LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- M. Christian X...,- M. Yoann Y...,
contre :- l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble, en date du 22 janvier 2015, qui, dans la procédure suivie contre eux du chef de diffamation publique envers un particulier et complicité, a prononcé sur leur requête en annulation d'actes de la procédure ;
- l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 16 novembre 2015, qui, dans la même procédure, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 23 mai 2017 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Parlos, conseiller rapporteur, M. Straehli, Mme Durin-Karsenty, M. Larmanjat, Ricard, Bonnal, Mme Ménotti, conseillers de la chambre, M. Talabardon, Ascensi, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Lagauche ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de M. le conseiller PARLOS, les observations de la société civile professionnelle ROCHETEAU et UZAN-SARANO, de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAGAUCHE ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires communs aux demandeur et le mémoire en défense produits ;
Sur le premier moyen de cassation, dirigé contre l'arrêt en date du 22 janvier 2015, pris de la violation des articles 29, 32, 35, 50 et 55 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 170 à 174-1, 194, 197, 198, 199, 206, 216, 217, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a débouté MM. Y... et X... de leur demande tendant à voir prononcer la nullité de la plainte avec constitution de partie civile et de toute la procédure ultérieure ;
" aux motifs que, sur la nullité de la plainte avec constitution de partie civile au regard de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881, la plainte avec constitution de partie civile a été déposée pour le compte de M. Julien D... et de la SARL Circuit de Glace de Serre Chevalier Compétition Service ; qu'elle se termine par ces mots : " En cet état, M. Julien D... et la SARL Circuit de Glace de Serre Chevalier Compétition Service, par l'intermédiaire de son dirigeant M. Julien D... sont bien fondés à porter plainte en diffamation publique et injure publique... " ; que la terminologie utilisée dans le sein de la plainte, et qui ne reprend pas systématiquement, à chaque occurrence, le nom de la personne physique et celui de la personne morale, M. D... étant tout à la fois victime personne physique et représentant de la personne morale, également victime, n'est pas de nature à avoir causé une incertitude sur l'identité des personnes victimes et plaignantes ; que la mention selon laquelle l'extrait " cet indicateur est de nature à semer le trouble, quant à la rentabilité économique de la société ", qualifiée d'erronée, et celle attachée à l'extrait suivant " la justice ordonne l'expulsion de la SARL Circuit de Glace ", qualifiée de copié-collé des demandes des communes, et insérée dans l'allégation générale de contre-vérité, suffit à satisfaire aux exigences qualification de diffamation ; que, enfin, si en matière de presse, est nul le réquisitoire ou la plainte avec constitution de partie civile retenant pour le même fait la qualification d'injure ou de diffamation, satisfont aux exigences de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881 la plainte avec constitution de partie civile et le réquisitoire avec lequel elle se combine, qui articulent, qualifient les faits incriminés et énoncent le texte de loi applicable à la poursuite ; que tel est le cas en l'espèce ; qu'en effet, si dans leur plainte avec constitution de partie civile, les plaignants ont qualifié à la fois de diffamation et d'injure la formule " les communes s'interrogent d'ailleurs à ce jour sur l'utilisation de ces fonds ", telle n'a pas été la position du ministère public qui n'a visé dans son réquisitoire introductif que la seule infraction de diffamation commise envers un particulier, rectifiant sur ce point la plainte, et faisant bloc avec elle, tout comme il la complétait sur la partie " karting " en faisant référence expressément à l'audition du 2 juin 2014 ; que la demande en nullité de ce chef sera en conséquence rejetée ; Sur la prescription de l'action publique ; que les demandeurs prétendent que l'action publique serait prescrite parce que la plainte déposée serait nulle pour violation de l'article 50, tel qu'exposé ci-dessus ; qu'une plainte nulle ne peut interrompre la prescription de l'action publique ; que la plainte a été régularisée, sur les points discutés, par le réquisitoire introductif, dès lors que le délai de prescription de l'action publique a été interrompu et par la plainte avec constitution de partie civile et par ledit réquisitoire ;
" alors que, si une plainte incomplète ou irrégulière peut être validée par le réquisitoire introductif, c'est à la double condition qu'il soit lui-même conforme aux prescriptions de l'article 50 de la loi sur la liberté de la presse et qu'il soit intervenu dans le délai de la prescription que la plainte entachée de nullité n'a pas interrompue ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction a constaté que la plainte avec constitution de partie civile qualifiait à la fois de diffamation et d'injure les propos publiés le 19 janvier 2014 ; que le réquisitoire introductif qui aurait parfait cette plainte en qualifiant exclusivement les propos litigieux de diffamation est intervenu le 27 juin 2014, soit plus de trois mois après la parution de l'article objet de la poursuite ; qu'en jugeant qu'un tel réquisitoire pouvait parfaire la plainte et, en conséquence, permettre d'écarter l'exception de prescription, la chambre de l'instruction qui n'a pas tiré les conséquences légales s'évinçant de ses propos constatations, a violé les textes susvisés " ;
Vu l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881 ; Attendu que, d'une part, si l'action publique est mise en mouvement par la plainte avec constitution de partie civile dès que la consignation a été versée, encore faut-il, en cas d'infraction à la loi du 29 juillet 1881, que ladite plainte réponde aux exigences de l'article 50 de la loi précitée, lesquelles sont prescrites à peine de nullité de la poursuite ; qu'une telle nullité est d'ordre public ;
Attendu que, d'autre part, si une plainte incomplète ou irrégulière peut être complétée par le plaignant ou validée par le réquisitoire introductif, c'est à la double condition que cet acte soit lui-même conforme aux prescriptions de l'article 50 de la loi sur la liberté de la presse et qu'il soit intervenu dans le délai de la prescription que la plainte entachée de nullité n'a pas interrompu ;
Attendu qu'il résulte des arrêts attaqués et des pièces de la procédure qu'à la suite de la publication, dans le journal Le Dauphiné libéré du 19 janvier 2014, d'un article relatif à un circuit de course automobile sur glace et à l'emploi de la contribution de communes pour sa création, comprenant les passages suivants : " les communes s'interrogent d'ailleurs à ce jour sur l'utilisation de ces fonds dans la mesure où aucun bilan justifiant de l'utilisation de ces fonds publics ne leur a été adressé ", " cet indicateur est de nature à semer le trouble quant à la rentabilité économique de la société ", " l'installation de Julien D... au Canada a d'ailleurs intrigué la cour d'appel de Grenoble qui s'étonnait, le 11 novembre 2013, de ses moyens financiers pour ouvrir une entreprise à l'étranger alors qu'il a toujours prétexté ne pas avoir les moyens de mettre aux normes le circuit de glace de Serre Chevalier ", " la Justice ordonne l'expulsion de la Sarl Circuit de glace-Dans son jugement du 19 novembre 2013, la cour d'appel ordonne l'expulsion de la Sarl Circuit de Glace de Serre Chevalier pour les motifs suivants : la société « n'a pas réalisé l'ensemble des travaux de sécurité et d'équipements prévus au contrat ; n'a pas réalisé le rehaussement des gradins pour les spectateurs prévu au contrat, ceux-ci sont même inexistants ; n'a pas réalisé l'embellissement du site par engazonnement prévu au contrat ; a manqué à son obligation d'entretien de l'installation ; sous-loue irrégulièrement une partie des locaux à une société dont l'activité n'entre pas dans le cadre des activités autorisées au bail ; exploite sur le site une activité de restauration non prévue au bail ", " le 16 octobre 2010, Julien D..., le gérant du circuit, a signé un compromis de cession de ses droits au bail à construction à un promoteur immobilier.... alors que les terrains ne lui appartiennent pas ! Julien D... a fait des excuses (..) ", M. D... et la société circuit de glace de Serre Chevalier compétition service (la société Circuit de glace), dont il était le gérant, ont déposé plainte et se sont constitués partie civile, le 17 avril 2014, des chefs de diffamation publique envers un particulier et injure publique ;
Attendu qu'après que le magistrat instructeur a procédé à leur audition, le 2 juin 2014, et que le procureur de la République a requis, le 27 juin suivant, l'ouverture d'une information du seul chef de diffamation publique envers un particulier, M. X..., directeur de publication, et M. Y..., journaliste, auteur de l'article litigieux, ont été mis en examen, respectivement, de ce chef et de complicité de diffamation publique envers un particulier ; que l'avis de fin d'information ayant été délivré le 21 juillet 2014, ils ont présenté, le 21 octobre suivant, une requête en annulation de la plainte ainsi que des procès-verbaux des interrogatoires de première comparution et des pièces ultérieures de la procédure ;
Attendu que, renvoyés devant le tribunal correctionnel, le directeur de publication et le journaliste ont été relaxés par les premiers juges ; que les parties civiles ont, seules, relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour rejeter la requête en annulation de la plainte initiale et l'exception de prescription de l'action publique en résultant, l'arrêt en date du 22 janvier 2015, après avoir relevé que, le 2 juin 2014, le juge d'instruction a procédé à l'audition de M D..., partie civile et gérant de la société Cirque de glace, qui, sur la demande du magistrat, précisait que les propos incriminés au titre de la diffamation publique envers un particulier et de l'injure publique ressortissaient à la première de ces deux qualifications, énonce que, si dans leur plainte avec constitution de partie civile, les plaignants ont qualifié à la fois de diffamation et d'injure la formule " les communes s'interrogent d'ailleurs à ce jour sur l'utilisation de ces fonds ", telle n'a pas été la position du ministère public qui n'a visé dans son réquisitoire introductif que la seule infraction de diffamation commise envers un particulier, rectifiant sur ce point la plainte, et faisant bloc avec elle ; que les juges ajoutent que la plainte a été régularisée, sur les points discutés, par le réquisitoire introductif, le délai de prescription de l'action publique ayant été interrompu par la plainte avec constitution de partie civile et par ledit réquisitoire ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que la plainte était nulle dès lors qu'elle laissait incertaine la qualification retenue par les plaignants et que l'audition des parties civiles ainsi que le réquisitoire introductif du procureur de la République n'étaient pas susceptibles de pallier les insuffisances de la plainte, étant intervenus plus de trois mois après que les propos ont été rendus publics, les juges ont méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus rappelés ;
Que, dès lors, la cassation est encourue de ce chef et entraîne par voie de conséquence la cassation de l'arrêt du 16 novembre 2015 ; que n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen dirigé contre l'arrêt en date du 22 janvier 2015 :
CASSE et ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts susvisés de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble, en date du 22 janvier 2015, et de la cour d'appel de Grenoble, en date du 16 novembre 2015 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres des greffes de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble et de la cour d'appel de Grenoble et sa mention en marge ou à la suite des arrêts annulés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit juin deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.