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02/06/2021 | FRANCE | N°19-14954;19-14959;19-14962

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 02 juin 2021, 19-14954 et suivants


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 juin 2021

Cassation partielle

M. CATHALA, président

Arrêt n° 651 FS-D

Pourvois n°
X 19-14.954
C 19-14.959
F 19-14.962 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 JUIN 2021

1°/ M. [N] [X], domicilié [Adress

e 1],

2°/ [X] [N], ayant été domicilié [Adresse 2], décédé le [Date décès 1] 2020, aux droits duquel viennent :

- Mme [G] [W], épouse [N], domiciliée...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 juin 2021

Cassation partielle

M. CATHALA, président

Arrêt n° 651 FS-D

Pourvois n°
X 19-14.954
C 19-14.959
F 19-14.962 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 JUIN 2021

1°/ M. [N] [X], domicilié [Adresse 1],

2°/ [X] [N], ayant été domicilié [Adresse 2], décédé le [Date décès 1] 2020, aux droits duquel viennent :

- Mme [G] [W], épouse [N], domiciliée [Adresse 3],

- Mme [J] [N], domiciliée [Adresse 4],

- Mme [U] [N], épouse [E], domiciliée [Adresse 5],

- M. [P] [N], domicilié [Adresse 6],

tous quatre agissant en leur qualité d'héritiers de [X] [N],

3°/ M. [M] [D], domicilié [Adresse 7],

ont formé respectivement les pourvois n° X 19-14.954, C 19-14.959 et F 19-14.962 contre trois arrêts rendus le 8 novembre 2018 par la cour d'appel de Pau (chambre sociale), dans les litiges les opposant à la société Electricité de France (EDF), société anonyme, dont le siège est [Adresse 8],

défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation communs annexés au présent arrêt.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Duval, conseiller référendaire, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de MM. [X] et [D] et de Mmes [N], [E] et M. [N], ès qualités, de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société Electricité de France, et l'avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 avril 2021 où étaient présents M. Cathala, président, M. Duval, conseiller référendaire rapporteur, Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen, M. Ricour, Mmes Van Ruymbeke, Capitaine, Gilibert, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° X 19-14.954, C 19-14.959 et F 19-14.962 sont joints.

Reprise d'instance

2. S'agissant du pourvoi n° C 19-14.959, il est donné acte à Mmes [N] et [E] et à M. [N] de leur reprise d'instance en qualité d'héritiers de [X] [N], décédé le [Date décès 1] 2020.

Faits et procédure

3. Selon les arrêts attaqués (Pau, 8 novembre 2018), M. [X] et deux autres anciens salariés de la société Electricité de France (EDF), qui ont été employés au sein de la centrale thermique d'[Localité 1], ont saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir des dommages-intérêts en réparation de leur préjudice d'anxiété en invoquant avoir été exposés, du fait de leur employeur, à l'inhalation de poussières d'amiante. Ils ont également sollicité la délivrance de diverses attestations d'exposition à des agents cancérogènes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Les demandeurs aux pourvois font grief aux arrêts de les débouter de leur demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice d'anxiété, alors « que le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir en réparation de son préjudice d'anxiété contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; qu'en l'espèce, pour débouter les anciens salariés d'EDF de leur demande en réparation de leur préjudice d'anxiété, la cour d'appel a énoncé qu'un salarié exposé à l'amiante dans une entreprise non listée ACAATA ne peut prétendre à l'indemnisation du préjudice d'anxiété, cette indemnisation étant réservée aux salariés ayant travaillé dans des entreprises listées ACAATA et que tel n'était pas le cas des demandeurs, anciens salariés d'EDF, entreprise non inscrite sur la liste ministérielle des établissements ouvrant droit à ce dispositif ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, applicable au litige :

5. Il résulte de ces textes que le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, en application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, pour manquement de ce dernier à cette obligation, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 modifiée.

6. Pour rejeter les demandes de dommages-intérêts en réparation du préjudice d'anxiété, les arrêts retiennent que le préjudice moral résultant pour un salarié du risque de développer une maladie induite par son exposition à l'amiante est constitué par le seul préjudice d'anxiété dont l'indemnisation n'est ouverte qu'au salarié ayant travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante et qui répare l'ensemble des troubles psychologiques résultant de la connaissance d'un tel risque. Ils en déduisent que sauf dans le cadre de la prise en charge d'une maladie professionnelle découlant d'une exposition à l'amiante, un salarié exposé à l'amiante dans une entreprise non listée ACAATA ne peut prétendre à l'indemnisation du préjudice d'anxiété qui recouvre l'ensemble des préjudices moraux et psychologiques résultant d'une exposition à l'amiante, y compris sur le fondement d'un manquement à l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur. Ils constatent qu'il n'est pas contesté qu'EDF n'est pas classée ACAATA et que les intéressés n'ont jamais été employés par une telle entreprise.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le second moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

8. Les demandeurs aux pourvois font grief aux arrêts de les débouter de leur demande de remise de l'attestation d'exposition à des agents cancérogènes, alors :

« 1°/ que l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale dispose que la personne qui, au cours de son activité salariée, a été exposée à des agents cancérogènes ou à des rayonnements ionisants peut demander, si elle est inactive, demandeur d'emploi ou retraitée, à bénéficier d'une surveillance médicale post-professionnelle prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie ou l'organisation spéciale de sécurité sociale et que cette surveillance post-professionnelle est accordée uniquement sur production par l'intéressé d'une attestation d'exposition remplie par l'employeur et le médecin du travail ; que ce texte créé par le décret du 26 mars 1993 a vocation, dès son entrée en vigueur, à faire bénéficier toutes les personnes inactives, demandeurs d'emploi ou retraitées d'une surveillance médicale renforcée lorsqu'elles ont été exposées à des agents cancérogènes au cours de leur activité salariée ; qu'en subordonnant la remise d'une attestation d'exposition par l'employeur et ainsi le bénéfice de la surveillance médicale renforcée qu'elle permet d'accorder à un ancien salarié à la condition que ce dernier ait cessé son activité postérieurement à la date d'entrée en vigueur du texte, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas et violé l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale ;

2°/ que le principe de non-rétroactivité des lois et règlements interdit de porter atteinte à un droit acquis ou de remettre en cause la validité ou les effets d'une situation régulièrement constituée sous l'empire du droit antérieur ; que tel n'est pas le cas de l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale qui se borne à accorder une surveillance médicale renforcée à une personne inactive, demandeur d'emploi ou retraitée ayant été exposée à des agents cancérogènes durant son activité salariée à la condition que son ancien employeur lui délivre une attestation d'exposition à ces substances nocives ; qu'en jugeant qu'en application du principe de non-rétroactivité de la loi, un salarié placé en inactivité avant la date d'entrée en vigueur du texte instaurant le droit à une surveillance médicale renforcée ne pouvait prétendre se voir délivrer par son ancien employeur l'attestation d'exposition permettant d'en bénéficier, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 2 du code civil et par refus d'application l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale :

9. Aux termes de ce texte, la personne qui au cours de son activité salariée a été exposée à des agents cancérogènes figurant dans les tableaux visés à l'article L. 461-2 du code de la sécurité sociale ou au sens de l'article R. 4412-60 du code du travail ou à des rayonnements ionisants dans les conditions prévues à l'article R. 4451-1 du même code peut demander, si elle est inactive, demandeur d'emploi ou retraitée, à bénéficier d'une surveillance médicale post-professionnelle prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie ou l'organisation spéciale de sécurité sociale. Cette surveillance post-professionnelle est accordée par l'organisme mentionné à l'alinéa précédent sur production par l'intéressé d'une attestation d'exposition remplie par l'employeur et le médecin du travail. Le modèle type d'attestation d'exposition et les modalités d'examen sont fixés par arrêté.

10. Ce dispositif a été créé par le décret n° 93-644 du 26 mars 1993 modifiant et complétant certaines dispositions du code de la sécurité sociale et relatif à la surveillance post-professionnelle. Ce décret ne contient pas de dispositions particulières relatives à son entrée en vigueur. Le modèle d'attestation et les modalités de la surveillance médicale post-professionnelle ont été fixés par un arrêté du 28 février 1995 publié au Journal officiel du 22 mars 1995.

11. Le bénéfice de la surveillance médicale post-professionnelle nécessitant la production d'une attestation d'exposition remplie par l'employeur et le médecin du travail, les personnes visées à l'article D. 461-25 peuvent demander la délivrance de cette attestation quand bien même elles auraient quitté l'entreprise ou l'établissement au sein duquel l'exposition a eu lieu avant le 22 mars 1995. Aucune obligation à caractère rétroactif n'est ainsi imposée à l'employeur dès lors que l'attestation ne recense que des éléments d'information relatifs aux expositions aux agents visés par cet article.

12. Pour rejeter les demandes de remise de l'attestation d'exposition aux agents cancérogènes, les arrêts retiennent que l'obligation pour l'employeur de remettre au salarié exposé à ces agents, notamment lorsqu'il part à la retraite, instaurée par le décret du 26 mars 1993 complété par l'arrêté du 28 février 1995, est devenue opposable à l'employeur à compter du 22 mars 1995, date de publication de cet arrêté au Journal officiel, que les demandeurs aux pourvois ont été placés en inactivité avant l'entrée en vigueur du texte imposant la délivrance de cette attestation, que le principe de non-rétroactivité s'oppose à ce qu'il soit fait droit à leur demande.

13. En statuant ainsi, par des motifs inopérants tirés du principe de non-rétroactivité de la loi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils déboutent les demandeurs aux pourvois de leurs demandes de dommages-intérêts en réparation du préjudice d'anxiété et de remise de l'attestation d'exposition aux agents cancérogènes, les arrêts rendus le 8 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

Remet, sur ces points, les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Condamne la société Electricité de France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Electricité de France à payer aux demandeurs aux pourvois ou leurs ayants droit la somme globale de 300 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux juin deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens communs produits par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat aux Conseils, pour MM. [X] et [D] et les ayants droits de [X] [N], demandeurs aux pourvois n° X 19-14.954, C 19-14.959 et F 19-14.962 sont joints.

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est reproché aux arrêts attaqués d'avoir débouté chacun des demandeurs aux pourvois de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété ;

AUX MOTIFS QUE l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA), créé par la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999, a pour objectif de permettre aux travailleurs de l'amiante de partir de façon anticipée à la retraite, en compensant la perte éventuelle des droits à la retraite qu'ils peuvent subir, découlant d'un risque d'espérance de vie plus courte en raison de l'inhalation de fibres d'amiante ; que seuls peuvent prétendre au versement de cette prestation, les salariés travaillant ou ayant travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi précitée et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où l'amiante et des matériaux contenant de l'amiante étaient fabriqués et ou traités ; que de même, il est de jurisprudence désormais constante, que le préjudice moral résultant pour un salarié du risque de développer une maladie induite par son exposition à l'amiante est constitué par le seul préjudice d'anxiété dont l'indemnisation, qui n'est ouverte qu'au salarié qui a travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, répare l'ensemble des troubles psychologiques résultant de la connaissance d'un tel risque ; qu'il en résulte que, sauf dans le cadre de la pris en charge d'une maladie professionnelle découlant d'une exposition à l'amiante, un salarié exposé à l'amiante dans une entreprise non listée ACAATA ne peut prétendre à l'indemnisation du préjudice d'anxiété qui recouvre l'ensemble des préjudices moraux et psychologiques résultant d'une exposition à l'amiante, y compris sur le fondement d'un manquement à l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur ; qu'en l'espèce, [le salarié] ne conteste pas le fait qu'EDF ne soit pas classée ACAATA mais soutient que cette situation crée une inégalité de traitement en sa défaveur dans la mesure où, bien qu'exposé à l'amiante comme les salariés qui travaillaient dans un établissement listé ACAATA, il ne peut pas, à la différence de ceux-ci, être indemnisé de son préjudice d'anxiété ; qu'il maintient sa demande en réparation du préjudice d'anxiété et du préjudice résultant d'une exposition fautive à l'amiante (pages 9 et 81 de ses conclusions reprises oralement à l'audience) sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle ?article 1147 du code civil pris dans numérotation ancienne? et sur les articles L. 4121-1 et suivants du code du travail ; qu'il soutient que ce préjudice est d'autant plus établi qu'en 2013, sur les 115 victimes de l'amiante qui avaient été employées au sein de la centrale d'[Localité 1], 33 sont décédés des suites d'une maladie professionnelle liée à ce matériau ; qu'il affirme que la faute de l'employeur au regard du manquement à l'obligation de sécurité de résultat se caractérise : - d'une part, par une méconnaissance des mesures réglementaires sur l'hygiène et la sécurité qui a eu pour effet de l'exposer à un risque d'inhalation des poussières d'amiante, sans mise en oeuvre effective par l'employeur des moyens de protection adaptés pour supprimer ou réduire ce risque ; - d'autre part, par un défaut d'information sur les risques encourus alors que l'information était rendue obligatoire pour les entreprises utilisatrices d'amiante depuis le décret du 17 août 1977 ; qu'il ajoute que la société EDF, du fait de son activité, ne pouvait ignorer la présence d'amiante sur le lieu de travail de ses salariés et était particulièrement avertie des dispositions légales et de l'état des connaissances scientifiques sur les graves maladies provoquées par ce matériau et ce, dès son embauche ; que cependant : dès lors qu'il a déjà été rappelé aux termes d'une jurisprudence constante : - que d'une part, le préjudice dit d'anxiété recouvre l'ensemble des préjudices moraux et psychologiques et/ou les troubles dans les conditions d'existence nés de l'exposition à l'amiante ; que d'autre part, que la réparation de ce préjudice « spécifique » est réservée aux salariés ayant travaillé dans des entreprises listées ACAATA ; que par ailleurs, [le salarié] n'a jamais été employé par une telle entreprise ; qu'en outre, pour être mise en oeuvre la responsabilité contractuelle de droit commun impose, notamment la démonstration d'un préjudice réparable ; qu'enfin, [le salarié] invoque vainement le principe d'égalité de traitement qui ne peut se concevoir qu'entre salariés placés dans une situation identique ou similaire ce qui n'est précisément pas le cas des salariés ayant travaillé pour le compte d'une entreprise listées à l'ACAATA et de ceux dont l'employeur ne figure pas sur cette liste ; que l'intimé doit être débouté de sa demande d'indemnisation du préjudice qu'il qualifiait d'exposition en première instance et d'anxiété devant la cour ;

1) ALORS QUE le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir en réparation de son préjudice d'anxiété contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; qu'en l'espèce, pour débouter les anciens salariés d'EDF de leur demande en réparation de leur préjudice d'anxiété, la cour d'appel a énoncé qu'un salarié exposé à l'amiante dans une entreprise non listée ACAATA ne peut prétendre à l'indemnisation du préjudice d'anxiété, cette indemnisation étant réservée aux salariés ayant travaillé dans des entreprises listées ACAATA et que tel n'était pas le cas des demandeurs, anciens salariés d'EDF, entreprise non inscrite sur la liste ministérielle des établissements ouvrant droit à ce dispositif ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 ;

2) ALORS QU'en supposant que tel est le sens des motifs, les juges du fond sont tenus de motiver leur décision et ne peuvent ni statuer par simple affirmation, ni débouter une partie de ses demandes, sans analyser, ni même viser, les pièces sur lesquelles ils fondent leur décision ; qu'en l'espèce, pour débouter les anciens salariés d'EDF de leur demande d'indemnisation du préjudice d'anxiété, la cour d'appel a énoncé que la mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle de droit commun imposait la démonstration d'un préjudice réparable ; qu'en statuant ainsi, par voie d'affirmation générale, sans analyser, fût-ce sommairement, ni même mentionner, les éléments de preuve produits par les salariés et dont ils se prévalaient expressément dans leurs conclusions, notamment les attestations de proches, pour justifier de l'angoisse ressentie du fait de leur exposition à l'inhalation de fibres d'amiante, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est reproché aux arrêts attaqués d'avoir débouté chacun des demandeurs au pourvoi de sa demande tendant à la remise de l'attestation d'exposition à des agents cancérogènes ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE la société EDF s'oppose à la remise des attestations d'exposition aux agents CMR et agents chimiques dangereux au motif que le salarié serait parti à la retraite avant toute mise en place de règles prévoyant la délivrance de toute attestation et qu'en tout état de cause, le salarié s'abstiendrait de rapporter la preuve qu'il a été exposé aux produits litigieux ; que Monsieur [?.], retraité depuis le [ ], maintient sa demande formée contre EDF de remise des attestations d'exposition aux agents chimiques dangereux et aux CMR au motif qu'il incombe à l'employeur d'assurer la traçabilité des expositions aux agents chimiques dangereux, et ou agents cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction ; qu'il précise que cette obligation relève de l'obligation générale de sécurité prévue par les dispositions de l'article L. 4121-1 et suivants du code du travail, dont l'employeur ne peut s'exonérer s'agissant, d'un principe général de prévention ; qu'il fonde sa demande sur les articles : D. 461-25 du code de la sécurité sociale qui prévoit que : 'La personne qui au cours de son activité salariée a été exposée à des agents cancérogènes figurant dans les tableaux visés à l'article L. 461-2 du code de la sécurité sociale ou au sens de l'article R. 231-56 du code du travail et de l'article 1er du Décret du 2 octobre 1986, peut demander, si elle est inactive, demandeur d'emploi ou retraitée, à bénéficier d'une surveillance médicale post professionnelle prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie ou l'organisation spéciale de la sécurité sociale. (...) Cette surveillance est accordée par l'organisme mentionné à l'alinéa précédent sur production par l'intéressé d'une attestation d'exposition remplie par l'employeur et le médecin du travail' ; R. 4412-58 du code du travail pris dans sa rédaction antérieure au 30 janvier 2012 ; qu'il conteste que la remise de ces attestations soit subordonnée à la preuve de l'exposition à ces substances par le salarié ; qu'il ajoute que diverses notes internes à EDF GDF rappelaient l'obligation de délivrer systématiquement des attestations d'exposition à un risque cancérogène à tout salarié, ayant occupé un emploi faisant partie de la liste des emplois exposés et qu'en tout état de cause, la société employeur ne peut se retrancher derrière l'absence d'outil d'information alors qu'elle dispose d'une matrice intitulée « MATEX » pouvant retracer toutes les expositions, poste par poste ; que l'attestation d'exposition a pour seul objet la prise en charge financière par les organismes de sécurité sociale de la surveillance médicale post professionnelle des salariés ; que sa production permet ainsi : - de faire procéder à des examens médicaux très réguliers sur la personne exposée afin de dépister précocement une éventuelle pathologie, - de ne pas faire supporter aux salariés le coût important de ces examens automatiquement réalisés en cas d'exposition avérée ; que l'obligation pour l'employeur de délivrer des attestations d'exposition s'est construite dans le code du travail de la façon suivante : * le décret du 26 mars 1993, complété par son arrêté d'application du 28 février 1995, publié au Journal Officiel le 22 mars 1995, a créé l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale ainsi rédigé : 'La personne qui au cours de son activité salariée a été exposée à des agents cancérogènes au sens de l'article R. 231-56 du code du travail et de l'article 1er du décret n° 86-1103 du 2 octobre 1986 peut demander, si elle est inactive, demandeur d'emploi ou retraitée, à bénéficier d'une surveillance médicale post professionnelle prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie ou l'organisation spéciale de sécurité sociale. Les dépenses correspondantes sont imputées sur le fonds d'action sanitaire et sociale. Cette surveillance post professionnelle est accordée par l'organisme mentionné à l'alinéa précédent sur production par l'intéressé d'une attestation d'exposition remplie par l'employeur et le médecin du travail. Le modèle type d'attestation d'exposition et les modalités d'examen sont fixés par arrêté' ; * le décret du 4 janvier 1995 a élargi le champ d'application du texte aux situations d'exposition aux agents cancérogènes figurant dans les tableaux de maladie professionnelle visés à l'article L. 461-2 du code de la sécurité sociale ; * le décret du 1er février 2001, publié le 3 février 2001, au Journal Officiel, a établi les règles particulières de prévention des risques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction en créant dans le code du travail, l'article R. 231-56-11 (ancienne numérotation) imposant à l'employeur notamment de délivrer au salarié une attestation d'exposition aux produits cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction ; * le décret du 23 décembre 2003, publié le 28 décembre 2003 au Journal Officiel, entré en vigueur le 1er juillet 2004 - premier jour du septième mois suivant la publication du présent décret au Journal Officiel - relatif à la prévention du risque chimique a étendu la délivrance de l'attestation aux agents chimiques dangereux, obligation reprise par l'article R. 4412-58 du code du travail après sa recodification qui prévoyait que 'une attestation d'exposition aux produits chimiques dangereux mentionnées à l'article R. 4412-40, remplie par l'employeur et le médecin du travail, est remise au travailleur à son départ de l'établissement, quel qu'en soit le motif' ; * le décret du 30 janvier 2012, publié au Journal Officiel le 31 janvier 2012, entré en vigueur le 1er février 2012, tirant les conséquences de la création de la fiche prévue à l'article L. 4121-3-1 du code du travail a abrogé les articles R. 4412-58 et R. 4412-40 à R. 4412-43 du même code et a prévu en son article 4 que 'l'attestation d'exposition aux agents chimiques dangereux établie pour l'application de l'article R. 4412-58 jusqu'à la date d'entrée en vigueur du présent décret est remise au travailleur à son départ de l'établissement' ; qu'il en résulte que sur le fondement de l'article 2 du code civil selon lequel 'la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif', les attestations ne peuvent être délivrées qu'aux salariés ayant quitté l'entreprise à compter du 22 mars 1995 pour les agents cancérogènes (qui ont pris ensuite la dénomination d'agents CMR) et du 1er juillet 2004 pour les agents chimiques dangereux ; * pour la remise d'exposition aux agents chimiques dangereux : que Monsieur [?]., a été placé en inactivité en [?], soit avant l'entrée en vigueur du texte imposant la délivrance de cette attestation ; que par application du principe de non rétroactivité de la loi, il convient de le débouter de sa demande de remise d'attestation d'exposition aux agents chimiques dangereux et de confirmer le jugement attaqué ; * pour la remise d'exposition aux agents CMR : que comme rappelé précédemment, l'obligation pour l'employeur ? dont le salarié est exposé à des agents cancérogènes ? de remettre une attestation au salarié, notamment lorsqu'il part à la retraite, a été instaurée par le décret du 26 mars 1993, complété par l'arrêt du 28 février 1995 qui est devenue opposable à l'employeur le 22 mars 1995 ; qu'or, [le salarié] a été placé en inactivité en décembre 1994, soit avant l'entrée en vigueur du texte imposant la délivrance de cette attestation ; que par application du principe de non rétroactivité de la loi, il convient de le débouter de sa demande de remise d'attestation aux agents cancérogènes et d'infirmer le jugement attaqué ;

1) ALORS QUE l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale dispose que la personne qui, au cours de son activité salariée, a été exposée à des agents cancérogènes ou à des rayonnements ionisants peut demander, si elle est inactive, demandeur d'emploi ou retraitée, à bénéficier d'une surveillance médicale post-professionnelle prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie ou l'organisation spéciale de sécurité sociale et que cette surveillance post-professionnelle est accordée uniquement sur production par l'intéressé d'une attestation d'exposition remplie par l'employeur et le médecin du travail ; que ce texte créé par le décret du 26 mars 1993 a vocation, dès son entrée en vigueur, à faire bénéficier toutes les personnes inactives, demandeurs d'emploi ou retraitées d'une surveillance médicale renforcée lorsqu'elles ont été exposées à des agents cancérogènes au cours de leur activité salariée ; qu'en subordonnant la remise d'une attestation d'exposition par l'employeur et ainsi le bénéfice de la surveillance médicale renforcée qu'elle permet d'accorder à un ancien salarié à la condition que ce dernier ait cessé son activité postérieurement à la date d'entrée en vigueur du texte, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas et violé l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale ;

2) ALORS QUE le principe de non-rétroactivité des lois et règlements interdit de porter atteinte à un droit acquis ou de remettre en cause la validité ou les effets d'une situation régulièrement constituée sous l'empire du droit antérieur ; que tel n'est pas le cas de l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale qui se borne à accorder une surveillance médicale renforcée à une personne inactive, demandeur d'emploi ou retraitée ayant été exposée à des agents cancérogènes durant son activité salariée à la condition que son ancien employeur lui délivre une attestation d'exposition à ces substances nocives ; qu'en jugeant qu'en application du principe de non-rétroactivité de la loi, un salarié placé en inactivité avant la date d'entrée en vigueur du texte instaurant le droit à une surveillance médicale renforcée ne pouvait prétendre se voir délivrer par son ancien employeur l'attestation d'exposition permettant d'en bénéficier, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 2 du code civil et par refus d'application l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale ;

3) ALORS QUE subsidiairement, justifié par des considérations de santé publique, l'article D. 461-25 du code de sécurité sociale créé par le décret n° 93-644 du 26 mars 1993 est d'application immédiate en ce qu'il permet à une personne inactive, demandeur d'emploi ou retraitée ayant été exposée à des agents cancérogènes durant son activité salariée de bénéficier d'une surveillance médicale post-professionnelle prise en charge par la caisse de sécurité sociale sur présentation d'une attestation d'exposition délivrée par l'employeur; qu'en subordonnant la délivrance de l'attestation d'exposition par la société EDF et ainsi la surveillance médicale renforcée de son ancien salarié à une cessation d'activité intervenue antérieurement à la date d'entrée en vigueur de l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale, la cour d'appel a violé ce texte ensemble l'article 2 du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19-14954;19-14959;19-14962
Date de la décision : 02/06/2021
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Pau, 08 novembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 02 jui. 2021, pourvoi n°19-14954;19-14959;19-14962


Composition du Tribunal
Président : M. Cathala (président)
Avocat(s) : SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SCP Sevaux et Mathonnet

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:19.14954
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