LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par Mme X... que sur le pourvoi incident relevé par Mme Y..., en qualité de liquidateur de M. Z... ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 15 février 2011, pourvoi n° 10-12.747), que Mme X..., propriétaire d'un local donné à bail commercial à M. Z..., a, par acte d'huissier de justice du 20 mars 1995, fait commandement à ce dernier de payer un arriéré de loyers, en visant la clause résolutoire stipulée au bail ; qu'une ordonnance de référé prononcée le 16 janvier 1996 a constaté l'acquisition de cette clause au 20 avril 1995 ; que le preneur en a relevé appel avant d'être mis en liquidation judiciaire par jugement du 3 octobre 1997 ; que, par arrêt du 29 janvier 2002, la cour d'appel a confirmé l'ordonnance de référé ; que le liquidateur a alors assigné Mme X... en paiement d'une indemnité d'éviction ; que l'arrêt qui a rejeté la demande a été cassé au motif que la clause résolutoire n'étant pas acquise avant le jugement d'ouverture de la procédure, la résiliation du bail ne pouvait plus être constatée ; que devant la cour de renvoi, le liquidateur a maintenu sa demande ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au liquidateur la somme de 40 246 euros à titre de dommages- intérêts alors, selon le moyen, que le droit au procès équitable consacré par l'article 6 § 1er de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique la possibilité de faire exécuter la décision obtenue dans un délai raisonnable, sans s'exposer à des conséquences graves ; qu'en condamnant néanmoins Mme X... à supporter les conséquences de l'exécution de l'ordonnance de référé du 16 janvier 1996, qui avait constaté la résiliation du bail qu'elle avait consenti à M. Z... en application de la clause résolutoire qu'il contenait, bien qu'elle ait elle-même relevé que cette ordonnance avait été confirmée par un arrêt du 29 janvier 2002 et que le mandataire liquidateur du preneur n'avait agi au fond que par acte du 27 janvier 2004 en ne se prévalant ainsi que 8 ans après la première décision de la suspension des effets de la clause résolutoire résultant du prononcé de la liquidation le 3 octobre 1997, Mme X... soulignant que ce liquidateur s'était désisté du pourvoi qu'il avait formé contre l'arrêt du 29 janvier 2002, la Cour d'appel a violé l'article 6 § 1er de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni de ses conclusions devant la cour d'appel que Mme X... ait soutenu que sa condamnation à payer une indemnité au liquidateur porterait une atteinte disproportionnée à son droit, protégé par l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'obtenir dans un délai raisonnable l'exécution de l'ordonnance de référé du 16 janvier 1996 ayant constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail ; que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit et, comme tel, irrecevable ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa première branche :
Vu l'article 16 du code de procédure civile ;
Attendu que pour limiter la condamnation de Mme X... à la somme de 40 246 euros, l'arrêt retient que la mise à exécution provisoire par Mme X... de l'ordonnance de référé du 16 janvier 1996, non passée en force de chose jugée puisque frappée d'appel, a simplement fait perdre au liquidateur une chance de céder au profit de la procédure collective le fonds de commerce, en ce compris le droit au bail ;
Qu'en statuant ainsi, sans avoir invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen qu'elle relevait d'office, tiré de ce que le préjudice indemnisable s'analysait en une perte de chance, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne Mme X... à payer à Mme Y..., en qualité de liquidateur de M. Z..., la somme de 40 246 euros, l'arrêt rendu le 13 décembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à Mme Y..., en qualité de liquidateur, la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept septembre deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour Mme X...
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné Madame X... à payer à Maître Y..., ès qualités, la somme de 40.246 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal ;
AUX MOTIFS QUE « Nicole X..., en ayant fait délivrer le 8 février 1996 à Patrick Z..., un commandement de quitter les lieux, a poursuivi, à ses risques et périls, l'exécution provisoire de l'ordonnance de référé du 16 janvier 1996 frappée d'appel dès le 2 février 1996, Si tel n'avait pas été le cas, le bail aurait perduré jusqu'à l'ouverture de la liquidation judiciaire de Patrick Z... avant laquelle la présente Cour d'appel n'avait pas statué sur l'ordonnance de référé du 16 janvier 1996 et après laquelle elle ne pouvait plus le faire en vertu des principes précités.
En vertu de l'article L. 622-13 alinéa 2 ancien du Code de commerce, le liquidateur judiciaire peut continuer le bail des immeubles affectés à l'activité de l'entreprise ou le céder dans les conditions prévues au contrat conclu avec le bailleur.
Il s'en déduit que la mise à exécution provisoire, par Nicole X..., de l'ordonnance de référé du 16 janvier 1996 non passée en force de chose jugée puisque frappée d'appel, a provoqué la perte du fonds de commerce de Patrick Z... et a donc fait perdre à Maître Y..., ès qualités, une chance de céder ledit fonds, y compris, essentiellement, le droit au bail au profit de la procédure collective, s'agissant de la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable.
Par les motifs énoncés supra (§1) Nicole X... fait valoir, de manière inopérante, que « la clause résolutoire ayant opéré ses effets et le juge des référés l'ayant simplement constaté, Patrick Z... a perdu le bénéfice du droit au renouvellement du bail et la demande d'indemnisation pour perte de la propriété commerciale ne pourra qu'être rejetée ».
En droit, la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
Maître Y..., ès qualités, à l'appui de sa demande d'indemnisation, produit deux mandats de vente de son fonds de commerce conférés par Patrick Z... les 21 et décembre 1995 à deux agents d'affaires au prix de 400.000 francs net vendeur (soit 60.979,67 euros).
Dans la mesure où, d'une part, la mise à prix d'un bien ne reflète pas nécessairement sa valeur vénale et le prix susceptible d'être obtenu après négociation de l'acquéreur potentiel, et où, d'autre part, la valeur du fonds de commerce ne se confond pas avec la valeur du droit au bail, même si ce droit constitue un élément essentiel du fonds, il y a lieu d'apprécier à 60%
la perte de chance subie par Maître Y... ès qualités de céder le droit au bail dont était titulaire Patrick Z... et d'en liquider l'indemnisation à 40.246 euros » ;
1°) ALORS QUE le droit au procès équitable consacré par l'article 6 § 1er de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique la possibilité de faire exécuter la décision obtenue dans un délai raisonnable, sans s'exposer à des conséquences graves ; qu'en condamnant néanmoins Madame X... à supporter les conséquences de l'exécution de l'ordonnance de référé du 16 janvier 1996, qui avait constaté la résiliation du bail qu'elle avait consenti à Monsieur Z... en application de la clause résolutoire qu'il contenait, bien qu'elle ait elle-même relevé que cette ordonnance avait été confirmée par un arrêt du 29 janvier 2002 et que le mandataire liquidateur du preneur n'avait agi au fond que par acte du 27 janvier 2004 en ne se prévalant ainsi que 8 ans après la première décision de la suspension des effets de la clause résolutoire résultant du prononcé de la liquidation le 3 octobre 1997, Madame X... soulignant que ce liquidateur s'était désisté du pourvoi qu'il avait formé contre l'arrêt du 29 janvier 2002, la Cour d'appel a violé l'article 6 § 1er de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, l'indemnisation de la perte d'une chance ne peut être fixée à une somme forfaitaire et doit correspondre à la fraction des différents chefs de préjudice supportés par la victime ; qu'en fixant à la somme de 40.246 euros la réparation du préjudice constitué par la perte d'une chance de pouvoir vendre son fonds de commerce sans évaluer, au préalable, le montant total du préjudice subi par Maître Y..., ès qualités, la Cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice et l'article 1382 du Code civil ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, la Cour d'appel a constaté que Monsieur Z... avait donné mandat de vendre son fonds de commerce à la somme de 60.979,67 euros net vendeur et jugé que « la mise à prix d'un bien ne reflète pas nécessairement sa valeur vénale et le prix susceptible d'être obtenu après négociation de l'acquéreur potentiel, et [que] la valeur du fonds de commerce ne se confond pas avec la valeur du droit au bail, même si ce droit constitue un élément essentiel du fonds » (arrêt p.5, al. 7, souligné par nous) ; qu'en jugeant, dès lors, que le préjudice global de Maître Y... se serait élevé à la somme de 60.979,67 euros et que c'est sur cette somme qu'il y avait lieu d'appliquer le taux de perte de chance de 60% « subi par Maître Y... ès qualités de céder le droit au bail dont était titulaire Patrick Z... » et, en conséquence, de lui allouer la somme de « 40.246 euros », la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1382 du Code civil ;
4°) ALORS QU'en toute hypothèse, 60% de 60.979,67 euros équivaut à la somme de 36.587,80 euros et non pas à celle de « 40.246 euros » ; qu'en jugeant, après avoir constaté que Monsieur Z... avait mis son fonds de commerce en vente au prix de 60.979,67 euros et affirmé qu'« il y a lieu d'apprécier à 60% la perte de chance subie par Maître Y... ès qualités de céder le droit au bail dont était titulaire Patrick Z... » que l'indemnité revenant à Maître Y... s'élevait à la somme de « 40.246 euros », la Cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
5°) ALORS QU'en toute hypothèse, en retenant, d'une part, que Maître Y... devait être indemnisée d'une perte de chance de 60% d'obtenir un prix de cession de 60.979,67 euros, ce qui représente une somme de 36.587,80 euros, tout en lui accordant, d'autre part, une somme de 40.246 euros, la Cour d'appel s'est contredite, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile.
Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour Mme Y..., ès qualités,
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir limité la condamnation de Mme X... à payer à Me Y..., ès-qualités, la somme de 40.246 € à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal à compter de la décision ;
AUX MOTIFS QUE « Nicole X..., en ayant fait délivrer le 8 février 1996 à Patrick Z..., un commandement de quitter les lieux, a poursuivi à ses risques et périls, l'exécution provisoire de l'ordonnance de référé du 16 janvier 1996 frappé d'appel dès le 2 février 1996 ; que si tel n'avait pas été le cas, le bail aurait perduré jusqu'à l'ouverture de la liquidation judiciaire de Patrick Z... avant laquelle la présente Cour d'appel n'avait pas statué sur l'ordonnance de référé du 16 janvier 1996, et après laquelle elle ne pouvait plus le faire en vertu des principes précités ; qu'en vertu de l'article L. 622-13 alinéa 2 ancien du code de commerce, le liquidateur judiciaire peut continuer le bail des immeubles affectés à l'activité de l'entreprise ou le céder dans les conditions prévues au contrat conclu avec le bailleur ; qu'il s'en déduit que la mise à exécution provisoire, par Nicole X..., de l'ordonnance de référé du 16 janvier 1996, non passée en force de chose jugée puisque frappée d'appel, a provoqué la perte du fonds de commerce de Patrick Z... et a donc fait perdre à Me Y..., ès qualités, une chance de céder ledit fonds, y compris, essentiellement, le droit au bail au profit de la procédure collective, s'agissant de la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable ; que par les motifs énoncés supra (§1), Nicole X... fait valoir, de manière inopérante, que « la clause résolutoire ayant opéré ses effets et le juge des référés l'ayant simplement constaté, Patrick Z... a perdu le bénéfice du droit au renouvellement du bail et la demande d'indemnisation pour perte de la propriété commerciale ne pourra qu'être rejetée » ; qu'en droit, la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; que Me Y..., ès-qualités, à l'appui de sa demande d'indemnisation, produit deux mandats de vente de son fonds de commerce conférés par Patrick Z... les 21 et 30 décembre 1995 à deux agents d'affaires au prix de 400.000 francs nets vendeur (soit 60.979,67 €) ; que dans la mesure où, d'une part, la mise à prix d'un bien ne reflète pas nécessairement sa valeur vénale et le prix susceptible d'être obtenu après négociation de l'acquéreur potentiel, et où, d'autre part, la valeur du fonds de commerce ne se confond pas avec la valeur du droit au bail, même si ce droit constitue un élément essentiel du fonds, il y a lieu d'apprécier à 60 % la perte de chance subie par Me Y..., ès-qualités, de céder le droit au bail dont était titulaire Patrick Z... et d'en liquider l'indemnisation à 40.246 € » ;
1°/ ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut fonder sa décision sur un moyen qu'il a relevé d'office, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, Me Y..., ès-qualités, sollicitait, dans ses conclusions d'appel, de voir « condamner Mme X... à payer à Me Y..., ès-qualités de liquidateur de M. Patrick Z..., la somme de 67.077,57 € correspondant à la valeur du droit au bail dont la liquidation judiciaire a été privée » ; que dans ses conclusions d'appel, Mme X... sollicitait uniquement de voir débouter Me Y..., ès-qualités, de ses demandes ; que pour limiter la condamnation de Mme X... au profit de Me Y..., ès-qualités, à la somme de 40.246 € à titre de dommages et intérêts, la cour d'appel a retenu que « la mise à exécution provisoire, par Mme X..., de l'ordonnance de référé du 16 janvier 1996, non passée en force de chose jugée puisque frappée d'appel, a provoqué la perte du fonds de commerce de Patrick Z... et a donc fait perdre à Me Y..., ès-qualités, une chance de céder ledit fonds, y compris, essentiellement, le droit au bail au profit de la procédure collective, s'agissant de la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable »; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel qui a relevé d'office, sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations, le moyen tiré de ce que le préjudice allégué par Me Y..., ès-qualités, consistait en une perte de chance de céder le droit au bail, la Cour d'appel a méconnu le principe du contradictoire et violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°/ ALORS QUE le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ; que les dommages et intérêts alloués à la victime doivent en conséquence réparer le préjudice subi, sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit, afin d'assurer une réparation intégrale ; qu'en l'espèce, qu'en limitant à 40.246 € la réparation allouée à Me X..., ès-qualités pour la « perte de chance…de céder le droit au bail dont était titulaire Patrick Z... », après avoir expressément retenu que « la mise à exécution provisoire, par Nicole X..., de l'ordonnance de référé du 16 janvier 1996, non passée en force de chose jugée puisque frappée d'appel, a provoqué la perte du fonds de commerce de Patrick Z... », de sorte que Mme X... avait causé à la liquidation judiciaire de M. Z... une préjudice équivalent soit à la valeur du fonds de commerce, soit à celle du droit au bail, dès lors que cette valeur constitue en toutes circonstances le plafond de l'indemnité d'éviction, la Cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil.