LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 juillet 2022
Rejet
Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 814 F-D
Pourvoi n° Q 20-21.874
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 JUILLET 2022
La société Intrado France Holdings (en réalité société Intrado Europe Holdings), société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société West UC Europe, a formé le pourvoi n° Q 20-21.874 contre l'arrêt rendu le 15 septembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 11), dans le litige l'opposant à Mme [O] [C], épouse [M], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Intrado Europe Holdings, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [C], après débats en l'audience publique du 24 mai 2022 où étaient présents Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, Mme Lacquemant, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 septembre 2020), Mme [C] a été engagée le 2 janvier 2001 par la société Intercall Europe, devenue société West UC Europe, en qualité d'assistante commerciale avant d'être promue responsable des ventes et élue au comité d'entreprise.
2. Le 14 novembre 2014, elle a été victime d'un malaise sur le lieu de travail, à l'issue duquel elle a été en arrêt de travail prolongé.
3. Le 3 août 2015, à l'issue de la visite de reprise, elle a été déclarée inapte en un seul examen pour cause de danger immédiat.
4. Après autorisation de l'inspecteur du travail, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 4 novembre 2015.
5. Par arrêt du 24 janvier 2020, elle a été déboutée de sa demande de prise en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, de l'accident dont elle a déclaré avoir été victime le 14 novembre 2014.
6. Elle a saisi la juridiction prud'homale.
Recevabilité du pourvoi contestée par la défense
7. La salariée fait valoir que la société Intrado France Holdings est irrecevable à former un pourvoi contre un arrêt auquel elle n'a pas été partie, toute la procédure ayant été diligentée contre la société Intrado Europe Holdings.
8. Cependant, c'est par suite d'une erreur matérielle que le pourvoi a été formé au nom de « la société Intrado France Holdings... venant aux droits de la société West UC Europe », puisqu'il résulte clairement des actes de procédure que c'est la société Intrado Europe Holdings qui vient aux droits de la société West UC Europe pour le compte de laquelle la salariée a travaillé.
9. Le pourvoi est donc recevable.
Examen des moyens
Sur les deuxième, troisième et quatrième moyens, ci après annexés
10. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
11. La société Intrado Europe Holdings fait grief à l'arrêt de déclarer la cour d'appel compétente pour trancher le litige sur la perte d'emploi et des droits à la retraite, alors « que le juge prud'homal n'est pas compétent pour indemniser la perte de l'emploi et des droits à la retraite consécutive à un accident du travail, même consécutive à un licenciement pour inaptitude, qui est réparée par l'application des dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale ; qu'en l'espèce, en décidant que Mme [M], qui avait saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale pour voir reconnaître l'existence d'un accident du travail survenu le 14 novembre 2014, avait pu saisir, parallèlement, la juridiction prud'homale de demandes portant notamment sur la perte de l'emploi et des droits à la retraite et que la juridiction du travail était compétente pour connaître de sa demande de dommages-intérêts à ce titre, la cour d'appel a violé les articles L. 1411-1 du code du travail, L. 142-2, L. 451-1 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
12. Après avoir exactement rappelé que l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne faisait pas obstacle à ce que le salarié, fasse valoir, devant les juridictions judiciaires, tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations, la cour d'appel, qui a constaté que l'accident n'avait pas été admis au titre de la législation sur les risques professionnels, a légalement justifié sa décision.
Sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
13. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la salariée la somme de 120 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte d'emploi et incidence sur les droits à retraite, alors « que la cassation à intervenir sur le premier moyen s'étendra par voie de conséquence et en application de l'article 624 du code de procédure civile au chef dispositif ayant condamné la société Intrado Europe Holdings à payer à Mme [M] la somme de 120 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte d'emploi et incidence sur les droits à retraite. »
Réponse de la Cour
14. Le rejet du premier moyen rend sans objet ce moyen qui invoque une cassation par voie de conséquence.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Intrado Europe Holdings aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Intrado Europe Holdings et la condamne à payer à Mme [C] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la société Intrado Europe Holdings
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La société Intrado Europe Holdings fait grief à l'arrêt attaqué, infirmant le jugement entrepris, d'avoir déclaré la cour d'appel compétente pour trancher le litige sur la perte d'emploi et des droits à la retraite ;
Alors que le juge prud'homal n'est pas compétent pour indemniser la perte de l'emploi et des droits à la retraite consécutive à un accident du travail, même consécutive à un licenciement pour inaptitude, qui est réparée par l'application des dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale ; qu'en l'espèce, en décidant que Mme [M], qui avait saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale pour voir reconnaître l'existence d'un accident du travail survenu le 14 novembre 2014, avait pu saisir, parallèlement, la juridiction prud'homale de demandes portant notamment sur la perte de l'emploi et des droits à la retraite et que la juridiction du travail était compétente pour connaître de sa demande de dommages-intérêts à ce titre, la cour d'appel a violé les articles L. 1411-1 du code du travail, L. 142-2, L. 451-1 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
La société Intrado Europe Holdings fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à Mme [M] la somme de 2 000 € à titre de dommages-intérêts pour défaut de prévention du harcèlement moral ;
Alors 1°) que ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs l'employeur qui justifie avoir pris les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ; qu'en n'ayant pas recherché, ainsi qu'elle y était invitée, si la société West UC Europe ne justifiait pas avoir exécuté l'obligation de sécurité lui incombant en ayant immédiatement diligenté, dès la dénonciation du harcèlement moral, en avril 2015, une enquête du CHSCT, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes précités ;
Alors 2°) et en tout état de cause qu'en ne répondant pas aux conclusions déterminantes de la société Intrado Europe Holdings invoquant la mise en oeuvre d'une enquête du CHSCT dès la dénonciation du harcèlement moral pour démontrer avoir satisfait à son obligation de sécurité, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
La société Intrado Europe Holdings fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à Mme [M] les sommes de 25 223,10 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de 2 522,31 euros à titre de congés payés y afférents et de 17 481,84 euros à titre de solde d'indemnité légale doublée ;
Alors que les règles protectrices dont bénéficient les salariés victimes d'un accident du travail ou atteints d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a pour origine, au moins partiellement, cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement ; qu'en l'espèce, après avoir rappelé que la législation relative à la maladie professionnelle ou aux accidents du travail avait vocation à s'appliquer dès lors qu'il existait un lien de causalité même partiel entre l'incapacité temporaire de travail du salarié et sa maladie ou son accident « et que l'employeur a connaissance de l'origine professionnelle de cette affection », la cour d'appel a seulement constaté que l'origine professionnelle de l'inaptitude de Mme [M] se déduisait du fait qu'elle était survenue après un malaise survenu sur le lieu de travail qui, dans un contexte de harcèlement moral, avait occasionné à la salariée des arrêts de travail pour un syndrome anxiodépressif et une inaptitude à tous les postes dans l'entreprise sans qu'elle n'ait jamais pu reprendre son poste ; qu'en statuant sans avoir constaté que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment où il avait notifié le licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 1226-14 du code du travail.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
(Subsidiaire par rapport au troisième moyen)
La société Intrado Europe Holdings fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à Mme [M], outre la somme de 25 223,10 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, la somme de 2 522,31 euros au titre des congés payés y afférents ;
Alors que le salarié victime d'un accident du travail ou atteint d'une maladie professionnelle a droit à une indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis, dont le montant est égal à celui de l'indemnité prévue à l'article L. 1234-5 du code du travail, mais qui n'a pas la nature d'une indemnité de préavis et qui n'ouvre donc pas droit à congés payés ; qu'en condamnant l'employeur à payer à Mme [M], outre la somme de 25 223,10 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, la somme 2 522,31 euros au titre de congés payés y afférents, la cour d'appel a violé, en tout état de cause, l'article L. 1226-14 du code du travail.
CINQUIEME MOYEN DE CASSATION :
La société Intrado Europe Holdings fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à Mme [M] la somme de 120 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte d'emploi et incidence sur les droits à retraite ;
Alors que la cassation à intervenir sur le premier moyen s'étendra par voie de conséquence et en application de l'article 624 du code de procédure civile au chef dispositif ayant condamné la société Intrado Europe Holdings à payer à Mme [M] la somme de 120 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte d'emploi et incidence sur les droits à retraite.