LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 26 juin 2015), qu'engagé le 6 juin 1994 par la société Auchan en qualité de chef de rayon stagiaire, M. [L] exerçait en dernier lieu les fonctions de contrôleur de gestion d'un magasin ; qu'à la suite de la dénonciation le 14 octobre 2011 par un salarié démissionnaire d'une politique de harcèlement émanant de la direction du magasin, l'employeur a notifié au salarié sa mise en disponibilité avec maintien de sa rémunération le 20 octobre 2011, puis l'a licencié le 14 novembre 2011 ; que, contestant son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale ;
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de dire son licenciement justifié par une cause réelle et sérieuse et de le débouter de toutes ses demandes indemnitaires à l'exception de sa demande pour l'irrégularité de la procédure de licenciement alors, selon le moyen :
1°/ qu'aux termes de l'article L. 1331-1 du code du travail, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, s a fonction, sa carrière ou sa rémunération ; qu'en statuant comme elle l'a fait par les motifs inopérants que la mise en disponibilité de M. [L] n'aurait porté atteinte ni à sa carrière, ni à sa rémunération, sans procéder à aucune analyse des termes de la lettre du 20 octobre 2011 notifiant cette mise en disponibilité et sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ces termes, qui ne comportaient aucune référence, ni à l'engagement d'une procédure disciplinaire, ni à la mise en oeuvre d'une procédure interne mais visaient tout au contraire les « éléments et informations que nous avons en notre possession » comme étant de nature à justifier la mesure ainsi décidée n'étaient pas caractéristiques d'une sanction disciplinaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions du texte susvisé ;
2°/ qu'aucun fait fautif ne pouvant donner lieu à double sanction, la cour d'appel, faute d'avoir légalement justifié le caractère prétendument seulement conservatoire de la mise en disponibilité notifiée à M. [L], n'a pas davantage légalement justifié sa décision de retenir que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, de sorte qu'elle a encore privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article L. 1331-1 du code du travail ;
Mais attendu que l'employeur peut prendre, préalablement à la procédure de licenciement, des mesures provisoires adaptées destinées à garantir les intérêts de l'entreprise pourvu qu'il n'en résulte pas, sans accord du salarié, une modification durable du contrat de travail ;
Et attendu que la cour d'appel, qui a constaté que la mise en disponibilité provisoire, décidée par l'employeur dans l'attente de l'engagement d'une procédure disciplinaire, a eu pour seul objet de permettre le déroulement serein de l'enquête interne rendue indispensable après la révélation de faits graves au sein du magasin où le salarié était affecté, qu'elle n'a duré que trois jours et n'a pas entraîné de modification durable du contrat de travail de l'intéressé et que, dès les résultats de l'enquête interne, le salarié a été convoqué à un entretien préalable, puis licencié, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [L] aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit mars deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Ohl et Vexliard, avocat aux Conseils, pour M. [L].
En ce que l'arrêt infirmatif attaqué a dit le licenciement de Monsieur [L] justifié par une cause réelle et sérieuse et, partant, l'a débouté de toutes ses demandes indemnitaires à l'exception de sa demande pour irrégularité de la procédure de licenciement ;
AUX MOTIFS QUE sur la mise en disponibilité, l'employeur peut prendre, préalablement à la procédure de licenciement, des mesures provisoires adaptées destinées à garantir les intérêts de l'entreprise pourvu qu'il n'en résulte pas, sans accord du salarié, une modification durable du contrat de travail. Par courrier du 20 octobre 2011, la SA Auchan a notifié à Monsieur [L] sa mise en disponibilité avec maintien de sa rémunération. Cette mesure a été prise après la révélation par un salarié démissionnaire d'une politique de harcèlement de la part de la direction de cet établissement. Or, il est constant qu'en sa qualité de contrôleur de gestion, ainsi que le précise sa fiche de fonction, Monsieur [L] faisait partie de l'équipe de direction. Il était membre du comité de direction de l'établissement. C'est lui qui s'occupait de tous les recrutements de cet établissement. Son supérieur hiérarchique direct était le directeur du magasin, gravement mis en cause et dont il était très proche. Sa mise en disponibilité a été décidée pour le temps de l'enquête interne menée par la direction de la société, et de l'audition des salariés par Maître [V], huissier de justice. Il en résulte que cette mesure était justifiée par la nécessité de garantir la liberté de parole des salariés qui souhaitaient témoigner. Elle était également justifiée pour garantir les intérêts de l'employeur qui devait faire la lumière sur la réalité et l'ampleur des faits dénoncés. Enfin, cette mise en disponibilité était adaptée car elle permettait un éloignement provisoire de Monsieur [L], sans porter atteinte ni à sa carrière, ni à sa rémunération. Dès les résultats de l'enquête interne, par courrier du 24 octobre 2011, Monsieur [L] a été convoqué à l'entretien préalable à un éventuel licenciement. Ce même courrier lui notifiait sa mise à pied à titre conservatoire. Il a été licencié le 24 novembre 2011. Cette mise en disponibilité n'a donc eu qu'une durée très limitée de trois jours et n'a pas entraîné une modification durable du contrat de travail de l'intéressé. En conséquence, la mise en disponibilité provisoire, décidée par l'employeur dans l'attente de l'engagement d'une procédure disciplinaire, ne constitue pas une sanction disciplinaire dès lors qu'elle a eu pour seul objet de permettre le déroulement serein de l'enquête interne rendue indispensable après la révélation de faits graves au sein du magasin où le salarié était affecté. Au surplus, l'intimé a été licencié sur la base des éléments recueillis par l'enquête interne, soit après la notification de sa mise en disponibilité. Le jugement sera réformé sur ce point. (…)
3°) Sur la rupture du contrat de travail : Il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige et de former sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, conformément aux dispositions de l'article L 1235-1 du code du travail. Le licenciement pour une cause inhérente à la personne du salarié doit être fondé sur des éléments objectifs. La lettre de licenciement est ainsi motivée : « Pour faire suite à l'entretien préalable qui s'est tenu la 3 novembre 2011, au cours duquel vous étiez assisté par Monsieur [H] [G], nous vous notifions, par la présente, votre licenciement pour cause réelle et sérieuse pour les motifs suivants. Nous vous rappelons, qu'en application de l'article L 4122-1 du code du travail, il appartient à chaque travailleur de prendre soin de la santé et de la sécurité des autres personnes concernées par ses actes ou omissions au travail. De ces dispositions générales, il résulte l'obligation, pour chaque membre de l'encadrement, de mettre en oeuvre des méthodes de management et plus généralement, d'adopter en toutes circonstances un comportement propre à préserver la santé de ses collaborateurs et des autres salariés de l'entreprise avec lesquels ses fonctions le mettent en relation. Ce faisant, il incombe donc à chaque membre de l'encadrement, de contribuer au respect de l'obligation de sécurité de résultat qui lie contractuellement l'entreprise à chacun de ses salariés et dont l'effectivité doit être assurée en permanence. Au-delà des comportements qui sont susceptibles de répondre à la qualification de harcèlement moral, sont donc fautifs, tous les comportements managériaux qui caractérisent une violation des dispositions de l'article L 4122-1 du code du travail. En votre qualité de contrôleur de gestion, il vous incombait : d'adopter vous-même un comportement conforme à ces exigences légales dont la violation est potentiellement une source de dégradation des résultats du magasin que vous aviez précisément pour mission générale d'optimiser; - et de ne pas cautionner, par votre attitude, des comportements de cette nature. L'enquête approfondie, réalisée au sein de l'établissement, a mis en lumière des violations graves et répétées de ces différentes obligations, en ce qui vous concerne. Au mépris de vos obligations, vous avez cautionné, par votre comportement, les méthodes managériales inacceptables de votre directeur, dont la révélation a justifié le licenciement pour faute grave. Il est notamment établi que: - vous avez apporté votre concours actif à des pratiques dont l'objectif était manifestement étranger au bon fonctionnement de l'entreprise et qui relevaient d'une exécution gravement fautive, par Monsieur [P], de ses prérogatives au détriment, notamment, de celles du comité de direction de l'établissement ; - vous avez personnellement contribué à la mise à l'écart de collaborateurs qui étaient victimes de Monsieur [O] [P], en cessant de les saluer et de leur parler; vous avez également personnellement contribué à écarter des candidatures féminines qui vous étaient soumises au motif du «'physique'» des intéressées, ce qui caractérise une discrimination prohibée par le code du travail et sanctionnée par le code pénal; vous avez personnellement donné des instructions de nature à mettre en difficulté des collaborateurs qui étaient victimes de Monsieur [O] [P], notamment en imposant à une collaboratrice de voyager seule avec Monsieur [P] alors qu'elle vous avait signifié être en situation de peur. Par votre comportement, vous avez ainsi manqué aux obligations de votre fonction, ce que vous avez d'ailleurs reconnu lors de l'entretien, en admettant qu'il était «'fou'» de «'reproduire le mode managérial'» de Monsieur [O] [P], et que ce dernier vous avait «entubé», pour reprendre le terme que vous avez vous-même employé. (') Dans ce contexte, vous portez donc une part de responsabilité importante dans la dégradation des conditions de travail des collaborateurs et dans les conséquences qui n'ont pas manqué d'en résulter pour leur santé. Vous avez également exposé la société à des risques de contentieux, au titre desquels sa responsabilité civile, voire pénale, pourrait se trouver engagée. Enfin, ces événements ont reçu, dans la presse, une publicité qui nuit gravement à l'image de l'entreprise. Au vu de ce qui précède, nous avons pris la décision de vous licencier pour cause réelle et sérieuse. (...)» ; (…) qu'il résulte de l'ensemble des pièces versées aux débats que Monsieur [L] qui était le numéro 2 du magasin de [Localité 1], travaillait en très étroite collaboration avec le directeur et avait connaissance des méthodes managériales très contestables de ce dernier. Non seulement il n'a pas usé du contre-pouvoir dont il était investi, selon sa fiche de poste, pour mettre fin à ces pratiques et protéger les salariés de l'établissement, mais encore, il a essayé d'excuser le comportement de son directeur, voire de la couvrir en faisant pression sur ses subordonnés. En agissant de la sorte, il a mis en danger tant la santé physique que mentale des salariés, en contravention avec l'article L 4121-1 du code du travail et ses obligations contractuelles. Ces faits constituent une cause réelle et sérieuse à son licenciement. Le jugement sera réformé en toutes ses dispositions (arrêt, pages 4 à 6) ;
1°/ Alors qu'aux termes de l'article L. 1331-1 du code du travail, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ; qu'en statuant comme elle l'a fait par les motifs inopérants que la mise en disponibilité de Monsieur [L] n'aurait porté atteinte ni à sa carrière, ni à sa rémunération, sans procéder à aucune analyse des termes de la lettre du 20 octobre 2011 notifiant cette mise en disponibilité et sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ces termes, qui ne comportaient aucune référence, ni à l'engagement d'une procédure disciplinaire, ni à la mise en oeuvre d'une procédure interne mais visaient tout au contraire les « éléments et informations que nous avons en notre possession » comme étant de nature à justifier la mesure ainsi décidée n'étaient pas caractéristiques d'une sanction disciplinaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions du texte susvisé ;
2°/ Et alors que qu'aucun fait fautif ne pouvant donner lieu à double sanction, la cour d'appel, faute d'avoir légalement justifié le caractère prétendument seulement conservatoire de la mise en disponibilité notifiée à Monsieur [L], n'a pas davantage légalement justifié sa décision de retenir que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, de sorte qu'elle a encore privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article L. 1331-1 du code du travail.