LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
IK
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 octobre 2020
Cassation partielle sans renvoi
Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 870 F-D
Pourvoi n° Y 18-12.674
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 OCTOBRE 2020
La société Pharmacie du Kochersberg, société d'exercice libéral par actions simplifiée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° Y 18-12.674 contre l'arrêt rendu le 22 décembre 2017 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à Mme P... E..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.
Mme E... a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Richard, conseiller, les observations de Me Le Prado, avocat de la société Pharmacie du Kochersberg, de la SCP Delvolvé et Trichet, avocat de Mme E..., après débats en l'audience publique du 1er septembre 2020 où étaient présents Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Richard, conseiller rapporteur, M. Maron, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Attendu selon l'arrêt attaqué, qu'engagée à compter du 1er septembre 1986 en qualité de préparatrice en pharmacie par Mme D... exploitant la pharmacie de Willgottheim, devenue après cession du fonds et restructuration la société Pharmacie du Kochersberg, Mme E... a été licenciée pour faute grave le 27 janvier 2015 ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement de diverses sommes avec capitalisation des intérêts le 13 février 2015 ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal de l'employeur :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi incident de la salariée :
Vu l'article 1154 du code civil dans sa version alors applicable, antérieure à l' ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
Attendu que pour débouter la salariée de sa demande de capitalisation des intérêts pour chaque année entière, l'arrêt retient qu'en application de l'article 1153 du code civil, la salariée est fondée à obtenir des intérêts au taux légal, sans capitalisation, sur les créances à caractère salarial à compter du 13 février 2015, date de l'introduction de sa demande ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les seules conditions posées par l'article 1154 du code civil pour que les intérêts échus des capitaux produisent des intérêts étaient que la demande en eût été judiciairement formée et qu'il se fût agi d'intérêts dus au moins pour une année entière, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code procédure civile ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal de la société Pharmacie du Kochersberg ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme E... de sa demande de capitalisation des intérêts, l'arrêt rendu le 22 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Dit que les intérêts au taux légal des sommes dues par la société Pharmacie du Kochersberg de 9 091,53 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de 34 850,89 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement et de 1 616,32 euros à titre de rémunération de la période de mise à pied conservatoire seront capitalisés à compter du 13 février 2015 dans les conditions de l'article 1154 du code civil ;
Condamne la société Pharmacie du Kochersberg aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Pharmacie du Kochersberg et la condamne à payer à Mme E... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze octobre deux mille vingt.
Le conseiller rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit, au pourvoi principal, par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour la société Pharmacie du Kochersberg
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué :
D'AVOIR jugé que le licenciement de la salariée ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse et condamné l'employeur à lui verser différentes sommes à titre d'indemnités de rupture, de rappel de salaire pour la mise à pied à titre conservatoire et à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
AUX MOTIFS QUE «contrairement à ce que prétend la salariée intimée, ne sont pas prescrits les faits reprochés comme étant commis à compter du 8 novembre 2014. Au cinquième soutien de sa contestation, la salariée intimée nie les faits à elle imputés, dès lors que l'employeur, pour donner un effet immédiat à sa décision de licenciement en se dispensant des obligations de préavis et d'indemnisation, a présenté les faits comme constitutifs d'une faute grave, il lui incombe d'en apporter la preuve dans les termes de la lettre de licenciement. Dans les deux premiers motifs de la lettre de licenciement, la société appelante a articulé les griefs suivants : "Ainsi, le 2 janvier 2015 vous avez délivré une boîte d'amlodipine 10 mg au lieu d'une boîte d'amlodipine 5 mg à une patiente de la maison d'accueil du Kochersberg. Cette erreur aurait pu avoir des conséquences graves, l'amlodipine étant un inhibiteur calcique dont le surdosage peut aller jusqu'à la mort (Vidal ® 2014, paragraphe surdosage). De même, le 2 janvier 2015, toujours pour la maison d'accueil du Kochersberg, vous avez délivré du Dafalgan ® 1 g en comprimé, alors qu'il était précisé par le médecin en toutes lettres sur l'ordonnance que la patiente "ne veut que des gélules" et que ce dernier avait prescrit du Dafalgan ® à 500 mg en gélules". La matérialité de ces deux faits n'est pas discutée seule leur imputabilité est contestée en ce que la salariée intimée affirme qu'ont été traitées globalement, par elle-même et par le pharmacien X..., les prescriptions à destination des pensionnaires de la maison de retraite du Kochersberg. Mais la société appelante produit les factures correspondant à chacune des prescriptions, lesquelles désignent l'opérateur par le code attribué à Madame P... B... d'une part, et portent mention des non-conformités relevées par l'infirmière de la maison de retraite à la livraison des médicaments d'autre part. Il en résulte la preuve que si la livraison des médicaments a été globale, leur délivrance s'est opérée au vu de chacune des ordonnances individualisées et que les non- conformités sont imputables à la salariée intimée (
). Dans le quatrième motif, le grief suivant a été énoncé : "Le 5 décembre 2014, vous avez délivré duNoctamide®2mg au lieu du Noctamide® 1 mg prescrit par le médecin. Vous doublez donc le dosage de ce produit hypnotique au mépris des conséquences potentielles d'un surdosage de produit hypnotique ". La salariée intimée conteste l'imputation qui lui est faite, et elle affirme que la délivrance en cause a été opérée par le dirigeant de la société appelante. Mais la salariée intimée n'apporte aucun élément au soutien de son assertion tandis que la société appelante produit la facture mentionnant la délivrance reprochée et désignant Madame P... E... par le code opérateur qui lui a été attribué (
). Dans le sixième motif, il a été énoncé ce qui suit: "De la même manière, le 01 décembre 2014 vous avez délivré 4 boîtes de Seresta® 10 mg, produit anxiolitique, au lieu de deux boîtes prescrites, Vous savez que le Seresta® peut créer une dépendance physique et psychique, il est donc impératif de ne pas donner au patient plus de boîtes que le médecin n'en a prescrit, pour ne pas majorer ce risque ". La salariée intimée invoque une erreur de saisie informatique. Elle suppose que si la délivrance avait été excessive, l'erreur aurait été relevée par l'infirmière de la maison de retraite du Kochersberg lors de la réception. Mais elle n'apporte aucun élément au soutien de ses supputations. En revanche, le fait est établi par la facture correspondante, qui est versée aux débats et qui porte mention du code d'opérateur attribué à la salariée intimée (..). Dans le neuvième motif, l'employeur a fait le grief suivant : " Le 5 décembre 2014, vous substituez du Cacit® D3 dosé à 500 mg/440 UI par un médicament générique dont le dosage n'est pas le même que celui prescrit (500 mg/400UI) en méconnaissant la prescription du médecin''. La salariée intimée conteste avoir personnellement procédé à la substitution reprochée qu'elle dit être le fait du pharmacien X.... Mais rien n'étaye l'association de la salariée intimée tandis que la facture correspondante la désigne comme l'opérateur qui a exécuté l'ordonnance du médecin (..). Dans le douzième motif, l'employeur a énoncé le fait suivant : "Le 22 décembre 2014, vous avez délivré une ordonnance, en oubliant de délivrer un des produits prescrits, à savoir du Ramipril®, un traitement contre la tension que le médecin venait d'instaurer et qui figurait sur l'ordonnance. Le médecin s'est rendu compte de cet oubli et nous l'a vigoureusement fait remarquer, en nous rappelant les conséquences potentielles de cette omission (qui aurait pu aller jusqu'au décès du patient par AVC) ". L'omission reprochée est établie par la comparaison entre l'ordonnance du médecin et la facture qui a été édictée par la salariée intimée. Au demeurant, l'omission n'est pas contestée par la salariée. En définitive, peuvent seuls être retenus à charge de la salariée intimée les faits énoncés dans les premier, deuxième, quatrième, sixième, neuvième et douzième motifs de la lettre de licenciement. La salariée intimée en conteste le caractère fautif à deux égards. D'une part, la salariée intimée invoque son manque de formation à l'emploi d'un nouveau logiciel de gestion et de facturation. Si elle est mal fondée en sa prétention à des dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation de formation, comme il est dit supra, elle souligne à bon escient que sa formation au logiciel Winpharma s'est limitée aux deux journées des 3 et 4 novembre 2014, assurées sur place par Monsieur J... V... ultérieurement devenu le dirigeant de la société appelante. La salariée intimée produit l'attestation par laquelle le client S... O... a rapporté les difficultés que le 14 novembre 2014, le pharmacien X... éprouvait lui-même dans l'emploi du logiciel dont il avait équipé son officine, l'attestation par laquelle la cliente M... U... épouse I... a rapporté une difficulté de délivrance de médicament le 28 novembre 2014 à raison du logiciel, et l'attestation par laquelle la cliente F... G... épouse R... a relaté avoir senti Madame E... perturbée dans l'emploi du nouveau logiciel. Il en résulte la preuve de l'insuffisance de la formation dispensée. D'autre part, la salariée intimée fait valoir les dispositions de l'article L.4241-1 du code de la santé publique selon lesquelles un préparateur en pharmacie assume les tâches d'assistance dans la préparation et la délivrance des médicaments sous la responsabilité et le contrôle effectif d'un pharmacien. Ces dispositions n'imposent pas un double contrôle systématique dans la délivrance de médicaments, contrairement à ce que soutient la salariée intimée, même si cette pratique est préconisée pour l'obtention de certains certificats de qualité. Elles imposent néanmoins un contrôle effectif des délivrances de médicaments accomplies par un préparateur en pharmacie. Or, non seulement la société appelante ne justifie pas des modalités du contrôle effectif qu'elle devait faire assurer par un pharmacien sur les délivrances de médicaments par Madame B... épouse E..., mais elle ne prétend pas même avoir adopté ce contrôle aux difficultés liées à l'emploi d'un nouveau logiciel dans son officine. Ni l'insuffisance de formation, ni le défaut d'adaptation du contrôle aux difficultés liées à l'emploi d'un nouveau logiciel n'enlèvent tout caractère fautif aux six faits établis à charge de la salariée intimée. Mais au regard de ces deux circonstances, alors que l'employeur aurait dû s'assurer de la complétude de la formation dispensée à la salariée intimée et adapter son contrôle aux difficultés qu'elle éprouvait dans les premiers temps de l'emploi d'un nouveau logiciel, le licenciement s'avère une sanction disproportionnée aux fautes commises. En conséquence, le licenciement doit être déclaré sans cause réelle et sérieuse. La salariée intimée est dès lors fondée à obtenir l'indemnisation du préjudice que lui a fait subir le licenciement abusivement prononcé. Au vu des éléments que produit la salariée intimée sur l'étendue de son préjudice, une exacte évaluation conduit la Cour à fixer au montant de 18 183,06 €, auquel Madame E... limite sa prétention, les dommages et intérêts qui l'indemniseront en application de l'article L. 1235-5 du code du travail. La salariée intimée est également fondée à obtenir une indemnité compensatrice de préavis dont la privation s'avère injustifiée, ainsi qu'une indemnité conventionnelle de licenciement, et ce pour les montants non critiqués et exactement calculés par les premiers juges. La salariée intimée est enfin fondée à obtenir la rémunération de la période de mise à pied conservatoire qui s'avère injustifiée et que son employeur dit «avoir observée du 8 au 29 janvier 2015 » ;
1. ALORS QUE la faute grave se définit comme un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis ; que constitue une faute grave le fait pour un salarié, préparateur en pharmacie statut cadre ayant 29 ans d'ancienneté, de délivrer à plusieurs reprises des médicaments différents de ceux figurant sur l'ordonnance ou dans des dosages non conformes aux prescriptions médicales et de s'abstenir de délivrer des médicaments prescrits ; que la cour d'appel a relevé que la salariée avait de manière répétée entre le 8 novembre 2014 et le 8 janvier 2015, délivré des médicaments qui ne correspondaient pas à l'ordonnance médicale, n'avait pas respecté les doses médicales prescrites et s'était abstenue de délivrer les médicaments pourtant prescrits ; que la cour d'appel aurait dû déduire de ses propres constatations que la salariée, préparateur en pharmacie depuis 29 ans et bénéficiant du statut cadre, avait commis une faute grave, ses agissements pouvant avoir des conséquences sérieuses, voire mortelles, pour les patients concernés ; qu'en décidant le contraire au motifs inopérants d'une insuffisance de formation et d'un défaut d'adaptation du contrôle par l'employeur du nouveau logiciel utilisé, la cour d'appel a violé les articles L.1234-1, L.1234-5, L.1234-9 et L.1235-5 du code du travail dans leur rédaction en vigueur ;
2. ALORS, en toute hypothèse, QUE les manquements répétés du salarié à ses obligations contractuelles constituent une faute justifiant un licenciement disciplinaire; que la cour d'appel qui a expressément relevé que la salariée, cadre, avait commis plusieurs fautes en délivrant à plusieurs reprises des médicaments différents de ceux figurant sur l'ordonnance ou dans des dosages non conformes aux prescriptions médicales et s'était abstenue de délivrer des médicaments pourtant prescrits, ce qui aurait pu avoir des conséquences très graves pour les patients concernés, aurait dû déduire à tout le moins de ses propres constatations que les fautes commises justifiaient un licenciement disciplinaire pour faute simple ; que la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres énonciations, a violé les articles L.1235-1 et L.1235-5 dans leur rédaction en vigueur ;
3. ALORS, à titre subsidiaire, QUE les juges du fond ne peuvent se déterminer au seul visa des documents de la cause sans les analyser même sommairement ; que pour fixer à la somme de 18 183,06 euros le montant des dommages et intérêts à octroyer à la salariée engagée dans une entreprise de moins de onze salariés au titre du licenciement abusif, la cour d'appel a affirmé qu'« au vu des éléments produits, une exacte évaluation conduit la cour » à fixer à cette somme, le montant de la condamnation de l'employeur ; qu'en statuant ainsi, au seul visa des documents de la cause sans les analyser même sommairement, la cour d'appel a entaché sa décision d'un vice de motivation et a violé l'article 455 du code de procédure civile. Moyen produit, au pourvoi incident, par la SCP Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour Mme E...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme E... de sa demande de capitalisation des intérêts pour chaque année entière ;
Aux motifs que la salariée intimée tente vainement d'attribuer à ses créances un caractère alimentaire ; qu'en application de l'article 1153 du code civil, elle est néanmoins fondée à obtenir des intérêts au taux légal, sans capitalisation, sur les créances à caractère salariale à compter du 13 février 2015, date de l'introduction de sa demande qui a les effets d'une mise en demeure ;
Alors qu' en application de l'article 1154 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, devenu article 1343-2, les seules conditions pour que les intérêts échus des capitaux produisent des intérêts, sont que la demande en ait été judiciairement formée et qu'il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; et qu'en déboutant Mme E... de sa demande de capitalisation des intérêts dus à compter du 13 février 2015, régulièrement formée devant le conseil de prud'hommes (jugement entrepris p. 2) et réitérée devant la cour d'appel (conclusions d'appel p. 34 et 36), capitalisation qui était de droit, la cour d'appel a violé l'article 1154 du code civil.
Le greffier de chambre