LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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M. Mohamed X..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 5 octobre 2016, qui l'a débouté de ses demandes après relaxe de M. Y... du chef de diffamation publique envers un particulier ; La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 14novembre 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme DURIN-KARSENTY , conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de Mme le conseiller DURIN-KARSENTY , les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de la société civile professionnelle DE CHAISEMARTIN et COURJON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Z... ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 29, § 1, 32, 43 et 46 de la loi du 29 juillet 1881, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé M. Y... des fins de la poursuite et débouté M. Mohamed X... de l'ensemble de ses demandes ;
"aux motifs que l'article 29, § 1, de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé », ledit fait devant être suffisamment précis pour pouvoir faire l'objet du débat sur la preuve de sa vérité organisé par les articles 35, 55 et 56 de cette loi ; que ce délit, qui est caractérisé même si l'imputation est formulée sous forme déguisée, dubitative ou par voie d'insinuations, se distingue ainsi d'appréciations purement subjectives ainsi que de l'injure, que l'alinéa 2 du même article 29 définit comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait » et doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s'inscrivent ; que la partie civile estime que le sous-titre « deux clans se disputent les avoirs [...] à Paris » constitue une grave accusation, puisque pour le lecteur, M. X... serait ainsi un homme oeuvrant pour un clan, et non pas pour l'Etat [...], qu'il a toujours servi ; que le désigner, qui plus est, comme un « des anciens du clan » de l'ex-dictateur, constitue une imputation complémentaire, nécessairement attentatoire à son honneur et à sa considération, en raison des critiques universelles qui ont précipité la chute de celui qui est communément présenté comme un tyran ; que le choix du mot « clan », outre son sens péjoratif usuel le rattachant à des groupes ou mafias souvent unis par les liens du sang, est parfaitement susceptible de permettre une offre de preuve ; qu'il s'agit bien d'un fait précis susceptible de faire l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire ; que, cependant, c'est à juste titre que le prévenu souligne que faire partie d'un « clan » n'est pas une imputation suffisamment précise pour être poursuivie sous une qualification de diffamation ; que quand bien même l'ancien dirigeant [...] serait communément présenté comme un dictateur ou un tyran, le seul fait de préciser que M. X... aurait compté parmi ses fidèles ou ceux de son fils ne saurait suffire à lui imputer la commission des actes dont l'ex-dictateur se serait lui-même rendu coupable ; qu'il convient donc de constater qu'aucun fait précis de nature à porter atteinte à son honneur et à sa considération n'est imputé à M. X... aux termes du sous-titre et du premier passage litigieux ; que la partie civile soutient que, dans le deuxième passage, le qualificatif d'« homme de paille de M. D..., fils de E... » le désigne comme prête-nom chargé d'endosser les responsabilités des turpitudes commises par un autre ; qu'il s'agit d'une accusation claire et précise et qui porte atteinte à son honneur et à sa considération, s'agissant de prêter son concours à des détournements de fonds publics en aidant à en masquer les bénéficiaires ; qu'en l'espèce, l'expression d'« homme de paille » est utilisée sans précision suffisante pour faire référence à un fait précis pouvant faire l'objet d'un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, que la cour retiendra donc l'analyse du conseil du prévenu estimant l'expression trop vague pour justifier la qualification de diffamation, d'autant qu'elle est utilisée au conditionnel ; que la partie civile estime qu'il est imputé à M. X..., dans les troisième et quatrième passages, de s'être livré à des détournements d'actifs (« loyers versés par la Fnac ») au préjudice de l'Etat [...], dont la réalité est renforcée par la conclusion affirmant que « le système a pris fin en 2011 » qui laisse entendre que de telles infractions pénales auraient perduré si l'embargo n'avait pas été mis en place ; que les accusations de « détournement des loyers » sont présentées comme des propos tenus par des tiers ; qu'il ressort des éléments extrinsèques contenus dans le reste de l'article que le trio accusateur serait composé de deux [...] et d'un [...] chargé de mettre la main sur les avoirs de l'ancien régime qui toucherait une commission de 10 % sur la valeur des actifs découverts ; que l'article précise que ces accusations sont jugées fantaisistes par le gestionnaire de l'immeuble ainsi que par l'avocat de C... qui qualifie le trio de « pieds-nickelés », dont il indique en fin d'article que leur action s'assimile à une tentative de « hold-up » ; qu'il ressort donc clairement de ce passage ainsi que de la question posée en fin de paragraphe que les auteurs de l'article n'imputent pas ces faits à la partie civile, mais transmettent des accusations et questionnements exprimés par des tiers auxquels ils n'accordent aucun crédit sérieux, compte tenu de la présentation qu'ils font de ce trio ; qu'en conséquence, ce troisième passage ne peut pas être considéré comme diffamatoire à l'égard de M. X... ; que le quatrième passage ne présente aucune imputation précise et n'évoque aucunement le rôle ou l'incidence de M. X... sur les faits évoqués, s'agissant du gel des avoirs [...] par l'Europe, et ne saurait donc être diffamatoire à son égard ; qu'aucun des passages poursuivis ne pouvant être qualifié de diffamatoire à l'égard de la partie civile, il convient de renvoyer le prévenu des fins de la poursuite ;
"1°) alors que toute allégation ou imputation d'un fait précis et déterminé, de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération d'autrui, est une diffamation, même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative, ou par voie d'insinuations ; qu'en statuant comme elle l'a fait, lors même que les propos incriminés imputaient notamment à M. X... d'avoir fait partie du clan d'un ex-dictateur, en l'occurrence le clan E..., d'avoir été de surcroît « l'homme de paille de M. D..., fils de E... », c'est-à-dire un exécutant servile d'un régime contesté, et surtout d'avoir détourné une partie des loyers versés à la Fnac et acheté dans le dos de l'Etat [...] des biens immobiliers par un système qui a nécessairement pris fin en 2011, en suggérant que ces détournements auraient servi des intérêts privés, fait portant incontestablement atteinte à l'honneur et à la considération de la partie civile compte tenu des circonstances intrinsèques mais aussi extrinsèques aux propos poursuivis tenant aux événements [...] de 2011 et à la réputation sulfureuse du régime instauré par M. E... jusqu'à cette date en [...], la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus rappelé ;
"2°) alors que les propos incriminés imputent à M. X... à la fois d'avoir été membre d'un « clan », celui des E..., se disputant avec un autre clan les avoirs [...] à Paris au détriment de l'Etat [...], d'avoir été l'homme de paille de M. D..., fils de E..., avec toute la connotation pernicieuse que cela suppose compte tenu de l'histoire récente de la [...], mais aussi d'avoir détourné des loyers versés par la Fnac au préjudice de l'Etat [...], acheté des biens immobiliers en suggérant, selon certaines sources, que les revenus générés finissaient dans des poches privées ou, du moins, en envisageant cette alternative et en insinuant ainsi que M. X... se serait livré à des détournements d'actifs au préjudice de l'Etat [...] jusqu'au gel des avoirs [...] en 2011, comporte l'imputation de faits diffamatoires suffisamment précis, susceptibles de faire l'objet d'un débat sur leur véracité, peu important qu'ils soient présentés sous une forme dubitative, interrogative ou en procédant par insinuations ; que c'est donc à tort que la cour d'appel a considéré que les propos n'étaient pas assez précis, trop vagues, qu'ils étaient formulés au conditionnel ou sous une forme interrogative, en sorte qu'ils ne pouvaient caractériser le délit poursuivi, méconnaissant ainsi les textes et principes susvisés ;
"3°) alors que des propos qui dépassent l'analyse critique et procèdent par voie d'affirmations ou d'insinuations sans « base factuelle suffisante », c'est-à-dire sans éléments précis et sérieux de nature à les justifier, excèdent les limites de la liberté d'expression et constituent une diffamation ; qu'en l'espèce, les propos reprochés étaient présentés de façon tendancieuse, sans vérification des sources ; ils ne reposent pas sur une base factuelle suffisante et dépassent par conséquent les limites admissibles en matière de liberté d'expression ; qu'en considérant que les passages poursuivis ne pouvaient être considérés comme diffamatoires à l'égard de M. X..., la cour d'appel a violé les textes et principes susvisés" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. Mohamed X... a fait citer devant le tribunal correctionnel, du chef de diffamation publique, M. Y..., en qualité de directeur de publication, et la société C... comme civilement responsable à la suite de la publication, le 28 mars 2013, dans un des numéros du journal C..., d'un article signé de Mme A... et M. B... intitulé " A la poursuite du trésor de E..." et sous-titré "Bataille : deux clans se disputent les avoirs [...] à Paris, Récit", comportant le passage suivant : "Une chasse au trésor en plein Paris : le magnifique bâtiment Art Déco loué par la Fnac des [...], planté à deux pas de l'[...], fait l'objet d'une guerre sans merci entre les anciens du clan E... et des factions de l'actuel pouvoir [...]". "Homme de paille. En haut du tableau de chasse figure l'immeuble des [...]. Loué à la Fnac, qui n'est elle-même en rien concernée par l'affaire, ce joyau estimé à 200 millions d'euros appartient depuis 1992 à G..., une filiale du fonds souverain [...]. Le bâtiment est détenu au travers d'une société de droit français, la Compagnie des Exploitations Réunies (CER). Mais difficile, quand on creuse, de dire qui est le véritable propriétaire. C'est en effet à Genève, dans une holding désormais dissoute, qu'étaient logées les actions au porteur. En décembre, les émissaires de l'ex-CNT, qui ont depuis fait renouveler leur mandat par l'actuel gouvernement [...], ont débarqué le PDG historique de la société, Mohamed X... F... : ce britannique d'origine [...]ne aurait été l'homme de paille de M. D..., fils de E...". "Le trio accuse les anciens dirigeants de la CER d'avoir détourné une partie des loyers versés par la Fnac. D'après eux, l'immeuble des [...] aurait été mis en garantie auprès d'une banque [...]-[...] à Paris, la BIA, pour contracter deux prêts, l'un de 78 millions d'euros en 2001, l'autre de 52 millions en 2010, remboursés par les loyers. Avec le cash dégagé – le loyer annuel de la Fnac s'élève à environ 10 millions en 2013, M. X... et ses commanditaires auraient acheté dans le dos de l'Etat [...] plusieurs biens immobiliers. Les revenus générés par ces actifs remontaient-ils jusqu'aux caisses de l'Etat, ou finissaient-ils dans des poches privées ?" "Le système a pris fin en 2011, quand l'Europe a gelé les avoirs [...]s et qu'en conséquence la Fnac a cessé de verser les loyers à G.... L'argent est désormais placé sur un compte sous séquestre auprès de la Caisse des dépôts" ; que les juges du premier degré ayant déclaré nulle la citation directe, la partie civile a relevé appel de cette décision ; que, par un premier arrêt en date du 3 février 2016, devenu définitif, la cour d'appel a réformé le jugement entrepris en ce qu'il avait annulé la citation, et, faisant usage de l'article 520 du code de procédure pénale, a évoqué et renvoyé l'affaire au fond ;
Sur le moyen unique de cassation, pris en ses première et deuxième branches :
Attendu que, pour rejeter l'argumentation de M. X... faisant valoir que les passages de l'article mentionnant "deux clans se disputent les avoirs [...] à Paris", et le comptant parmi " les anciens du clan E...", constituent une diffamation à son égard, l'arrêt énonce que faire partie d'un " clan" n'est pas un fait suffisamment précis et que, quand bien même l'ancien dirigeant [...] serait communément présenté comme un dictateur ou un tyran, le seul fait de préciser que M. X... aurait compté parmi ses fidèles ou ceux de son fils ne saurait suffire à lui imputer la commission des actes dont l'ex-dictateur se serait lui-même rendu coupable ; que les juges retiennent que le qualificatif donné à la partie civile "d'homme de paille de D..., fils de E...", est une expression trop vague et sans précision suffisante pour faire l'objet d'un débat contradictoire sur la preuve de la vérité ; qu'ils en déduisent que ces passages ne caractérisent pas une diffamation ;
Attendu qu'en retenant ainsi que ces propos litigieux ne comportaient pas en eux-mêmes l'allégation ou l'imputation d'un fait suffisamment précis pour faire l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire, et dès lors que les juges ne relevaient pas de circonstances extrinsèques à l'écrit dans son ensemble, de nature à lui donner un autre sens et à caractériser une diffamation, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que les griefs ne sont pas fondés ;
Sur le moyen, pris en sa troisième branche :
Attendu que pour écarter l'argumentation de la partie civile soutenant qu'il lui était imputé de s'être livrée à des détournements d'actifs, au préjudice de l'Etat [...], l'arrêt relève que ces détournements sont présentés comme des propos tenus par des tiers ; que les juges retiennent en substance, au vu d'éléments extrinsèques contenus dans le reste de l'article, que ses auteurs n'imputent pas ces faits à la partie civile mais transmettent des accusations et questionnements qu'ils jugent fantaisistes, exprimés par des tiers auxquels ils n'accordent aucun crédit sérieux, compte tenu de la présentation qu'ils en font, les qualifiant de "pieds-nickelés"; qu'ils en déduisent que ce passage n'est pas diffamatoire ;
Attendu que, si c'est à tort que la cour d'appel a retenu que lesdits passages litigieux ne caractérisaient pas une diffamation, alors que le fait de rapporter lesdits propos provenant de tiers et contenant des accusations à l'encontre de la partie civile, même présentées sous une forme dubitative, constitue une imputation diffamatoire, l'arrêt n'encourt pas pour autant la censure, dès lors que, ainsi que la Cour de cassation est en mesure de s'en assurer, les passages incriminés, dont l'arrêt précise qu'ils sont repris de propos exprimés par des tiers mais assortis de réserves des auteurs de l'article sur leur valeur et leur crédibilité, à partir d'autres points de vue cités, constituaient une base factuelle suffisante et ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression, au sens de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. X... devra payer à la société d'exploitation de l'hebdomadaire C... et M. Y... en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf janvier deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.