière en a profité pour rencontrer ses futurs partenaires. D'une part, contrairement à ce qu'elle prétend, il résulte du passeport de [E] [P] que les dates de voyage ne sont pas strictement identiques. D'autre part, il résulte des attestations de monsieur et madame [R] dirigeants de la société Hua Yue qui était le fournisseur de la SARL Delta Sport Allemagne, que [E] [P] et madame [R] entretenaient une amitié de longue date. Les faits reprochés à [Q] [P] ne sont donc pas établis. Sur les actes de concurrence déloyale commis par la société Saona : (…) La SARL Delta Sport France soutient également que la société Saona a démarché déloyalement sa clientèle car [Q] [P] a orchestré une situation de confusion entre les sociétés SARL Delta Sport France et Saona ce qui a permis à cette dernière de proposer aux clients, en utilisant ses données confidentielles, les mêmes produits, provenant du même fournisseur, livré par le même transporteur, mais à un prix plus compétitif, n'ayant pas à supporter les frais de fonctionnement ou charges d'exploitation. Elle produit des factures datant des mois de janvier, avril et août 2010 de la société Saona qu'elle dit être adressées à certains de ses anciens clients lesquels ont été démarchés agressivement par la société Saona ainsi qu'un bon d'entrée d'un ancien client chez la société Ronadis au nom de la société Saona. Ces pièces ne démontrent pas l'existence de procédés déloyaux ayant permis à la société Saona de compter les entreprises concernées parmi ses clients. La seule pièce produite en ce sens par la SARL Delta Sport France est une lettre de la société Zenka en date du 9 mai 2011 demandant à la SARL Delta Sport France de lui confirmer l'information que venait de lui donner la société Saona selon laquelle cette dernière avait négocié un accord d'exclusivité avec l'usine chinoise d'étuis qui fabriquait jusqu'alors pour la SARL Delta Sport France et s'inquiétant auprès de celle-ci du sort de la livraison de ses commandes en cours et ajoutant que situation était très perturbante d'autant « que nous avons été démarchés plusieurs fois par monsieur [P] pour le compte de la société SAONA dans le courant du premier semestre 2010 pour négocier l'approvisionnement de nos étuis ». Toutefois, par mail du même jour, ce client a transféré au dirigeant de la SARL Delta Sport France le mail de la société Saona l'informant de la conclusion de l'accord d'exclusivité avec l'usine chinoise en lui posant la question : « es-tu au courant ? ». Dans ces conditions, la lettre envoyée le même jour perd de sa crédibilité. Par ailleurs, contrairement à ce qu'elle prétend, la SARL Delta Sport France qui est agent commercial n'a pas perdu son fournisseur historique du fait de l'accord d'exclusivité précité, seule la SARL Delta Sport Allemagne ayant perdu ce fournisseur sans d'ailleurs s'en plaindre auprès de la société Saona. En tout état de cause, la conclusion d'un tel accord ne démontre pas ipso facto des procédés déloyaux pour y parvenir et elle ne produit aucune pièce en ce sens. Et, de leur côté, les intimés produisent des attestations de monsieur et madame [R] dirigeants de la société Hua Yue. Madame [R] atteste qu'elle a proposé à [E] [P], en raison d'une amitié de longue date les unissant, de les représenter auprès des clients pour lesquels ils produisent des étuis en lui apportant leur savoir-faire et en s'appuyant sur son expérience dans le domaine commercial. Quant à monsieur [R], il atteste « avoir invité [E] [P] à l'usine en Chine afin de développer ensemble des relations commerciales » et il poursuit : « A ce titre, nous lui avons fourni tous les éléments, échantillons et informations nécessaires pour mener à bien cette tâche. En effet, ayant découvert que la SARL Delta Sport France déclarait un taux frauduleux qui mettrait en péril notre business en Europe, je me suis rapproché en la personne de madame [P] en qui j'ai toute confiance pour développer notre activité ». D'autre part, si la SARL Delta Sport France conteste toute fraude dans les taux de douane, fait présenté par [Q] [P] comme étant à l'origine de la rupture du contrat de travail et elle produit une attestation de son ancien dirigeant déclarant que les opérations de dédouanement concernaient la société Delta Sport Allemagne, il résulte précisément d'un mail du dirigeant de société Delta Sport Allemagne en date du 20 décembre 2006 adressé au dirigeant de la SARL Delta Sport France et à [Q] [P] les informant qu'il rencontrait un problème majeur en raison de la présence d'une délégation des douanes dans ses locaux car le taux réduit de douane appliqué sur l'ensemble des étuis n'était valable que sur certains et en leur demandant de fabriquer, en vue de leur présentation aux douanes, des échantillons permettant l'application du taux réduit. (…) En définitive, la commission d'agissements de concurrence déloyale par la société Saona n'est pas non plus démontrée. En conséquence, il y a lieu, par confirmation du jugement entrepris, de débouter la SARL Delta Sport France de l'intégralité de ses demandes ;
AUX MOTIFS PRESUMES ADOPTES QUE : Concernant le comportement déloyal de M. [P] : en vertu du principe de la liberté du travail, il est loisible à un salarié de changer d'emploi ou de créer une activité au mieux de ses intérêts et qu'il ne peut lui être fait grief d'exploiter dans ses nouvelles fonctions l'expérience acquise précédemment ; M. [P] était salarié et responsable du segment d'étuis à lunettes chez Delta Sport France jusqu'au 10 septembre 2010 ; en 2007, son épouse a créé la SARL Saona ayant initialement pour activité la commercialisation de casques de motos; dans l'année 2009, la société Saona s'est repositionnée sur le segment des étuis à lunettes : à cette même période M. [P] est devenu associé majoritaire de la société Saona, il en est devenu co-gérant en décembre 2010, soit deux mois après son départ de Delta Sport France ; il ne saurait être interdit au salarié d'une société de se porter acquéreur de parts dans une société concurrente, fût-il porteur majoritaire ; par ailleurs il n'est pas démontré l'implication personnelle de M. [P] dans l'exercice de l'activité concurrente de la société Saona avant le terme de son contrat de travail ; le tribunal constate que M. [P] n'a pas commis de faute ;
1°) ALORS QUE la création par un salarié d'une société concurrente qui débute son activité avant la rupture du contrat de travail constitue un acte de concurrence déloyal ; qu'en estimant que les faits de concurrence déloyale reprochés à M. [P] n'étaient pas établis, après avoir constaté que M. [P] avait créé avec son épouse une société concurrente de la société Delta Sport France et que cette société avait débuté son activité avant la rupture du contrat de travail l'unissant à l'exposante, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé l'article 1382 du code civil ;
2°) ALORS QUE la participation active d'un salarié à l'activité d'une société concurrente constitue un acte de concurrence déloyale ; qu'en estimant que les faits de concurrence déloyale reprochés à M. [P] n'étaient pas établis après avoir constaté que ce dernier, encore salarié de la société Delta Sport France, avait pris contact avec un transporteur dans l'intérêt de la société Saona afin qu'un rendez-vous soit organisé entre ce transporteur et la société Saona, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1382 du code civil ;
3°) ALORS QUE la conclusion d'un contrat d'exclusivité avec le fournisseur d'un concurrent prive ce concurrent de son fournisseur et constitue un acte déloyal de désorganisation ; qu'en statuant comme elle l'a fait, quand il résulte de ses propres constatations qu'en concluant un accord d'exclusivité avec le fournisseur de la société Delta Sport Allemagne, la société Saona avait privé la société Delta Sport France de son fournisseur, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1382 du code civil.