LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 1er juillet 2020
Cassation
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 558 F-D
Pourvoi n° X 19-11.458
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER JUILLET 2020
Mme J... C..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° X 19-11.458 contre l'arrêt rendu le 29 novembre 2018 par la cour d'appel de Dijon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Monoprix exploitation, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Pécaut-Rivolier, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme C..., de Me Carbonnier, avocat de la société Monoprix exploitation, et après débats en l'audience publique du 20 mai 2020 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Pécaut-Rivolier, conseiller rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, le 29 novembre 2018), Mme C..., salariée depuis 1976 de la société Prisunic, devenue Monoprix exploitation, a occupé diverses fonctions représentatives à compter de 1995.
2. Elle a saisi en 2014 la juridiction prud'homale au motif d'une discrimination syndicale dans le déroulement de sa carrière.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses quatre dernières branches
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes de dommages-intérêts pour faits de discrimination syndicale, alors « que lorsqu'un salarié établit des faits laissant supposer une discrimination syndicale dans la fixation de sa rémunération, il appartient à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'au cas d'espèce, dès lors que la cour d'appel avait souverainement constaté que ''l'employeur ne contredit pas utilement l'affirmation de l'intimée selon laquelle elle n'a bénéficié d'aucune augmentation individuelle entre les années 2000 et 2010'', ce qui laissait supposer l'existence d'une discrimination syndicale, il appartenait à l'employeur de démontrer que cette absence d'augmentation individuelle de la salariée pendant dix ans n'était pas en lien avec un motif discriminatoire ; qu'en retenant néanmoins, pour écarter toute discrimination de ce chef, ''que toutefois, l'intéressée ne produit aucune pièce dont il résulterait que cette situation a un lien avec son activité syndicale ou sa qualité de représentante du personnel'', quand la preuve de la discrimination n'incombe pas au salarié, la cour d'appel a violé les articles L. 2141-5, L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1132-1 dans sa rédaction alors applicable, et les articles L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail :
5. En application du deuxième des textes susvisés, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
6. Pour dire que la salariée n'a pas été victime d'une discrimination syndicale et la débouter de ses demandes de dommages et intérêts, la cour d'appel retient que la salariée n'a eu aucune augmentation individuelle de salaire entre les années 2000 et 2010, mais qu'elle ne produit aucune pièce dont il résulterait que sa situation a un lien avec son activité syndicale ou sa qualité de représentante des salariés.
7. En se déterminant ainsi, alors que, ayant retenu l'existence de faits laissant supposer l'existence d'une discrimination, il lui appartenait de rechercher si l'employeur démontrait que cette situation était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Besançon ;
Condamne la société Monoprix exploitation aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Monoprix exploitation et la condamne à payer à Mme C... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour Mme C...
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté Mme C... de sa demande de dommages et intérêts du chef de discrimination syndicale et de celle subséquente de rappel de salaires ;
AUX MOTIFS QUE Mme C... soutient que, du fait de son appartenance à un syndicat, l'évolution de sa carrière a été ralentie et qu'elle a été victime d'une différence de traitement par rapport à ses collègues ; qu'elle affirme, ainsi, que l'une d'elle a bénéficié de l'échelon IV-1 alors qu'elle avait une ancienneté inférieure à la sienne, que deux autres sont passées du niveau III-1 au niveau III-2, huit mois avant elle, alors qu'elles occupaient le même poste et réalisaient le même travail, qu'enfin, elle n'a jamais bénéficié d'une augmentation individuelle entre l'année 2000 et 2010 ; qu'il résulte des articles L. 1132-1 et L. 2145-5 du code du travail qu'il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions, notamment en matière d'avancement et de rémunération ; que, par application de l'article 1134-1 du même code, il appartient au salarié syndicaliste qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement et il incombe à l'employeur, s'il conteste le caractère discriminatoire du traitement réservé au syndicaliste, d'établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur l'appartenance à un syndicat ; qu'il est constant que la carrière de Mme C... a connu l'évolution suivante : 15 juin 1975 : vendeuse-caissière, niveau/échelon I, 1er janvier 1993 : caissière-réassortisseuse, niveau/échelon II-2, 1er juin 2008 : responsable de rayon, niveau/échelon III-1, 1er avril 2009 : chargée de rayon, niveau/échelon III-1, 1er juin 2011 : chargée de rayon, niveau/échelon III-2 ; qu'il est également acquis aux débats que l'intimée travaille au sein du rayon épicerie sèche, ainsi que Mme E... et Mme V... ; qu'il convient de comparer l'évolution de la carrière et de la rémunération de Mme C... par rapport à celle des deux dernières ; que l'historique des affectations de ces trois salariées, pièces non contestées, révèle que Mme V... et Mme E... ont accédé au poste de responsable de rayon neuf mois avant Mme C... ; que cependant, ce document indique que cette dernière, affectée au rayon épicerie sèche postérieurement à ces deux collègues, a évolué plus rapidement que celles-ci au niveau III-1, compte tenu des expériences respectives des intéressées au sein du rayon ; que dès lors une différence inexplicable d'évolution de carrière et une inégalité de traitement ne sont pas établies ; qu'en ce qui concerne l'évolution de la rémunération de Mme C..., les bulletins de salaire versés aux débats par l'appelante démontrent qu'il n'existe pas de différence significative entre l'intimée et les collègues qu'elle a choisies comme référence ; qu'ainsi, au 31 janvier 2014, Mme C... percevait un salaire mensuel de 1 641,63 euros alors que celui de Mmes V..., P... et H..., à la même date, s'élevaient respectivement à 1 643,74 euros, 1 642,18 euros et 1 639,80 euros ; qu'il reste que l'employeur ne contredit pas utilement l'affirmation de l'intimée selon laquelle elle n'a bénéficié d'aucune augmentation individuelle entre les années 2000 et 2010 ; que toutefois, l'intéressée ne produit aucune pièce dont il résulterait que cette situation a un lien avec son activité syndicale ou sa qualité de représentante du personnel ; que par ailleurs, aucun enseignement ne peut être tiré de la comparaison entre les déroulements de carrière de Mme C... et de Mme S... ; qu'en effet, l'attribution à cette dernière du niveau IV est justifiée par son expérience au rayon crèmerie, où elle est affectée depuis 1995, alors que l'expérience de l'intimée au rayon épicerie sèche est moindre, puisqu'elle occupe ce poste depuis 2007 ; que de plus ces fonctions ne sont pas identiques dès lors que les contraintes d'un rayon de produits frais sont supérieures à celles du secteur périssable ; que peu importe qu'il ait été fait référence, dans une réunion du comité d'établissement, à l'ancienneté de Mme Z..., dès lors qu'il n'est pas démontré que ce critère ait été le seul retenu pour faire évoluer sa carrière et que les évaluations de l'intéressée font apparaître sa compétence et son efficacité ; que de façon plus générale, Mme C... n'établit pas qu'elle a rempli les conditions requises par le niveau IV, à savoir l'accomplissement de travaux complexes, requérant la maitrise complète d'une technique, et une autonomie suffisante pour traiter les aléas et résoudre des problèmes dans des situations imprévues ; qu'au demeurant, ses entretiens d'évaluation mentionnent des appréciations positives, mais aussi des points à améliorer, comme l'implication dans des activités promotionnelles ou la relation avec les clients ; que Mme C... fait valoir que la carrière de Mme G... a suivi une évolution plus rapide que la sienne ; qu'il est constant que cette dernière, embauchée en 2002, est passée au niveau IV-1, à compter du 1er octobre 2013 ; qu'il n'est pas discuté que cette dernière est chargée du rayon parapharmacie ; qu'aucune comparaison ne peut être opérée entre les situations et évolutions de ces deux salariées ; qu'en effet, Mme G... est titulaire d'un CAP et d'un brevet professionnel de préparatrice en pharmacie alors que Mme C... ne prétend pas disposer d'une quelconque expérience en ce domaine ; qu'en conséquence, le choix de Mme G... pour s'occuper du rayon parapharmacie et sa classification au niveau IV, ne sont ni absurdes ni arbitraires, étant observé que l'intimée ne prétend même pas avoir postulé sur ce poste ; que par ailleurs, l'intimée ne produit aucune pièce démontrant que ses heures de délégation dépassaient de 30% la durée de son travail ; qu'il s'ensuit qu'elle ne peut se prévaloir de la garantie d'évolution de la rémunération, prévue par l'article L. 2145-5-1 du code du travail ; qu'enfin, au vu de l'attestation émanant du centre de formation Cézanne, Mme C... a suivi neuf formations de 2001 à 2012, de sorte qu'elle est mal fondée à soutenir qu'elle n'a pu bénéficier d'actions de cette nature ; qu'au vu de ces éléments, la discrimination alléguée n'est pas caractérisée ; que Mme C... doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts de ce chef et de celle subséquente de rappel de salaires, fondée sur une classification non justifiée au niveau IV ; le jugement déféré doit donc être infirmé en toutes ses dispositions, y compris celle relative à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
1°) ALORS QUE lorsqu'un salarié établit des faits laissant supposer une discrimination syndicale dans la fixation de sa rémunération, il appartient à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'au cas d'espèce, dès lors que la cour d'appel avait souverainement constaté que « l'employeur ne contredit pas utilement l'affirmation de l'intimée selon laquelle elle n'a bénéficié d'aucune augmentation individuelle entre les années 2000 et 2010 », ce qui laissait supposer l'existence d'une discrimination syndicale, il appartenait à l'employeur de démontrer que cette absence d'augmentation individuelle de la salariée pendant dix ans n'était pas en lien avec un motif discriminatoire ; qu'en retenant néanmoins, pour écarter toute discrimination de ce chef, « que toutefois, l'intéressée ne produit aucune pièce dont il résulterait que cette situation a un lien avec son activité syndicale ou sa qualité de représentante du personnel », quand la preuve de la discrimination n'incombe pas au salarié, la cour d'appel a violé les articles L. 2141-5, L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail ;
2°) ALORS QUE lorsqu'un salarié établit des faits laissant supposer une discrimination syndicale dans la fixation de sa rémunération, il appartient à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'au cas d'espèce, la cour d'appel a souverainement constaté que « Mme V... et Mme E... ont accédé au poste de responsable de rayon neuf mois avant Mme C... », ce qui laissait supposer l'existence d'une discrimination syndicale ; qu'en retenant cependant, pour écarter toute discrimination en raison de ce passage tardif du niveau III-1 au niveau III-2, que Mme C... « affectée au rayon épicerie sèche postérieurement à ces deux collègues, a évolué plus rapidement que celles-ci au niveau III-1, compte tenu des expériences respectives des intéressées au sein du rayon ; que dès lors une différence inexplicable d'évolution de carrière et une inégalité de traitement ne sont pas établies », alors même que l'évolution postérieure de la salariée, plus rapide que ses deux collègues, ne permettait pas de justifier, par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, le passage du niveau III-1 au niveau III-2 plus de huit mois après ses collègues, après qu'elle ait adressé un courrier de réclamation à son employeur le 3 avril 2008, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles L. 2141-5, L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail ;
3°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en jugeant, pour écarter toute discrimination, que « peu importe qu'il ait été fait référence, dans une réunion du comité d'établissement, à l'ancienneté de Mme Z..., dès lors qu'il n'est pas démontré que ce critère ait été le seul retenu pour faire évoluer sa carrière et que les évaluations de l'intéressée font apparaître sa compétence et son efficacité », lorsque le procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise du 21 novembre 2011, indique clairement, sur le chapitre situation de l'emploi et classification détaillée par secteur, que le Président informe le CE qu'une salariée était passée « en IV 1 par rapport à son ancienneté », la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce procès-verbal, en violation du principe susvisé ;
4°) ALORS QU'en retenant, pour écarter toute discrimination, que les fonctions de Mme C... ne sont pas identiques à celles de Mme S..., avec laquelle elle se comparait, dès lors que « les contraintes d'un rayon de produits frais sont supérieures à celles du secteur périssable », lorsque les autres salariés du rayon frais n'avaient pas connu la même évolution et que l'affectation aux différents rayons, exclusivement décidée par l'employeur, était sans incidence au regard de la convention collective nationale des grands magasins et des magasins populaires relative à la classification professionnelle, dont la liste exhaustive ne comportait pas de différences de rayons, la cour d'appel a statué par un motif inopérant pour justifier une différence de traitement, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
5°) ALORS QU'en retenant, pour écarter toute discrimination, qu'aucune comparaison ne peut être opérée entre les situations et évolutions de Mme C... et de Mme G..., dès lors que « Mme G... est titulaire d'un CAP et d'un brevet professionnel de préparatrice en pharmacie alors que Mme C... ne prétend pas disposer d'une quelconque expérience en ce domaine ; qu'en conséquence, le choix de Mme G... pour s'occuper du rayon parapharmacie et sa classification au niveau IV, ne sont ni absurdes ni arbitraires, étant observé que l'intimée ne prétend même pas avoir postulé sur ce poste », alors même que Mme C... n'a jamais revendiqué le poste de Mme G... mais simplement sollicité une classification identique à celle de cette dernière, « chargée de rayon marchandises générales », même si effectivement affectée à la parapharmacie, la cour d'appel a une nouvelle fois statué par un motif inopérant pour justifier une différence de traitement, en violation de l'article 455 du code de procédure civile.