LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Cassation partielle
Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 566 F-D
Pourvoi n° Y 18-26.566
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. R....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 18 octobre 2018.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
M. F... R..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° Y 18-26.566 contre l'arrêt rendu le 8 septembre 2017 par la cour d'appel de Lyon (chambre sociale B), dans le litige l'opposant à la société Speedy France, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Duval, conseiller référendaire, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. R..., de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de la société Speedy France, après débats en l'audience publique du 26 mai 2020 où étaient présents Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Duval, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gilibert, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 8 septembre 2017), M. R..., engagé à compter du 1er août 2003 par la société Speedy France en qualité d'opérateur service rapide, a été victime d'un accident du travail le 8 février 2011 et placé en arrêt de travail. Au terme de cet arrêt et après deux examens des 27 novembre et 12 décembre 2012, M. R... a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail. Il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 1er mars 2013.
2. Contestant cette mesure, il a saisi la juridiction prud'homale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire le licenciement prononcé pour inaptitude et impossibilité de reclassement fondé sur une cause réelle et sérieuse et de le débouter de ses demandes indemnitaires alors « que la recherche des possibilités de reclassement du salarié victime d'un accident du travail, déclaré inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment doit s'apprécier à l'intérieur du groupe auquel appartient l'employeur concerné, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation lui permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel ; qu'en se fondant, pour dire que l'employeur n'avait pas à rechercher un reclassement au sein du groupe Kwik Fit, sur la circonstance inopérante au regard de la notion de groupe de reclassement, que la société Speedy France, rachetée par son président, avait quitté ce groupe en 2011, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du code du travail ».
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1226-10 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la modification issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
4. Selon ce texte, lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. La recherche de reclassement doit s'apprécier au sein de l'entreprise et, le cas échéant, à l'intérieur du groupe auquel appartient l'employeur concerné, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.
5. Pour dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts, l'arrêt retient que l'employeur démontre que la société Speedy avait quitté le groupe Kwik Fit en 2011. Il constate que la société a été rachetée par son président et que ce rachat était déjà effectif fin 2012, à l'époque à laquelle l'inaptitude a été constatée. Il en déduit que la société Speedy France n'appartenait donc plus à cette date à un groupe et qu'elle n'était donc plus tenue qu'à une recherche de reclassement limitée à ses propres établissements.
6. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants au regard de la notion de groupe de reclassement, alors qu'il lui appartenait de rechercher s'il existait entre la société employeur et les sociétés du groupe Kwik Fit des possibilités de permutation de tout ou partie du personnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Portée et conséquences de la cassation
7. La cassation prononcée ne permet pas d'atteindre le chef de dispositif de l'arrêt déboutant le salarié de sa demande de dommages-intérêts fondée sur le non-respect de l'article L. 1226-12, alinéa 1er, du code du travail.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. R... de sa demande en paiement de la somme de 5 000 euros pour non-respect des dispositions de l'article L. 1226-12, alinéa 1er, du code du travail, l'arrêt rendu le 8 septembre 2017 entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;
Condamne la société Speedy France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Speedy France à payer à Me Goldman la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Laurent Goldman, avocat aux Conseils, pour M. R...
M. R... fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le licenciement litigieux prononcé pour inaptitude et impossibilité de reclassement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et de l'avoir débouté de ses demandes indemnitaires ;
AUX MOTIFS QUE F... R... reproche à la société de ne pas avoir recherché un reclassement au sein du groupe KWIK FIT ; que la société prétend qu'au moment des faits, elle n'appartenait plus à aucun groupe, ayant quitté le groupe KWIK FIT à compter de 2011 ; qu'il résulte des différentes pièces produites par la société qu'elle démontre effectivement que la société SPEEDY avait quitté le groupe KWIK FIT en 2011 ; que la société a été rachetée par son président et ce rachat était déjà effectif fin 2012, à l'époque à laquelle l'inaptitude du salarié a été constatée ; que la société SPEEDY FRANCE n'appartenait donc plus à cette date à un groupe, et n'était donc plus tenue qu'a une recherche de reclassement limitée à ses propres établissements ; que F... R... fait également grief à la société de ne pas avoir procédé sérieusement à une recherche de reclassement ; qu'à ce titre, il estime que le simple envoi de courriels ne suffit pas à prouver l'absence de postes disponibles et prétend que de nombreux postes étaient disponibles au sein de la société et ne lui ont pas été proposés ; qu'il résulte toutefois des pièces communiquées qu'au titre de son obligation de reclassement incombant à la société SPEEDY FRANCE, la responsable juridique de cette entreprise, X... K..., a envoyé tant au siège social de l'entreprise qu'à chacun de ses établissements des courriels pour questionner sur les postes disponibles en leur sein, courriels ainsi rédigés : « Dans le cadre de l'inaptitude définitive de Monsieur F... R... au poste d'OST constatée par la médecine du travail le 12/12/12 à la suite d'un AT, nous vous remercions de bien vouloir nous indiquer si vous auriez un poste à proposer pour reclasser ce salarié dans notre société (réseau intégré + franchise). / Les postes en CDD doivent également être proposés. / Le médecin du travail a déclaré le salarié : "Inapte au poste de monteur en service rapide. Pas de station debout prolongée, pas de travail en position accroupie ou à genoux. Reclassement envisageable à un poste type emploi de bureau." / Merci donc de nous indiquer tout poste disponible dont vous disposeriez, conforme aux recommandations du médecin et susceptible de pouvoir lui être proposé (poste administratif notamment). » ; que par ailleurs, X... K... a relancé les destinataires en cas de défaut de réponse à cette demande de reclassement ; que la cour constate que les courriels ainsi envoyés étaient suffisamment précis en ce qu'ils demandaient aux destinataires de communiquer toute offre de poste disponible conforme aux recommandations du médecin, en spécifiant "poste administratif notamment" ; qu'il importe peu que les réponses apportées à ces courriels n'aient pas été motivées dès lors que ses réponses sont intervenues et qu'une telle motivation n'était pas requise ; que pour contester néanmoins le sérieux de cette recherche de reclassement, F... R... invoque des offres d'embauche de la société SPEEDY FRANCE, postées sur son site speedy.fr en avril 2013, dont il résulte que plusieurs postes étaient disponibles en avril et en juin 2013 au sein de la société ; que cependant, la présence de ces annonces sur le site ne laisse présumer la disponibilité de ces postes qu'en avril et en juin 2013, et faute par le salarié de justifier de la date de mise en ligne de ces offres, la cour ne peut que constater qu'il ne rapporte donc pas la preuve, qui lui incombe, de ce que ces postes étaient bien disponibles lors de la période de recherche de reclassement, soit entre le 12 décembre 2012 et le 1er mars 2013 ; qu'en se basant cette fois-ci sur les registres d'entrée et de sortie de l'entreprise, F... R... fait valoir que plusieurs postes étaient disponibles lors de son licenciement ; qu'il est exact que plusieurs postes d'adjoint au chef de centre étaient disponibles et ont été pourvus durant la période de recherche de reclassement ; que l'employeur fait toutefois juste titre valoir que ces postes n'étaient pas conformes aux recommandations médicales et ne pouvaient donc être proposé à F... R... dans la mesure où il résulte tant des offres d'emploi en question que de la fiche de poste fournie par l'entreprise que l'emploi d'adjoint au chef de centre suppose non seulement un encadrement et un accompagnement au quotidien de l'équipe de mécaniciens dans leurs interventions sur les véhicules, mais également la réalisation des réparations sur ces derniers lorsque cela s'avère nécessaire et/ou en cas de difficulté particulière ; que dès lors, il ne saurait être sérieusement fait grief à la société SPEEDY FRANCE de ne pas avoir proposé ces postes à l'intimé qui était inapte à les occuper, peu important que celui-ci, avant son inaptitude, ait bénéficié d'une formation de nature à lui permettre éventuellement d'obtenir une promotion sur ce type d'emploi ; que concernant les différents postes de responsable d'unité mobile (RUM) qui étaient également disponibles, ils n'étaient pas non plus compatibles avec les recommandations médicales, les offres d'emploi précisant que la mission de ses salariés responsables d'unité mobile est d'intervenir au domicile des clients pour réparer et remplacer des vitrages automobile ; qu'enfin, F... R... évoque deux postes d'employés administratifs en contrat à durée déterminée pourvut le 4 mars 2013, soit 3 jours après que lui a été envoyée sa lettre de licenciement ; qu'il résulte effectivement du registre d'entrée sortie du personnel du siège social de la société Speedy France que l'entreprise a recruté en contrat de travail à durée déterminée en qualité d'employé administratif d'une part B... J..., pour la période du 4 au 15 mars 2013, et d'autre part I... U..., pour la période du 4 au 8 mars 2013 ; qu'il y a cependant lieu de relever que ces embauches sont postérieures au licenciement de l'intéressé, qui en l'état ne démontre aucunement que les postes qui ont été ainsi pourvus étaient bien disponibles avant l'envoi par l'employeur de la lettre de licenciement le 1er mars 2013 ; qu'une telle disponibilité antérieurement à cette date ne saurait en effet se présumer, ces 2 salariés n'ayant travaillé dans l'entreprise que dans le cadre de contrats à durée déterminée de quelques jours pouvant notamment correspondre à un besoin de remplacer inopinément et dans l'urgence un salarié absent notamment pour maladie ; qu'il n'est donc pas établi que ces postes auraient dû être proposés à F... R... au titre de l'offre de reclassement ; qu'en l'état de l'ensemble de ces éléments, la cour considère que la société SPEEDY FRANCE a procédé, comme elle devait, à une recherche sérieuse et personnalité de reclassement au bénéfice de F... R..., recherche qui n'a pu aboutir faute dans ses différents établissements de poste disponible et compatible avec les restrictions d'aptitude retenues par le médecin du travail ; qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré, de dire que le licenciement litigieux pour inaptitude et impossibilité de reclassement était bien fondé sur une cause réelle et sérieuse et de débouter en conséquence F... R... de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement abusif ;
1°) ALORS QUE la recherche des possibilités de reclassement du salarié victime d'un accident du travail, déclaré inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment doit s'apprécier à l'intérieur du groupe auquel appartient l'employeur concerné, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation lui permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel ; qu'en se fondant, pour dire que l'employeur n'avait pas à rechercher un reclassement au sein du groupe Kwik Fit, sur la circonstance inopérante au regard de la notion de groupe de reclassement, que la société Speedy France, rachetée par son président, avait quitté ce groupe en 2011, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du code du travail ;
2°) ALORS QUE l'employeur doit procéder à une recherche effective de reclassement, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutation, transformation de postes ou aménagement du temps de travail ; qu'en se bornant à relever, pour dire que l'employeur avait satisfait à son obligation de recherche d'un reclassement, qu'un courriel mentionnant la situation du salarié et l'avis du médecin du travail avait été adressé à chacun des établissements pour les interroger sur les postes disponibles en leur sein, sans vérifier si l'employeur avait procédé à une recherche effective de reclassement, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutation, transformation de postes ou aménagement du temps de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du code du travail ;
3°) ALORS QUE l'employeur qui dispose d'un poste disponible ne peut refuser de le proposer pour le reclassement d'un salarié sans l'avoir soumis à l'examen du médecin de travail ; qu'en retenant encore que c'était à juste titre que l'employeur n'avait pas proposé au salarié les postes disponibles d'adjoint au chef de centre et de responsable d'unité mobile, qui n'auraient pas été conformes aux recommandations médicales, sans rechercher s'il avait soumis ces postes à l'examen du médecin du travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du code du travail.