LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme [E], engagée le 3 juin 2002 en qualité d'assistante de gestion par la société AAZ Miroiterie Agencement (AZED), dont M. [V] est le gérant, a été licenciée le 6 mai 2014 en raison de son inaptitude prononcée par la médecine du travail et de l'impossibilité d'un reclassement ; que, se plaignant d'être victime de harcèlement moral et de harcèlement sexuel de la part de son employeur, elle a saisi la juridiction prud'homale pour contester ce licenciement ;
Sur le premier moyen :
Vu l'article 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable ;
Attendu que pour dire que la salariée a été victime de harcèlement moral et sexuel et que son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement est nul, l'arrêt retient que les attestations produites par la salariée n'apportent aucune information quant à l'attitude et les propos de M. [V] à son égard, que le harceleur étant précisément le « patron » de Mme [E] dans une micro entreprise où les salariés tous masculins sont en fait la journée sur les chantiers, il ne peut être reproché à la salariée de ne pas avoir avisé son employeur des faits de harcèlement sexuel dont elle faisait l'objet, que sa situation isolée la plaçait nécessairement dans une position délicate, y compris pour rapporter la preuve des agissements de M. [V] qui cumulait la double identité d'employeur et de harceleur et que les attestations communiquées par la société AZED émanent en réalité de deux personnes extérieures à l'entreprise qui n'étaient donc pas en permanence dans le bureau de Mme [E], d'un ouvrier qui indique être salarié de la société AZED depuis 20 ans qui n'était par conséquent qu'occasionnellement dans le bureau de Mme [E] pour des problèmes administratifs et enfin de M. [Q] [V] dont le lien et la communauté d'intérêts professionnels avec [B] [V] incitent à prendre avec la plus grande réserve son témoignage destiné à innocenter ce dernier ;
Qu'en statuant ainsi, sans constater que la salariée doit établir des faits qui, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 novembre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne Mme [E] aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, signé et prononcé par Mme Slove, conseiller, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du président et du conseiller rapporteur empêchés, en son audience publique du vingt-deux mars deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société AAZ miroiterie agencement
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que Melle [E] avait été victime de harcèlement moral et sexuel au cours des années 2011 à 2013 et d'avoir condamné en conséquence la société Azed à lui verser les sommes de 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de prévenir des actes de harcèlement et de 1 500 € au titre des frais irrépétibles ;
AUX MOTIFS QUE les attestations produites par la salariée dans le cadre de la présente instance n'apportent aucune information quant à l'attitude et les propos de M. [V] à son égard et aucune de ces attestations n'émane des personnes qu'elle avait citées dans ses dépôts de plaintes à la police ; que M. [S] [L], commercial et selon l'appelante co-gérant, qui partageait son bureau, qu'elle cite comme ayant pu assister à des scènes en précisant toutefois « je ne sais pas s'il a pu voir ou entendre des choses » n'a pas délivré d'attestation ; qu'au cours de son audition par la police au commissariat de [Localité 1], elle avait déclaré être la seule femme dans l'entreprise, qu'il y avait des périodes d'accalmie après qu'elle lui ait dit qu'il n'avait pas à lui parler comme ça et qu'elle lui avait toujours fait retirer ses mains mais que ça recommençait et qu'elle allait au travail la boule au ventre ; que le harceleur étant précisément le « patron » de Melle [V] [E] dans une micro entreprise où les salariés tous masculins étaient en fait la journée sur les chantiers, la cour considère qu'il ne peut être reproché à la salariée de ne pas avoir avisé son employeur des faits de harcèlement sexuel dont elle faisait l'objet ; qu'elle reconnaît que les propos et gestes déplacés se calmaient par intermittence ce qui était de nature à lui faire prendre patience et à hésiter à déposer plainte ; que la situation isolée de la salariée la plaçait nécessairement dans une situation délicate y compris pour rapporter la preuve des faits des agissements de M. [B] [V] qui cumulait la double identité d'employeur et de harceleur ; que les attestations communiquées par la SARL AAZ Miroiterie agencement (Azed) émanent en réalité de deux personnes extérieures à l'entreprise (Mme [A] [F] et Mme [H] [H] qui n'étaient donc pas en permanence dans le bureau de Melle [V] [E]), d'un ouvrier qui indique être salarié de la SARL AAZ Miroiterie agencement (Azed) depuis 20 ans qui n'était par conséquent qu'occasionnellement dans le bureau de Melle [V] [E] pour des problèmes administratifs et enfin de M. [Q] [V] dont le lien et la communauté d'intérêts professionnels avec [B] [V] incite à prendre avec la plus grande réserve son témoignage destiné à innocenter ce dernier ; qu'eu égard à l'ensemble de ces éléments, la cour considère que Melle [V] [E] a été victime de harcèlement moral et sexuel au cours des années 2011 à 2013 et qu'il convient d'infirmer le jugement ;
ALORS, D'UNE PART, QU'aux termes de l'article L.1154-1 du code du travail, en cas de litige relatif à l'application des articles L.1153-2 et L.1152-1, c'est au salarié concerné qu'il incombe d'établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, et à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les attestations produites par la salariée n'apportaient aucune information quant à l'attitude et aux propos de M. [V] à son égard et qu'aucune de ces attestations n'émanait des personnes qu'elle avait citées dans ses dépôts de plainte à la police (arrêt p. 5, § 1) ; que dès lors, en examinant, pour les écarter, les éléments de preuve communiqués par la société Azed, quand elle la salariée, qui n'avait produit aucun autre élément que ces attestations, n'avait pas satisfait à la preuve préalable qui lui incombait, la cour a d'ores et déjà violé l'article L.1154-1 du code du travail ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE si, aux termes de l'article L.1154-1 du code du travail, la preuve est « allégée » pour le salarié, il doit cependant impérativement établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; que la cour d'appel, bien que constatant que les attestations produites par Melle [E] n'apportaient aucune information quant à l'attitude et aux propos de M. [V] à son égard et qu'aucune de ces attestations n'émanait des personnes qu'elle avait citées dans ses dépôts de plainte à la police (arrêt p. 5, § 1), a néanmoins retenu pour conclure à l'existence d'un harcèlement moral et sexuel que « la situation isolée de la salariée la plaçait nécessairement dans une situation délicate y compris pour rapporter la preuve des faits des agissements de M. [V] » ; qu'en statuant de la sorte alors qu'elle constatait elle-même l'incapacité de la salariée à apporter la preuve préalable qui lui incombait, la cour d'appel a encore violé l'article L.1154-1 du code du travail ;
ET ALORS, ENFIN (et subsidiairement), QU'en concluant à la fois à l'existence d'un harcèlement moral et d'un harcèlement sexuel subi par Melle [E] au cours des années 2011à 2013, sans caractériser ce qui lui permettaient de conclure que l'une et l'autre de ces qualifications distinctes étaient acquises en l'occurrence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 152-1 et L.1153-1 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de Melle [E] était nécessairement en relation directe avec les faits de harcèlement subis, d'en avoir conclu qu'il était nul et d'avoir en conséquence condamné la société Azed à lui verser les sommes de 5 359,06 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de 535,90 € au titre des congés payés afférents, de 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et de 1 500 € au titre des frais irrépétibles ;
AUX MOTIFS QU'eu égard aux certificats médicaux dont la sincérité ne peut être remise en cause compte tenu du contexte de l'affaire et le refus de prise en charge par la Caisse primaire d'Assurance maladie de la déclaration d'AT du 16 juillet 2013 au titre des maladies d'origine professionnelle étant indifférent quant à l'appréciation de la réalité des faits de harcèlement par la cour, il convient de juger que l'inaptitude prononcée pour danger immédiat par le médecin du travail est nécessairement en relation directe avec les faits de harcèlement subis par la salariée sur son lieu de travail de sorte que le licenciement prononcé par l'employeur pour inaptitude et impossibilité de reclassement est nul ;
ALORS, D'UNE PART, QUE ces motifs seront censurés par voie de conséquence de la cassation à intervenir sur le premier moyen, par application de l'article 625 du code de procédure civile.
ET ALORS, D'AUTRE PART (et subsidiairement), QU'une faute ou une négligence commise à l'occasion de l'exécution du contrat de travail ne peut engager la responsabilité de l'employeur que si sont établies à la fois l'existence de cette faute ou de cette négligence, le dommage qui en serait résulté pour le salarié ainsi que le lien de causalité entre la faute et le dommage ; que la cour d'appel s'est bornée, en l'espèce, à affirmer que l'inaptitude de Melle [E] aurait été « nécessairement » en relation directe avec les faits de harcèlement subis, de sorte que son licenciement serait nul, sans cependant caractériser le lien de causalité entre les agissements imputés à l'employeur et cette inaptitude ; qu'en statuant de la sorte, elle a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du code civil, L. 1152-1 et L. 1226-2 du code du travail.