LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 octobre 2022
Cassation partielle
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 556 F-D
Pourvoi n° Z 20-18.709
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 OCTOBRE 2022
La société Express auto, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 20-18.709 contre l'arrêt rendu le 11 juin 2020 par la cour d'appel de Grenoble (chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société Soprim, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Express auto, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Soprim, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 11 juin 2020), la société Soprim exploite une activité de vente de matériaux et de véhicules automobiles d'occasion.
2. Elle a acheté le 20 mai 2015 à la société Express auto un véhicule d'occasion de marque Porsche, série Cayman, année 2006.
3. Le 28 mai 2015, un incident mécanique survenu lors de son utilisation sur le circuit de [Localité 3] a nécessité une réparation que la société Express auto a prise en charge. Le 7 mai 2016, un nouvel incident moteur a été constaté lors de son utilisation sur le circuit automobile du [Localité 4].
4. Le 26 décembre 2016, la société Soprim a assigné la société Express auto en indemnisation de son préjudice.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches, et le second moyen, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La société Express auto fait grief à l'arrêt de la débouter de l'intégralité de ses prétentions, de déclarer recevable et bien fondée l'action de la société Soprim et de la condamner à payer à la société Soprim une certaine somme à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice résultant du vice affectant le véhicule Porsche Cayman, alors « que les dispositions du code de procédure civile relative à la récusation des experts judiciaires ne sont pas applicables aux experts amiables ; qu'une partie peut toujours contester devant le juge l'indépendance de l'expert amiable désigné par son adversaire, quand bien même elle n'aurait pas demandé sa récusation au début des opérations d'expertise ; qu'en retenant que, dès lors qu'elle n'avait pas demandé, au début des opérations d'expertise, la récusation de l'expert amiable désigné par la société Soprim, la société Express auto ne pouvait invoquer l'absence d'indépendance de cet expert pour faire écarter son rapport des débats, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 234 du code de procédure civile et par refus d'application les articles 16 du code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
7. Le moyen est irrecevable comme incompatible avec la position adoptée devant les juges du fond, la société Express auto ayant clairement soutenu, dans ses conclusions d'appel, que les règles de récusation de l'expert judiciaire étaient transposables à l'expert amiable.
Mais sur le même moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
8. La société Express auto fait le même grief à l'arrêt, alors « que le juge ne peut fonder sa décision sur un rapport d'expertise établi à la demande d'une partie que si ses conclusions sont corroborées par un autre élément de preuve ; qu'en se bornant à relever que le rapport d'expertise amiable produit par la société Soprim, concluant que les désordres constatés sur le moteur du véhicule vendu par la société Express auto provenaient d'un vice caché qui existait au moment de la vente, était complété par un procès-verbal d'huissier, mais sans rechercher si ce procès-verbal, qui ne faisait que constater l'existence de ces désordres sur ce moteur au jour du constat, venait corroborer les conclusions de cet expert relatives à l'existence d'un vice caché au moment de la vente, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
9. En application de ce texte, le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties.
10. Pour condamner la société Express auto au paiement de certaines sommes, l'arrêt retient que les opérations d'expertise, bien qu'amiables, constituent un commencement de preuve et sont à interpréter avec le constat d'huissier du 14 septembre 2016.
Il retient encore qu'il résulte de ces deux pièces que, lors de son acquisition par la société Soprim, le 20 mai 2015, le véhicule était affecté d'un vice caché, la première panne n'étant intervenue que huit jours plus tard après quelques kilomètres d'utilisation et que ce premier vice a entraîné l'apparition le 7 mai 2016 de la seconde panne, qui est la conséquence de l'état du moteur avant la vente.
11. En statuant ainsi, sans constater que le procès-verbal de l'huissier de justice, au demeurant établi avec l'assistance de l'expert amiable lui-même et qui se bornait à relever l'existence de dommages à la date du 14 septembre 2016, corroborait le rapport de cet expert quant à la cause des dommages et à l'existence d'un vice caché au moment de la vente, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, infirmant le jugement, il déclare recevable l'action de la société Soprim, l'arrêt rendu le 11 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne la société Soprim aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du cinq octobre deux mille vingt-deux et signé par Mme Vaissette, conseiller qui en a délibéré, en remplacement de M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Express auto.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
:La société Express Auto fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'AVOIR déboutée de l'intégralité de ses prétentions, d'AVOIR reçu l'action et de la société SOPRIM et d'avoir déclaré cette action bien fondée et d'AVOIR condamné la société Express Auto à payer à la société Soprim la somme de 22 934,24 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice résultant du vice affectant le véhicule Porsche Cayman ;
1°) ALORS QUE les dispositions du code de procédure civile relative à la récusation des experts judiciaires ne sont pas applicables aux experts amiables ; qu'une partie peut toujours contester devant le juge l'indépendance de l'expert amiable désigné par son adversaire, quand bien même elle n'aurait pas demandé sa récusation au début des opérations d'expertise ; qu'en retenant que, dès lors qu'elle n'avait pas demandé, au début des opérations d'expertise, la récusation de l'expert amiable désigné par la société Soprim, la société Express Auto ne pouvait invoquer l'absence d'indépendance de cet expert pour faire écarter son rapport des débats, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 234 du code de procédure civile et par refus d'application les articles 16 du code de procédure civile et 6§1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°) ALORS QUE le droit à un procès équitable commande que la personne qui assiste l'huissier de justice lors de l'établissement d'un procès-verbal de constat soit indépendante de la partie requérante ; qu'en se fondant, pour condamner la société Express Auto au titre de la garantie des vices cachés du véhicule vendu à la société Soprim, sur un procès-verbal de constat dressé avec l'assistance de M. [M], expert amiable choisi par la société Soprim pour démonter le moteur de ce véhicule, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cet expert, qui avait conseillé la société Soprim lors d'un précédent incident l'opposant à la société Express Auto, était indépendant de la société Soprim, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6, §1 de la Convention européenne des droits de l'homme et 9 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE le juge ne peut fonder sa décision sur un rapport d'expertise établi à la demande d'une partie que si ses conclusions sont corroborées par un autre élément de preuve ; qu'en se bornant à relever que le rapport d'expertise amiable produit par la société Soprim, concluant que les désordres constatés sur le moteur du véhicule vendu par la société Express Auto provenaient d'un vice caché qui existait au moment de la vente, était complété par un procès-verbal d'huissier, mais sans rechercher si ce procès-verbal, qui ne faisait que constater l'existence de ces désordres sur ce moteur au jour du constat, venait corroborer les conclusions de cet expert relatives à l'existence d'un vice caché au moment de la vente, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 16 du code de procédure civile ;
4°) ALORS en toute hypothèse QU'en retenant qu'il résultait « de ces deux pièces », soit du rapport d'expertise amiable et du procès-verbal de constat produits par la société Soprim, que « le second incident (?) survenu le 7 mai 2016 (?) résulte d'une absence de lubrification de la bielle du cylindre n°6, qui aurait dû être détectée lors de la première intervention » réalisée par la société Express Auto le 28 mai 2015 et que l'opérateur de cette société n'avait « pas contrôlé la bonne lubrification de l'attelage mobile du moteur bien que la défaillance du piston alors remplacé a permis à l'huile de s'échapper », cependant que seul le rapport d'expertise amiable se prononçait sur les causes des désordres constatés sur le moteur litigieux, le procès-verbal d'huissier se bornant constater la présence de désordres sur le piston n°6 de ce moteur, la cour d'appel a dénaturé ce procès-verbal en violation de l'article 1192 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
:La société Express Auto fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de L'AVOIR déboutée de l'intégralité de ses prétentions, d'AVOIR reçu l'action et de la société SOPRIM et d'avoir déclaré cette action bien fondée et D'AVOIR condamné la société Express Auto à payer à la société Soprim la somme de 22 934,24 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice résultant du vice affectant le véhicule Porsche Cayman ;
ALORS QUE sauf dol ou vice indécelable, le vendeur n'est pas tenu à la garantie des vices cachés à l'égard de l'acheteur professionnel de la même spécialité que lui ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que la société Soprim avait pour objet « l'achat et la vente de véhicules neufs et d'occasion » ; qu'en retenant néanmoins, pour condamner la société Express Auto au titre de la garantie des vices cachés du véhicule vendu à la société Soprim, que cette dernière n'était pas spécialisée dans la réparation automobile, mais sans constater que ce vice aurait été indécelable ni qu'il aurait été connu de la société Soprim au moment de la vente, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1641 du code civil.