LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 septembre 2021
Cassation
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 648 F-D
Pourvoi n° G 20-12.208
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 29 SEPTEMBRE 2021
La société Pham, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° G 20-12.208 contre l'arrêt rendu le 21 novembre 2019 par la cour d'appel de Metz (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Lorraine, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la société [V] [C] [Q], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de M. [J] [C], prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Pham et de commissaire à l'exécution du plan,
défenderesses à la cassation.
La société [V] [C] [Q], ès qualités, a formé un pourvoi provoqué contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi provoqué invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Gouz-Fitoussi, avocat de la société Pham, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société [V] [C] [Q], ès qualités, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF de Lorraine, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 juin 2021 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 21 novembre 2019), la société Pham a été mise en liquidation judiciaire par un jugement du 12 novembre 2014 qui a été infirmé par un arrêt du 12 janvier 2016 prononçant le redressement judiciaire de la société et désignant la société [V] [C] [Q] en qualité de mandataire judiciaire. Un plan de redressement a été arrêté le 11 janvier 2017, la société [V] [C] [Q] étant désignée commissaire à l'exécution du plan.
2. L'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Lorraine (l'URSSAF) a déclaré à la procédure une créance de 8 276,63 euros à titre privilégié et 31 212,51 euros à titre chirographaire, qui a été admise.
Examen du moyen unique du pourvoi principal
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La société Pham fait grief à l'arrêt d'admettre la créance, alors « que les créances des organismes sociaux qui n'ont pas fait l'objet d'un titre exécutoire au moment de leur déclaration ne sont admises qu'à titre provisionnel et doivent, sous peine de forclusion, être définitivement établies, par la délivrance d'un titre exécutoire, dans le délai imparti au mandataire judiciaire pour dresser la liste des créances ; qu'à défaut de titre exécutoire délivré dans ce délai, la créance déclarée ne peut être définitivement admise au passif ; qu'en admettant définitivement la créance de l'URSSAF à hauteur de 296 765, 60 euros, alors que l'URSSAF ne produisait aucune contrainte, la cour d'appel a violé les articles L. 622-24 et L. 624-1 du code de commerce. »
Recevabilité du moyen
4. L'URSSAF conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est incompatible avec les conclusions d'appel de la société Pham, aux termes desquelles cette société, estimant sa contestation sérieuse, demandait à la cour d'appel d'inviter la créancière à recalculer le montant de ses créances et, à défaut, de se déclarer incompétente et d'inviter les parties à saisir le tribunal des affaires de sécurité sociale. L'URSSAF en déduit que la société Pham ne peut, dès lors, soutenir, devant la Cour de cassation, que la cour d'appel aurait dû retenir la forclusion de la créance.
5. Cependant, il n'est pas incompatible de soutenir devant la cour d'appel que le montant de la créance déclarée par l'URSSAF était erroné et devait être recalculé par cet organisme ou fixé par le tribunal des affaires de sécurité sociale puis de faire valoir devant la Cour de cassation qu'en tout état de cause la forclusion est acquise, faute d'établissement définitif de la créance de l'URSSAF dans le délai de la vérification du passif.
6. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 622-24, alinéa 4, du code de commerce et L. 244-9 du code de la sécurité sociale :
7. Il résulte de ces textes que les créances des organismes de sécurité sociale, qui n'ont pas, au moment de leur déclaration, fait l'objet d'un titre exécutoire, constitué par une contrainte, ne peuvent être admises qu'à titre provisionnel pour leur montant déclaré, à charge pour l'organisme créancier d'établir définitivement sa créance, à peine de forclusion, dans le délai fixé par le tribunal, en application de l'article L. 624-1 du code de commerce, pour l'établissement de la liste des créances déclarées.
8. Pour admettre à titre définitif la créance de l'URSSAF pour son montant déclaré, l'arrêt relève qu'à l'appui de sa demande d'admission l'URSSAF a transmis au mandataire judiciaire un bordereau de déclaration de créances faisant état de cotisations sociales restant dues et que la société Pham ne ne fait valoir aucune contestation sérieuse.
9. En statuant ainsi, sans constater qu'une contrainte avait été décernée et signifiée ou notifiée à la société redevable, dans le délai imparti au mandataire judiciaire pour la vérification du passif, la contrainte pouvant seule constituer le titre exécutoire permettant l'admission définitive de la créance de cotisations sociales, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal, ni sur le pourvoi provoqué, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne l'URSSAF de Lorraine aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Pham et la demande formée par l'URSSAF de Lorraine et condamne cette dernière à payer à la société [V] [C] [Q], en sa qualité de mandataire judiciaire puis de commissaire à l'exécution du plan, la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf septembre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Gouz-Fitoussi, avocat aux Conseils, pour la société Pham.
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré admise la créance déclarée par l'URSSAF de Lorraine pour un montant de 8 276,63 euros à titre privilégié et de 31212,51 euros à titre chirographaire ;
Aux motifs que l'article L.624-2 du code de commerce dispose que : « Au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge commissaire décide de l'admission ou du rejet des créances ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. En l'absence de contestation sérieuse, le juge commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission » ; que par ailleurs, l'ancien article 1315 du code civil applicable en l'espèce impose à celui qui se prévaut d'une obligation d'en rapporter la preuve ; qu'à l'appui de sa demande d'admission au passif de la procédure collective de l'EURL Pham pour un montant de 8 276,63 euros à titre privilégié et de 31 212,51 euros à titre chirographaire, l'URSSAF de Lorraine a transmis au mandataire judiciaire un bordereau de déclaration de créances arrêté au 5 octobre 2016 et faisant état de cotisations sociales restant dues pour la période allant du troisième trimestre 2011 au 31 décembre 2015 ; que l'EURL Pham admet avoir employé des salariés à la période considérée et donc être redevable de cotisations sociales recouvrées par l'URSSAF ; que l'URSSAF de Lorraine fait valoir, sans être contredite sur ce point par la partie adverse, que la demande de rectification formée le 19 janvier 2018 par l'EURL Pham repose sur des éléments incomplets et erronés : absence du bordereau récapitulatif du 4ème trimestre 2013, non prise en compte des cotisations dues pour l'année 2015 et d'un redressement pour travail dissimulé à hauteur de 4 597 euros suite à un contrôle du 18 avril 2013, tableau récapitulatif de l'année 2011 qui fait état de deux salariés alors qu'un rapport de contrôle de l'année 2011 en a retenu six et par ailleurs, un taux de cotisation accident du travail retenu à 2,30'% et non 2,60 % ; que les attestations transmises par l'organisme social à l'EURL Pham selon lesquelles cette dernière est à jour du règlement de ses cotisations à la date du 6 décembre 2018 et à la date du 21 août 2019 sont des documents-types, qui ne valent que pour le règlement des cotisations dues postérieurement au jugement d'ouverture et éventuellement, pour les dividendes prévus au plan de redressement et non pour les sommes réclamées au titre du passif antérieur au placement en redressement judiciaire ; que la comptabilité 2018 produite par l'EURL Pham suite à l'arrêt avant-dire droit du 4 juillet 2019 ne présente aucun intérêt dans le cadre du présent litige qui porte sur le passif antérieur au 12 janvier 2016 ; que par ailleurs et alors que sa demande de rectification a été formée le 19 janvier 2018 par courrier recommandé, l'EURL Pham n'a toujours pas formé de recours à l'encontre de la décision implicite de rejet prise par l'URSSAF de Lorraine devant la commission de recours amiable de cet organisme social et à fortiori devant le tribunal des affaires de la sécurité sociale ; que c'est donc à juste titre que l'URSSAF de Lorraine soutient que la débitrice ne fait valoir aucune contestation sérieuse ; que par voie de conséquence, la cour confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Alors 1°) que les créances des organismes sociaux qui n'ont pas fait l'objet d'un titre exécutoire au moment de leur déclaration ne sont admises qu'à titre provisionnel et doivent, sous peine de forclusion, être définitivement établies, par la délivrance d'un titre exécutoire, dans le délai imparti au mandataire judiciaire pour dresser la liste des créances ; qu'à défaut de titre exécutoire délivré dans ce délai, la créance déclarée ne peut être définitivement admise au passif ; qu'en admettant définitivement la créance de l'URSSAF à hauteur de 296 765, 60 euros, alors que l'URSSAF ne produisait aucune contrainte, la cour d'appel a violé les articles L.622-24 et L.624-1 du code de commerce ;
Alors 2°) que le juge commissaire qui décide de l'admission ou du rejet des créances et la cour d'appel saisie de l'appel de son ordonnance ne peuvent pas se fonder sur l'absence de saisine du juge compétent pour statuer sur la contestation, pour en déduire que la contestation n'est pas sérieuse ; qu'en se bornant à affirmer que la contestation de la société Pham n'était pas sérieuse, au motif inopérant que l'EURL Pham n'a toujours pas formé de recours à l'encontre de la décision implicite de rejet prise par l'URSSAF de Lorraine devant la commission de recours amiable de cet organisme social et à fortiori devant le tribunal des affaires de la sécurité sociale, sans vérifier elle-même si cette contestation était sérieuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.624-2 du code de commerce ;
Alors 3°) que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis, sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que l'EURL Pham avait produit une attestation d'un cabinet d'expert-comptable du 16 avril 2018 (cf. prod) selon laquelle « les cotisations à verser à l'URSSAF De Lorraine s'élevaient à 26.475 euros pour les périodes de 2011, à 2014 et qu'il avait d'ores et déjà été payé les sommes de 7 815,85 euros et qu'il restait pat conséquent un solde à payer de 18 659,15 euros » ; qu'en se bornant à affirmer que l'EURL Pham ne prouvait pas l'existence d'erreurs dans le décompte produit par l'URSSAF sans avoir examiné, ni même visé cette attestation, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. Moyen produit au pourvoi provoqué par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la société [V] [C] [Q], en sa qualité de mandataire judiciaire.
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a admis la créance déclarée par l'URSSAF de Lorraine lors de l'ouverture de la procédure, pour 8.276,63 € à titre privilégiée et 31.212,51 € à titre chirographaire ;
AUX MOTIFS QUE « l'article L624-2 du code de commerce dispose que : « Au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge commissaire décide de l'admission ou du rejet des créances ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. En l'absence de contestation sérieuse, le juge commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission » ; que par ailleurs, l'ancien article 1315 du code civil applicable en l'espèce impose à celui qui se prévaut d'une obligation d'en rapporter la preuve ; qu'à l'appui de sa demande d'admission au passif de la procédure collective de l'EURL Pham pour un montant de 8 276,63 euros à titre privilégié et de 31 212,51 euros à titre chirographaire, l'URSSAF de Lorraine a transmis au mandataire judiciaire un bordereau de déclaration de créances arrêté au 5 octobre 2016 et faisant état de cotisations sociales restant dues pour la période allant du troisième trimestre 2011 au 31 décembre 2015 ; que L'EURL Pham admet avoir employé des salariés à la période considérée et donc être redevable de cotisations sociales recouvrées par l'URSSAF : que l'URSSAF de Lorraine fait valoir, sans être contredite sur ce point par la partie adverse, que la demande de rectification formée le 19 janvier 2018 par l'EURL Pham repose sur des éléments incomplets et erronés : absence du bordereau récapitulatif du 4ème trimestre 2013, non prise en compte des cotisations dues pour l'année 2015 et d'un redressement pour travail dissimulé à hauteur de 4 597 euros suite à un contrôle du 18 avril 2013, tableau récapitulatif de l'année 2011 qui fait état de deux salariés alors qu'un rapport de contrôle de l'année 2011 en a retenu six et par ailleurs, un taux de cotisation accident du travail retenu à 2,30 % et non 2,60 % ; que les attestations transmises par l'organisme social à l'EURL Pham selon lesquelles cette dernière est à jour du règlement de ses cotisations à la date du 6 décembre 2018 et à la date du 21 août 2019 sont des documents-types, qui ne valent que pour le règlement des cotisations dues postérieurement au jugement d'ouverture et éventuellement, pour les dividendes prévus au plan de redressement et non pour les sommes réclamées au titre du passif antérieur au placement en redressement judiciaire ; que la comptabilité 2018 produite par l'EURL Pham suite à l'arrêt avant-dire droit du 4 juillet 2019 ne présente aucun intérêt dans le cadre du présent litige qui porte sur le passif antérieur au 12 janvier 2016 ; que par ailleurs et alors que sa demande de rectification a été formée le 19 janvier 2018 par courrier recommandé, l'EURL Pham n'a toujours pas formé de recours à l'encontre de la décision implicite de rejet prise par l'URSSAF de Lorraine devant la commission de recours amiable de cet organisme social et à fortiori devant le tribunal des affaires de la sécurité sociale ; que c'est donc à juste titre que l'URSSAF de Lorraine soutient que la débitrice ne fait valoir aucune contestation sérieuse » ;
ALORS QUE, premièrement, les organismes de sécurité sociale, tel que l'URSSAF, qui ont le pouvoir d'émettre un titre exécutoire, sont tenus de procéder à une déclaration de créance à titre provisionnel, puis d'établir un titre exécutoire dans le délai imparti au mandataire judiciaire pour dresser l'état des créances ; qu'à défaut de titre exécutoire, la créance doit être rejetée ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont admis la créance de l'URSSAF de Lorraine quand celle-ci ne justifiait pas de l'émission d'une contrainte ; qu'en admettant sa créance, les juges du fond ont violé l'article L.622-24 du Code de commerce ;
ET ALORS QUE, deuxièmement, eu égard aux règles posées par l'article L.622-24 du Code de commerce, il était indifférent que l'EURL PHAM n'ait pas formé de recours à l'encontre d'une décision implicite de rejet de l'URSSAF et que cette circonstance puisse révéler une absence de contestation sérieuse ; qu'à cet égard également, l'arrêt a été rendu en violation de l'article L.622-24 du Code de commerce.