LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 28 septembre 2022
Cassation partielle sans renvoi
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1033 F-D
Pourvoi n° J 21-14.398
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 28 SEPTEMBRE 2022
La société Fast Retailing France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 21-14.398 contre l'arrêt rendu le 27 novembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 1) et l'arrêt rendu le 10 février 2021 par la même cour d'appel (pôle 6, chambre 4), dans le litige l'opposant à Mme [X] [C], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Fast Retailing France, de Me Descorps-Declère, avocat de Mme [C], après débats en l'audience publique du 29 juin 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, Mme Agostini, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Déchéance du pourvoi examinée d'office après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile
Vu l'article 978 du code de procédure civile :
1. La société Fast Retailing France s'est pourvue en cassation contre l'arrêt du 27 novembre 2020 en même temps qu'elle s'est pourvue contre l'arrêt du 10 février 2021 de la cour d'appel de Paris.
2. Son mémoire ne contenant aucun moyen à l'encontre de l'arrêt du 27 novembre 2020, il y a lieu de prononcer la déchéance du pourvoi en ce qu'il est formé contre cette décision.
Faits et procédure
3. Selon les arrêts attaqués (Paris, 27 novembre 2020 et 10 février 2021) et les pièces de la procédure, Mme [C] a été engagée à compter du 4 janvier 2011 par la société Petit Véhicule en qualité de mécanicienne modèle corsetterie, puis a occupé les fonctions d'agent de méthode junior. Son contrat de travail a été transféré à la société Fast Retailing France (la société) le 1er janvier 2015. Le 20 mai 2015, la salariée a été élue déléguée du personnel suppléante.
4. Soutenant être victime de harcèlement moral, la salariée a saisi la juridiction prud'homale, le 16 mai 2016, de demandes de résiliation judiciaire de son contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul et de condamnation de l'employeur au paiement de diverses sommes.
5. Le 14 février 2019, la salariée a été déclarée définitivement inapte à son poste de travail. Après autorisation de l'inspecteur du travail en date du 13 juin 2019, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 25 juin 2019.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt du 10 février 2021 de condamner la société à payer à la salariée certaines sommes à titre d'indemnité de préavis, de congés payés afférents et de dommages-intérêts pour licenciement nul et pour perte de chance de bénéficier d'un plan de départ volontaire
Enoncé du moyen
6. La société fait grief à l'arrêt du 10 février 2021 de la condamner au paiement de certaines sommes à titre d'indemnité de préavis, de congés payés afférents et de dommages-intérêts pour licenciement nul et pour perte de chance de bénéficier d'un plan de départ volontaire, alors « que lorsqu'un licenciement a été notifié à la suite d'une autorisation administrative de licenciement accordée à l'employeur, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire formée par le salarié, même si sa saisine était antérieure à la rupture ; qu'il est constant en l'espèce que, postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes, Mme [C] a été licenciée pour inaptitude définitive après autorisation de l'inspecteur du travail, ce dont il se déduit que sa demande en résiliation judiciaire du contrat de travail était devenue sans objet ; qu'en prononçant néanmoins la résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de l'employeur, et en condamnant la société Fast Retailing France au paiement de diverses sommes à ce titre, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et le principe de séparation des pouvoirs, ensemble l'article L. 2411-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
7. L'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations. A cet égard, si le juge ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire postérieurement au prononcé du licenciement notifié sur le fondement d'une autorisation administrative de licenciement accordée à l'employeur, il lui appartient, le cas échéant, de faire droit aux demandes de dommages-intérêts au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement ou de la nullité du licenciement.
8. Il en résulte que la cour d'appel, qui a constaté que l'inaptitude de la salariée avait pour origine le harcèlement moral dont elle avait été victime, et qui a, en conséquence, condamné la société à lui payer certaines sommes à titre d'indemnité de préavis, de congés payés afférents et de dommages-intérêts pour licenciement nul et pour perte de chance de bénéficier d'un plan de départ volontaire, n'encourt pas le grief du moyen.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt du 10 février 2021 de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de la salariée
Enoncé du moyen
9. La société fait grief à l'arrêt du 10 février 2021 de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de la salariée, alors « que lorsqu'un licenciement a été notifié à la suite d'une autorisation administrative de licenciement accordée à l'employeur, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire formée par le salarié, même si sa saisine était antérieure à la rupture ; qu'il est constant en l'espèce que, postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes, Mme [C] a été licenciée pour inaptitude définitive après autorisation de l'inspecteur du travail, ce dont il se déduit que sa demande en résiliation judiciaire du contrat de travail était devenue sans objet ; qu'en prononçant néanmoins la résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de l'employeur, et en condamnant la société Fast Retailing France au paiement de diverses sommes à ce titre, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et le principe de séparation des pouvoirs, ensemble l'article L. 2411-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
10. La salariée conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le moyen est nouveau dès lors que la règle qu'il invoque ne l'a pas été devant la cour d'appel.
11. Cependant, la société ne se prévalant d'aucun fait qui n'ait été constaté par les juges du fond, le moyen, qui est de pur droit, peut être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation.
12. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et l'article L. 2411-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 :
13. Lorsqu'un licenciement a été notifié à la suite d'une autorisation administrative de licenciement accordée à l'employeur, le juge judiciaire ne peut sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire formée par le salarié même si sa saisine était antérieure à la rupture.
14. En prononçant la résiliation judiciaire du contrat de travail de la salariée, alors qu'il résulte des pièces de la procédure que l'employeur avait obtenu l'autorisation administrative de licenciement de la salariée pour inaptitude lors de l'envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception notifiant la rupture, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
17. Il convient de condamner la société, qui succombe pour l'essentiel, aux dépens.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :
Prononce la déchéance du pourvoi en ce qu'il est formé contre l'arrêt du 27 novembre 2020 ;
CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, mais seulement en ce qu'il ordonne la résiliation judiciaire du contrat de travail liant Mme [C] à la société Fast Retailing France, l'arrêt rendu le 10 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne la société Fast Retailing France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Fast Retailing France et la condamne à payer à Mme [C] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Fast Retailing France
La société Fast Retailing France reproche à l'arrêt infirmatif attaqué (cour d'appel de Paris, 10 février 2021) d'AVOIR prononcé la résiliation judiciaire du contrat la liant à Madame [C] à ses torts exclusifs et de l'AVOIR condamnée à payer à Mme [C] les sommes de 4.400 euros d'indemnité de préavis, 440 euros de congés payés afférents, 26.400 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul et 3.000 euros de dommages et intérêts pour perte de chance de bénéficier d'un plan de départ volontaire ;
1°) ALORS QUE lorsqu'un licenciement a été notifié à la suite d'une autorisation administrative de licenciement accordée à l'employeur, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire formée par le salarié, même si sa saisine était antérieure à la rupture ; qu'il est constant en l'espèce (v. conclusions de Mme [C], p. 5) que, postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes, Mme [C] a été licenciée pour inaptitude définitive après autorisation de l'Inspecteur du travail, ce dont il se déduit que sa demande en résiliation judiciaire du contrat de travail était devenue sans objet ; qu'en prononçant néanmoins la résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de l'employeur, et en condamnant la société Fast Retailing France au paiement de diverses sommes à ce titre, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et le principe de séparation des pouvoirs, ensemble l'article L. 2411-1 du code du travail ;
2°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE la résiliation judiciaire du contrat de travail ne peut être prononcée et produire les effets d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse qu'en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail ; que l'existence d'un ou plusieurs manquements de l'employeur ne suffit pas, en soi, à justifier la résiliation du contrat aux torts exclusifs de l'employeur, de sorte que le juge doit caractériser, au regard des circonstances de l'espèce, en quoi les manquements litigieux étaient suffisamment graves pour compromettre la poursuite de la relation contractuelle ; que pour prononcer la résiliation du contrat de Mme [C] et condamner la société Fast Retailing au paiement de diverses sommes pour licenciement nul, la cour d'appel a seulement affirmé que le harcèlement moral suffisait à justifier la résiliation judiciaire du contrat ; qu'en statuant ainsi, par des motifs tenant à la seule existence d'un manquement de l'employeur, impropres à justifier la résiliation judiciaire du contrat de Mme [C], et sans vérifier si le manquement en question était de nature à rendre impossible la poursuite du contrat de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1231-1 du code du travail et de l'article1184, devenu 1228, du code civil.