LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu après cassation (Soc., 14 octobre 2015, pourvoi n° 14-25.773), que Mme K..., engagée le 8 septembre 1997 par la société Kiosque d'or en qualité de comptable, a bénéficié d'un congé parental du 2 juillet 1998 au 23 avril 2001, date à laquelle elle a repris son travail ; que se plaignant d'avoir été victime d'un harcèlement moral, elle a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir le paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral alors, selon le moyen, que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; qu'en statuant sans prendre en considération les éléments médicaux produits et alors, d'une part, qu'elle avait constaté que la salariée avait vu ses fonctions modifiées au retour de son congé parental, ce qui laissait présumer une situation de harcèlement moral et, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 1225-5 du code du travail, à l'issue du congé parental, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;
Mais attendu que sous le couvert d'un grief non fondé de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de preuve et de fait dont elle a, sans méconnaître les règles spécifiques de preuve et exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1154-1 du code du travail, déduit l'absence de faits précis permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article L. 122-45 du code du travail alors applicable, ensemble l'accord-cadre sur le congé parental figurant à l'annexe de la directive 96/34/CE, du Conseil, du 3 juin 1996, alors applicable ;
Attendu qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qu'il ressort du premier alinéa du préambule de l'accord-cadre sur le congé parental et du point 5 des considérations générales de celui-ci, que cet accord-cadre constitue un engagement des partenaires sociaux, représentés par les organisations interprofessionnelles à vocation générale, à savoir l'UNICE, le CEEP et la CES, de mettre en place, par des prescriptions minimales, des mesures destinées à promouvoir l'égalité des chances et de traitement entre les hommes et les femmes en leur offrant une possibilité de concilier leurs responsabilités professionnelles et leurs obligations familiales et que l'accord-cadre sur le congé parental participe des objectifs fondamentaux inscrits au point 16 de la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs relatif à l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, à laquelle renvoie cet accord-cadre, objectifs qui sont liés à l'amélioration des conditions de vie et de travail ainsi qu'à l'existence d'une protection sociale adéquate des travailleurs, en l'occurrence ceux ayant demandé ou pris un congé parental (CJUE, arrêt du 22 octobre 2009, Meerts, C-116/08, points 35 et 37 ; arrêt du 27 février 2014, Lyreco Belgium, aff. C-588/12, points 30 et 32 ; arrêt du 8 mai 2019, Praxair, aff. C-486/18, point 41) ;
Attendu que pour débouter la salariée de ses demandes au titre de la discrimination liée à son état de grossesse, l'arrêt retient qu'il résulte de la combinaison des articles L. 1225-55 et L. 1225-71 du code du travail, qu'à l'issue du congé parental d'éducation, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente, qu'à défaut, le salarié a droit à des dommages-intérêts, qu'en l'espèce la salariée sollicite pour la première fois en cause d'appel une somme à titre de dommages-intérêts au titre d'une discrimination en raison de son état de grossesse et fait valoir que l'employeur a souhaité maintenir M. Q..., qu'il avait embauché pour la remplacer durant le temps de son congé parental d'éducation, à l'unique poste de comptable existant au sein de l'entreprise, au lieu de la réemployer à cette fonction, qu'il résulte de ce qui précède qu'à son retour de congé parental la salariée a effectivement exercé, outre quelques missions comptables, des tâches d'administration et de secrétariat qui sont sans rapport aucun avec son emploi de comptable de niveau V compte tenu de la définition résultant de la convention collective, que son contrat de travail s'en est trouvé modifié, qu'il n'est donc pas discutable qu'à l'issue du congé parental d'éducation, la salariée n'a pas retrouvé son précédent emploi ou un emploi similaire mais qu'elle se prévaut en réalité d'un manquement de l'employeur à son obligation légale de réemploi, qu'elle n'établit pas pour autant la matérialité de faits précis et concordants qui sont de nature à supposer l'existence d'une discrimination à raison de l'état de grossesse, que la preuve d'une discrimination illicite n'est donc pas rapportée ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si, eu égard au nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes qui choisissent de bénéficier d'un congé parental, la décision de l'employeur en violation des dispositions susvisées de ne confier à la salariée, au retour de son congé parental, que des tâches d'administration et de secrétariat sans rapport avec ses fonctions antérieures de comptable ne constituait pas un élément laissant supposer l'existence d'une discrimination indirecte en raison du sexe et si cette décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme K... de ses demandes au titre de la discrimination, l'arrêt rendu le 24 février 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne la société Kiosque d'or aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Kiosque d'or à payer à la SCP Boutet la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour Mme K...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Mme K... de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
AUX MOTIFS QUE sur le harcèlement moral, résulte des dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail qu'aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet des dégradations de ses conditions de travail susceptible notamment d'altérer sa santé physique ou mentale ; qu'un acte unique ne peut pas constituer un harcèlement ; qu'en cas de litige reposant sur des faits de harcèlement moral, le salarié doit présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement ; qu'il appartient ensuite au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de supposer l'existence d'un harcèlement moral et dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, M... K... sollicite le paiement de la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant d'un harcèlement moral ; qu'elle invoque des faits survenus sur son lieu de travail qui constituent selon elle un harcèlement moral ; que ces faits se présentent comme suit : - la modification de son contrat de travail par la société SNC KIOSQUE D'OR qui d'une part a réduit ses tâches de comptabilité dès son retour de congé parental d'éducation en l'affectant notamment au standard, au secrétariat, à l'étiquetage et à la gestion des approvisionnements, cette modification étant confirmée par le fait que M. Q..., engagé pour remplacer M... K... durant le temps de son congé parental d'éducation, a occupé définitivement ce poste en étant embauché par contrat à durée indéterminée ; - des pressions, réflexions, vexations et humiliations ; - la dégradation de son état de santé résultant des agissements précités ; que s'agissant de la modification du contrat de travail que d'une part il ressort des pièces du dossier que par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 juin 2001, la société SNC KIOSQUE D'OR a informé M... K... qu'elle reprenait ses fonctions de comptable; que l'employeur a ajouté qu'elle serait en outre néanmoins chargée, dans le cadre d'une réorganisation du service comptabilité comptant désormais deux personnes, d'une liste non limitative de tâches inhérentes à sa qualification de comptable : - rapprochement des factures avec les bons de livraison et bons de commande, - suivi des paiements fournisseurs: interface BOR, - pointage des comptes tiers, - saisie des frais généraux, - établissement des règlements des fournisseurs, - classement ; que la société SNC KIOSQUE D'OR a conclu son courrier en rappelant à la salariée qu'elle était susceptible, en cas de période d'intense activité, d'être affectée à d'autres tâches (cadencier et classement notamment) ; que les multiples pièces produites par M... K... confirment la multitude de tâches que la salariée a ainsi exercées à compter de son retour de congé parental d'éducation, et notamment au standard, au secrétariat, au service des commandes de matériel ; que ces tâches ont à l'évidence considérablement limité la part des fonctions de comptabilité de M... K... ; que la cour relève que selon l'annexe relative à la classification des emplois de la convention collective nationale des commerces de gros applicable à la relation de travail, l'emploi de comptable niveau V occupé par M... K... est défini comme suit : « En sus des attributions de l'agent de comptabilité, est habilité à instruire et mener à bonne fin les dossiers comptables dont il a la charge » ; que la définition conventionnelle de l'emploi d'agent de comptabilité est la suivante : « Enregistre les opérations courantes de comptabilité selon les procédures qui lui sont indiquées, assure le suivi des comptes dont il a la charge et leur correspondance avec la comptabilité générale ; identifie et signale les écarts » ; que force est de constater à la lecture de ces définitions que les tâches confiées à M... K... à son retour de congé parental d'éducation dans les conditions précitées étaient pour certaines d'entre elles sans rapport aucun avec son emploi de comptable de niveau V ; qu'il s'ensuit que la modification du contrat de travail est établie ; que pour autant, il n'est pas discutable que cette modification résulte d'une décision unique de l'employeur prise le 15 juin 2001 qui s'est maintenue dans le temps en produisant des effets qui se sont prolongés ; que cette décision ne peut dès lors pas s'analyser en agissements répétés constitutifs de harcèlement moral ; que la cour relève ensuite que les pressions, réflexions, vexations et humiliations alléguées ne font l'objet d'aucune présentation précise de la part de M... K... qui se borne à demander à la cour de se reporter aux nombreuses attestations qu'elle produit ; que ces attestations, qui émanent de trois salariés de la société SNC KIOSQUE D'OR, de divers proches de M... K... (amis, voisins et assistante maternelle) ainsi que de ses parents et de sa soeur ne citent aucun fait précis et daté et se bornent à restituer les déclarations reçues de M... K... en y ajoutant des commentaires personnels sur sa situation ; qu'enfin, les pièces médicales versées aux débats, desquelles il ressort que M... K... présente une pathologie dont il n'y a pas lieu ici de discuter la réalité, ne permettent pas d'établir l'existence d'un lien réel et direct entre cette pathologie et les conditions de travail de M... K... à partir de son retour de congé parental d'éducation ; qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments que M... K... n'établit pas la matérialité de faits précis et concordants qui pris dans leur ensemble soient de nature à laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral en ce qu'ils auraient eu pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible notamment d'altérer sa santé physique ou mentale ; qu'elle est dès lors mal fondée en sa demande indemnitaire au titre du harcèlement moral que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef ; que (...) sur l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail, l'employeur a modifié le contrat de travail de M... K... en lui imposant l'exécution de tâches subalternes qui étaient sans rapport avec sa qualification de comptable ;
ALORS QUE pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; qu'en statuant sans prendre en considération les éléments médicaux produits et alors, d'une part, qu'elle avait constaté que la salariée avait vu ses fonctions modifiées au retour de son congé parental, ce qui laissait présumer une situation de harcèlement moral et, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 1225-5 du code du travail, à l'issue du congé parental, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Mme K... de ses demandes au titre de la discrimination ;
AUX MOTIFS QUE sur la discrimination, aux termes de l'article L 1132-1 du code du travail, sont prohibées les mesures discriminatoires à l'égard d'un salarié en matière de rémunération, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat à raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap ; qu'il résulte de l'article L 1134-1 du code du travail qu'en cas de litige reposant sur une discrimination, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'ensuite, le juge forme sa conviction ; qu'il résulte de la combinaison des articles L 1225-55 et L 1225-71 du code du travail, qu'à l'issue du congé parental d'éducation, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente ; qu'à défaut, le salarié a droit à des dommages et intérêts ; qu'en l'espèce, M... M. sollicite pour la première fois en cause d'appel la somme de 30 000 à titre de dommages et intérêts au titre d'une discrimination en raison de son état de grossesse ; qu'elle fait valoir que l'employeur a souhaité maintenir B... L., qu'il avait embauché pour remplacer M... K... durant le temps de son congé parental d'éducation, à l'unique poste de comptable existant au sein de l'entreprise, au lieu de réemployer M... K... à cette fonction ; qu'il résulte de ce qui précède qu'à son retour de au titre des congés payés afférents, M... K... a effectivement exercé, outre quelques missions comptables, des tâches d'administration et de secrétariat qui sont sans rapport aucun avec son emploi de comptable de niveau V compte tenu de la définition résultant de la convention collective ; que son contrat de travail s'en est trouvé modifié ; qu'il n'est donc pas discutable qu'à l'issue du congé parental d'éducation, la salariée n'a pas retrouvé son précédent emploi ou un emploi similaire ; mais que M... K... se prévaut en réalité d'un manquement de l'employeur à son obligation légale de réemploi ; qu'elle n'établit pas pour autant la matérialité de faits précis et concordants qui sont de nature à supposer l'existence d'une discrimination à raison de l'état de grossesse ; que la preuve d'une discrimination illicite n'est donc pas rapportée; que M... K... sera déboutée de sa demande de ce chef ; que (...) sur l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail, l'employeur a modifié le contrat de travail de M... K... en lui imposant l'exécution de tâches subalternes qui étaient sans rapport avec sa qualification de comptable ;
ALORS QU' en n'ayant pas tiré les conséquences légales de ses constatations, selon lesquelles à l'issue du congé parental d'éducation, la salariée n'avait pas retrouvé son précédent emploi ou un emploi similaire, l'employeur lui ayant imposé l'exécution de tâches subalternes qui étaient sans rapport avec sa qualification de comptable, ce qui laissait supposer l'existence d'une discrimination en raison de sa grossesse, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail.