LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° K 19-82.954 F-D
N° 1222
SM12
2 SEPTEMBRE 2020
REJET
M. MOREAU conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 2 SEPTEMBRE 2020
M. P... N... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris, en date du 14 mars 2019, qui l'a placé sous surveillance judiciaire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. de Larosière de Champfeu, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. P... N..., et les conclusions de M. Valleix, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 juin 2020 où étaient présents M. Moreau, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. de Larosière de Champfeu, conseiller rapporteur, Mme Drai, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. P... N... a été condamné aux peines suivantes :
- quatre mois d'emprisonnement, par le tribunal correctionnel de Lyon, le 5 septembre 1995, pour des faits de vol avec effraction ;
- six mois d'emprisonnement, par le tribunal correctionnel de Créteil, le 11 mai 2000, pour des faits de violences aggravées ;
- dix ans d'emprisonnement, avec une période de sûreté des deux tiers et privation des droits civiques, civils et de famille pendant dix ans, par la cour d'appel de Paris, le 25 mai 2000, pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et infractions à la législation sur les armes ;
- trois mois d'emprisonnement, par le tribunal correctionnel de Versailles, le 8 septembre 2000, pour des faits de violences aggravées ;
- vingt ans de réclusion criminelle, avec une période de sûreté des deux tiers, par la cour d'assises de Paris, le 17 novembre 2000, pour tentative et complicité de tentative de meurtre sur une personne dépositaire de l'autorité publique et infraction à la législation sur les armes.
3. Dans le cadre de ces procédures, M. N... a été détenu du 3 octobre 1995 au 22 septembre 2018.
4. Le 11 avril 2018, le procureur de la République a requis son placement sous surveillance judiciaire pendant une durée de six ans, six mois et treize jours, correspondant au crédit de réduction de peine et aux réductions supplémentaires de peine qui lui ont été accordées.
5. Par jugement du 6 juillet 2018, le tribunal de l'application des peines de Paris, compétent en matière de terrorisme, a ordonné le placement sous surveillance judiciaire de M. N... à compter de sa libération et pendant cinq ans, avec obligation de respecter les mesures de contrôle prévues à l'article 132-44 du code pénal, d'exercer une activité professionnelle ou de suivre une formation, d'établir sa résidence en un lieu déterminé, de se soumettre à des soins psychologiques, de réparer les dommages causés par l'infraction, de ne pas fréquenter six coauteurs ou complices, de ne pas détenir ou porter d'arme et d'obtenir l'autorisation préalable du juge de l'application des peines avant tout déplacement à l'étranger.
6. Cette décision a été frappée d'appel par le procureur de la République et par le condamné.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
7. Ce grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi, au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Enoncé du grief
8. Ce grief reproche à l'arrêt partiellement confirmatif attaqué d'avoir ordonné le placement sous surveillance judiciaire du condamné pour une période de six ans six mois et treize jours à compter de sa libération, alors que : "les articles 723-29 et 723-31 du code de procédure pénale seront déclarés contraires à la Constitution, notamment aux articles 4 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dont découlent le droit au respect de la liberté individuelle et le principe de légalité des peines, à la suite de la transmission au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par mémoire distinct à l'appui du présent pourvoi ; que la chambre de l'application des peines, en faisant application des dispositions litigieuses, a elle-même violé les articles 4 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen".
Réponse de la Cour
9. La Cour de cassation ayant rejeté, par arrêt du 5 février 2020, la question prioritaire de constitutionnalité posée par le demandeur, visant les articles 723-29 et 723-31 du code pénal, le grief, tiré de l'inconstitutionnalité de ces dispositions législatives, est devenu sans objet.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
10 Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir prononcé au titre de la surveillance judiciaire diverses obligations, dont une injonction de soins et l'obligation de demander l'autorisation du juge de l'application des peines pour tout déplacement à l'étranger, alors :
« 1°/ que l'article 723-29 du code de procédure pénale prévoit que le tribunal de l'application des peines ne peut placer un condamné sous surveillance judiciaire que sur réquisitions du procureur de la République ; qu'il s'en déduit que seules les mesures dont le tribunal a été saisi par réquisitions écrites peuvent être prononcées ; que la chambre de l'application des peines, qui constate que l'obligation de soins n'avait pas été initialement demandée par le parquet mais uniquement requise oralement devant le tribunal de l'application des peines, ne pouvait sans violer le texte susvisé et commettre un excès de pouvoir considérer qu'une telle demande avait valablement saisi le tribunal ;
2°/ que l'article 723-30 du code de procédure pénale prévoit que le condamné placé sous surveillance judiciaire fait l'objet d'une injonction de soins lorsqu'il est établi après expertise médicale qu'il est susceptible de faire l'objet d'un traitement ; que la chambre de l'application des peines constate que les deux experts psychiatres commis dans le cadre de la procédure de placement sous surveillance judiciaire ont conclu que le condamné n'était pas susceptible de faire l'objet d'un traitement (p. 13-14 de l'arrêt) ; qu'en prononçant néanmoins une injonction de soin, la chambre de l'application des peines a violé le texte susvisé ;
3°/ que faute d'avoir justifié sa décision sur chacune des mesures prononcées au titre de la surveillance judiciaire, et notamment sur l'obligation de soin et celle de demander l'autorisation du juge de l'application des peines pour toute sortie du territoire, spécifiquement contestées par le condamné, la chambre de l'application des peines n'a pas suffisamment motivé sa décision. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
11. Les juridictions de l'application des peines, saisies de réquisitions écrites du procureur de la République tendant au placement sous surveillance judiciaire d'un condamné à une peine privative de liberté, peuvent, lorsqu'elles ordonnent cette mesure, l'assortir d'une ou plusieurs des obligations prévues à l'article 723-30 du code de procédure pénale et énumérées aux articles 132-44 et 132-45 du code pénal, sans être aucunement liées par les réquisitions écrites du ministère public.
12. Le grief ne peut donc être accueilli.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
13. L'arrêt attaqué énonce, par motifs propres et adoptés, que les deux experts psychiatres qui ont examiné le condamné estiment, l'un, qu'il ne peut faire l'objet d'aucun traitement, l'autre, qu'il apparaît peu accessible à une démarche d'ordre psychothérapeutique. Pour prononcer, néanmoins, une obligation de soins psychologiques, les juges se fondent sur l'avis du service pénitentiaire d'insertion et de probation, qui relève que cette obligation peut permettre au condamné, suivi par deux psychologues et qui a passé de longues années en détention sans avoir pu bénéficier de permissions de sortir ni d'un retour progressif à la vie sociale, de : "trouver un espace d'échange et de confiance auprès d'une tierce personne", pour l'aider à gérer les difficultés et les obstacles qu'il pourrait rencontrer après sa mise en liberté, et à y réagir de manière appropriée.
14. En l'état de ces motifs dénués d'insuffisance, la chambre de l'application des peines, qui n'était pas liée par les expertises, a justifié sa décision sans encourir le grief allégué.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
15. Le demandeur ne saurait se faire un grief de ce que la chambre de l'application des peines n'aurait pas motivé spécialement les obligations particulières qui lui ont été imposées dans le cadre de la surveillance judiciaire. En effet, l'exigence de motivation doit démontrer la nécessité de la mesure, notamment au regard du risque avéré de récidive. Mais cette exigence échappe au choix des modalités d'application, constituées par les obligations prévues par les articles 132-44 et 132-45 du code pénal, qui sont susceptibles d'être modifiées par le juge de l'application des peines.
16. Il en résulte que le moyen ne peut être accueilli.
17. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le deux septembre deux mille vingt.