LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 mars 2020
Cassation
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 201 F-D
Pourvoi n° W 18-25.552
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 MARS 2020
La société Electis, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] , anciennement dénommée société [...], a formé le pourvoi n° W 18-25.552 contre l'arrêt rendu le 3 octobre 2018 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige l'opposant à la société Avenir transports express, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kass-Danno, conseiller référendaire, les observations de Me Le Prado, avocat de la société Electis, de la SARL Meier-Bourdeau Lécuyer et associés, avocat de la société Avenir transports express, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 21 janvier 2020 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Kass-Danno, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, Mme Guinamant, avocat général référendaire, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 3 octobre 2018), la société Electis a confié, pendant quelques années, à la société Avenir transports express (la société ATE) le soin de livrer ses clients, à raison de cent cinquante colis par jour en moyenne. Ayant constaté, au 30 septembre 2010, des coûts de transport inexpliqués, la société Electis, après avoir vainement demandé communication des bons de transport exécutés et signés par les destinataires, pour la période de février à septembre 2010, a assigné, le 18 mai 2011, en paiement d'une somme correspondant au montant des surfacturations, la société ATE qui a soulevé la fin de non-recevoir tirée de la prescription annale de l'article L. 133-6 du code de commerce.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. La société Electis fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande en paiement portant sur la période antérieure au 11 mai 2010 alors « que toutes les actions auxquelles le contrat de transport peut donner lieu sont soumises à la prescription annale, sauf cas de fraude ou d'infidélité ; qu'en énonçant que les réserves de fraude ou d'infidélité ne s'appliquaient pas aux actions autres que celles pour avaries, pertes ou retards, la cour d'appel a violé l'article L. 133-6 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 133-6 du code de commerce :
3. La prescription par un an prévue par ce texte est écartée en cas de fraude ou d'infidélité, y compris lorsque sont en cause les autres actions, prévues par l'alinéa 2, auxquelles le contrat de transport peut donner lieu.
4. Pour déclarer irrecevable la demande en paiement de la société Electis, portant sur la période antérieure au 11 mai 2010, l'arrêt retient que la prescription de son action est régie par l'alinéa 2 de l'article L. 133-6 du code de commerce, lequel ne réserve pas le cas de fraude ou d'infidélité prévu par l'alinéa 1 du même texte, relatif aux actions pour avaries, pertes ou retard.
5. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La société Electis fait grief à l'arrêt de condamner la société ATE à lui payer la seule somme de 1 877,07 euros HT et de rejeter le surplus de ses demandes contre la société ATE pour la période postérieure au 10 mai 2010 alors « que les juges ont l'obligation de ne pas dénaturer les écrits de la cause qui leur sont soumis ; que la société Electis versait aux débats un CD-ROM, figurant sous les numéros 10 et 11 au bordereau de pièces, intitulé « CD-ROM contenant les dix mille cinq cent soixante et un bons de transports et tous les journaux d'expédition » ; qu'en énonçant, pour juger que la société Electis ne rapportait pas la preuve de la surfacturation alléguée, « qu'elle se bornait à verser une liste de lettres de voiture du 16 décembre 2015 », la cour d'appel a dénaturé le bordereau de pièces figurant dans les conclusions récapitulatives du 13 juin 2017 de la société Electis, en méconnaissance du principe susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
7. Pour limiter à une certaine somme la condamnation de la société ATE et rejeter le surplus des demandes de la société Electis à son encontre pour la période postérieure au 10 mai 2010, l'arrêt retient que la société Electis se borne à verser au dossier une liste de lettres de voiture du 16 décembre 2015.
8. En statuant ainsi, alors que le bordereau de pièces figurant dans les conclusions récapitulatives du 13 juin 2017 de la société Electis mentionnait : « 10. et 11. CD-ROM contenant les dix mille six cent cinquante et un bons de transports et tous les journaux d'expédition », la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne la société ATE aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société ATE et la condamne à payer à la société Electis la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze mars deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour la société Electis.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué
D'AVOIR déclaré irrecevable la demande en paiement de la société Electis portant sur la période antérieure au 11 mai 2010 ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE la société Electis poursuit le remboursement de facturations indues établies par la société Ate de février à octobre 2010 ; que la cour rappelle qu'aux termes de l'article L. 133-6 du code de commerce « les actions pour avaries, pertes ou retards, auxquelles peut donner lieu contre le voiturier le contrat de transport, sont prescrites dans le délai d'un an, sans préjudice des cas de fraude ou d'infidélité. Toutes les autres actions auxquelles ce contrat peut donner lieu, tant contre le voiturier ou le commissionnaire que contre l'expéditeur ou le destinataire, aussi bien que celles qui naissent des dispositions de I'article 1269 du code de procédure civile, sont prescrites dans le délai d'un an. Le délai de ces prescriptions est compté, dans le cas de perte totale, du jour où la remise de la marchandise aurait dû être effectuée, et, dans tous les autres cas, du jour où la marchandise aura été remise ou offerte au destinataire » ; que l'article 241 du code civil précise que « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion » et qu'il « en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure » ; que la cour relève qu'en application des textes susvisés la prescription de l'action de la société Electis est régie par l'alinéa 2 de l'article L. 133-6 du code de commerce - qui ne réserve pas le cas de fraude ou d'infidélité -, prescription qui court à compter de la remise de la marchandise et qui est appréciée à la date de l'assignation en paiement ; qu'il est à noter que l'assignation n'est pas produite et que la demande en paiement de la société Electis porte sur des transports de marchandises dont la remise au destinataire est antérieure de plus d'un an à la date de placement le 18 mai 2011 de l'assignation devant le tribunal ; qu'en conséquence, la cour, confirmant le jugement déféré, déclarera prescrite la demande formée au titre de transports dont la livraison est antérieure au 11 mai 2010 ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE le présent litige relève incontestablement du code des transports ; que les articles L. 133-5/6 du code de commerce prévoient que les actions « tout comme celles qui naissent des dispositions de l'article 1269 du code de procédure civile sont prescrites dans le délai d'un an » ; que l'exception de fraude et d'infidélité ne peut être retenue dans le présent cas ;
1°) ALORS QUE toutes les actions auxquelles le contrat de transport peut donner lieu sont soumises à la prescription annale, sauf cas de fraude ou d'infidélité ; qu'en énonçant que les réserves de fraude ou d'infidélité ne s'appliquaient pas aux actions autres que celles pour avaries, pertes ou retards, la cour d'appel a violé l'article L. 133-6 du code de commerce ;
2°) ALORS QUE, à supposer que la cour d'appel ait, par motifs adoptés, entendu considérer que l'exception de fraude ou d'infidélité n'était au demeurant pas caractérisée, la société Electis faisait valoir que les facturations fictives et dissimulations de pièces commises par la société ATE était constitutive d'un tel cas de fraude ou d'infidélité (conclusions, p. 11) ; qu'en se bornant à énoncer que l'exception de fraude et d'infidélité ne pouvait être retenue, sans rechercher, à tout le moins, si les surfacturations reconnues par la société ATE ne procédaient pas d'une volonté malveillante, d'une déloyauté ou d'une dissimulation du préjudice causé à l'expéditeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 133-6 du code de commerce.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué
D'AVOIR condamné la société ATE à payer à la société Electis la seule somme de 1 877,07 euros HT et rejeté le surplus des demandes de la société Electis à l'encontre de la société ATE pour la période postérieure au 10 mai 2010 ;
AUX MOTIFS QU' ainsi que l'énonce l'article 1353 du code civil, Il Incombe à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver ; que la Sas Electis, qui réclame le remboursement de surfacturations à la société Ate, à laquelle elle confie depuis une quinzaine d'années le transport et la livraison d'environ 150 colis par jour, se doit de verser aux débats les lettres de voiture signées des parties du 11 mai 2010 à octobre 2010, préalablement au transport de toute marchandise, précisant notamment la catégorie et le poids de la marchandises, les sommes à encaisser, les Instructions de livraison, qui sont établies selon l'usage en trois exemplaires remis à l'expéditeur, au transporteur et au destinataire, permettant à la cour de se convaincre des surfacturations alléguées ; qu'elle ne satisfait pas à cette obligation de preuve en se bornant à verser au dossier une liste de lettres de voiture du 16 décembre 2015 ; que, dès lors Infirmant la décision déférée, la cour constaterai que la société Ate reconnaît être redevable de la seule somme de 1 877,07 euros hors taxes au titre des surfacturations pour la période de juin à septembre 2010 et, en tant que de besoin, la condamner au paiement de ce montant ;
1°) ALORS QUE les juges ont l'obligation de ne pas dénaturer les écrits de la cause qui leur sont soumis ; que la société Electis versait aux débats un CD-ROM, figurant sous les numéros 10 et 11 au bordereau de pièces, intitulé « CD-ROM contenant les 10 651 bons de transports et tous les journaux d'expédition » ; qu'en énonçant, pour juger que la société Electis ne rapportait pas la preuve de la surfacturation alléguée, « qu'elle se bornait à verser une liste de lettres de voiture du 16 décembre 2015 », la cour d'appel a dénaturé le bordereau de pièces figurant dans les conclusions récapitulatives du 13 juin 2017 de la société Electis, en méconnaissance du principe susvisé ;
2°) ALORS QUE, en toute hypothèse, les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner et analyser tous les documents de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que, pour l'année 2010 litigieuse, la société Electis produisait les bons de transports ainsi que ses journaux d'expédition, chaque journal d'expédition reprenant les informations figurant sur les bons de transports lui correspondant ; qu'en se bornant à énoncer, pour juger que la société Electis ne rapportait pas la preuve de la surfacturation alléguée, « qu'elle se bornait à verser une liste de lettres de voiture du 16 décembre 2015 », sans examiner les journaux d'expédition produits, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.